Il faut croire au printemps lu par Marceau Cormerais / LES ÉCHOS
Son titre à première vue gentillet ne fait pas rêver. Mais il ne faut pas se fier aux apparences. Il est urgent de se plonger dans « Il faut croire au printemps » le nouveau roman de Marc Villemain, dernier volet de sa « trilogie du tendre ».
On déboule dans l’habitacle d’une voiture filant vers Étretat, complices involontaires d’un musicien qui s’en va donner aux eaux le cadavre de sa femme sous l’œil distrait de leur nourrisson, somnolant sur la banquette arrière. Ce mystérieux prologue s’achève aux aurores, aplat ciel normand, un corps chute. On tourne une page, dix années passent dans le récit, mais il fait toujours nuit.
Un polar ? Assurément pas. L’auteur refuse l’enquête, balaye l’indice ; le père traîne le remords comme un boulet et son fils est assez grand pour poser des questions. Deux personnages sans noms, décrits les yeux fermés, en suivant les traits des visages de la main, deux silhouettes prises de vagues dilections : pour le jazz, côté paternel, pour ce père inexplicablement meurtri, côté rejeton.
La fausse traque menée par le père pour retrouver une mère qu’il sait morte n’est qu’un devoir symbolique envers son fils, un prétexte au voyage et à l’errance qui permet à Villemain de les trimballer dans le noir. Le duo bourlingue sans but précis et fait penser à ces spectres de casinos qui jouent mécaniquement, ayant même oublié l’idée de victoire.
Billard d’âmes égarées
Obscurité oblige, le style est minutieux. Tâtonner ainsi n’est pas désagréable et fait s’attarder pêle-mêle sur la courbe d’une route, l’étoffe d’un vêtement ou la tension du corps qu’il occulte : par ce lent jeu de décor et d’atmosphère, l’auteur réussit son pari et plante sa nuit comme un billard d’âmes égarées.
Si l’œil cherche, l’oreille vagabonde. L’importance donnée aux silences et les incessantes références musicales donnent une dimension sonore au roman. Tout cela se lit comme on écouterait un trio dans les abysses des derniers jazz-clubs de Paris, où les touristes ne rentrent pas : une jam session qui confine parfois au sublime.
Le rythme de Villemain a quelque chose de voluptueux - une continuité entre les pensées des êtres qu’il ébauche et les paroles qu’ils échangent dans des dialogues très justement conçus. Empreint de tendresse, d’une curiosité pour les destins qui ne verse jamais dans le voyeurisme, il donne un roman comme une transe musicale où le soliste enragé reviendrait à un motif secret inlassablement rejoué : la femme. Celle que le père tue, qu’il désire, qu’il pleure et dont il rêve souvent ; jamais la même.
Il y a porosité entre la narration et son objet et, fiévreusement, l’auteur entraîne le lecteur dans un ostinato ternaire : la Normandie / une voiture / une femme ; une autre voiture / la Bavière / une femme ; un avion / l’Irlande / une autre femme.
Si le texte de Villemain cède parfois à certaines facilités narratives et stylistiques, sa langue atypique autant que sa cohérence interne et sa tenue élégante en font un roman rare : à lire d’une traite, préférablement de nuit, et pourquoi pas sur fond sonore de Bill Evans.
Marceau Cormerais
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