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Marc Villemain

23 mars 2007

Les Eveilleurs d'Etat - Parution - Signature au Salon du Livre

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Paraît aujourd'hui un recueil collectif de nouvelles, Short Satori, chez la jeune et combative maison d'édition Antidata. Quatorze écrivains se sont regroupés pour aborder le thème de L'Eveil. J'ai l'honneur d'ouvrir ce recueil avec un texte intitulé Les éveilleurs d'État.

L'ouvrage est lancé ce soir au Salon du Livre, où la Région Ile-de-France héberge les éditions Antidata.

Je dédicacerai l'ouvrage demain samedi entre 18 heures et 20 heures, sur le stand. À bon entendeur...

21 mars 2007

Darfour : meeting à la Mutualité

L'engagement humanitaire est ce qui reste de l'idéologie quand la politique a failli - ou de la politique quand l'idéologie a failli ; ce qui ne signifie évidemment pas que "l'humanitaire" soit exempt de considérations politiques ou idéologiques, tant s'en faut. Cette antienne, qui n'est pas récente, est probablement assez juste, et formulée, c'est selon, avec bienveillance, résignation ou dénigrement. Pour ma part, je m'y rallie et m'y suis rallié de bonne grâce il y a assez longtemps déjà : il faut être rudement sûr de soi et de sa pensée, rudement sûr de la pertinence des clivages traditionnels, rudement sûr, encore, de la réalité du pouvoir dit politique, pour ne pas admettre les limites de l'engagement classique (généralement bipolaire). Nul ne pouvant raisonnablement suivre le rythme de la complexification exponentielle du monde, et le politique ne pouvant pas davantage échapper à cette règle, ne nous restent que quelques fondamentaux, dont il est certes facile de sourire mais dont on voit mal comment l'on pourrait leur dénier ce statut : à défaut de sauver le monde, donc, veiller à ce que le martyre des humains ne se perpétue pas dans le plus complet silence, dans le meilleur des cas contribuer à en sauver quelques-uns. Nous en étions là déjà au moment de la Bosnie et du Rwanda : la donne ne se pose pas en d'autres termes pour le Darfour.

Le citoyen lambda que je suis a depuis longtemps déserté les lieux et instances du militantisme pour, globalement, se replier. Je vote, je m'informe, je ne refuse pas la discussion, parfois je pétitionne, j'écris : voilà, peu ou prou, ce qu'il subsiste de mon passé militant, un vague sens du devoir. Sans doute nul ne peut déserter sans quelque accès de mauvaise conscience (et il est vrai que les militants sont assez doués pour lester de culpabilité les esprits moins engagés), mais on s'en arrange au fond assez bien. Restent donc "les grandes causes", et ce qui se produit au Darfour, génocide, crime contre l'humanité ou quelque autre appellation qu'on voudra bien lui donner, en est évidemment une. Que l'on me permette toutefois cette digression : le récent déni de génocide en Bosnie, officialisé dans un arrêt de la Cour de Justice Internationale, n'est pas pour rassurer quant à la capacité du droit à qualifier les crimes. A l'heure où la France est plus isolée que jamais du monde et de l'Europe, au moment aussi où seul semble la passionner son devenir hexagonal (comme s'il était indépendant du reste du monde), et alors que le temps électoral que nous traversons n'a sans doute que rarement connu une telle insignifiance, le meeting organisé par le collectif Urgence Darfour, SOS Darfur et Bernard-Henri Lévy aura au moins permis de faire entendre une autre ambition, et d'engager quelques-uns des candidats à l'élection présidentielle. C'est pourquoi j'y étais, pour faire masse, l'hystérie médiatique et la sottise communiquante n'étant sensibles qu'au bruit de la foule.

16 mars 2007

THEATRE : Hughie - Eugene O'Neill (Claude Aufaure & Laurent Terzieff)

 

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Décidément, je dois avoir une dent un peu systématique contre le public : je ne parviens plus à me rendre à un spectacle sans m'agacer de ses réactions - admirant, au passage, le stoïcisme des acteurs. C'est qu'on ne peut pas dire que Laurent Terzieff inspire à ce point le comique et la légèreté qu'il puisse faire s'esclaffer les foules. Et pourtant, les rires, même un peu forcés, même un peu mécaniques, qu'aucune repartie de ce texte ne déclencherait en temps normal, fusent à intervalles réguliers. Le texte et la mise en scène ménagent sans doute quelques effets, mais on ne peut pas dire que le propos incite à une hilarité particulière. Enfin, comme je suis un peu las de m'en prendre systématiquement aux autres, confessons un certain manque d'humour - et sabrons l'épilogue.

Hughie est un des derniers textes d'Eugene O'Neill (1942). Son prétexte est simple : Erié Smith (Laurent Terzieff), flambeur professionnel, vit depuis des années dans un hôtel devenu un peu minable. Il avait pris l'habitude de converser, tard dans la nuit, avec le gardien, à qui il en contait des vertes et des pas mûres sur le jeu, l'argent et les filles. Mais le bon gardien est mort. Erié s'est conséquemment cuité cinq jours durant et, une fois rentré à l'hôtel, c'est un nouveau gardien (Claude Aufaure) qui l'accueille. Deux solitudes se font donc face, pareillement désespérées quoique affectant de ne point trop l'être. Le flambeur en fait des tonnes, la rouerie du gigolo n'a plus aucun mystère pour lui, il brasse de l'air, des paroles et des histoires d'un passé dont il se gausse, tentant plus ou moins maladroitement de faire oublier que les temps ont changé. Le gardien de nuit ne l'écoute pas, ou fait semblant, il entend la rumeur de la ville, guette l'horloge, voudrait pouvoir s'assoupir dans son fauteuil, s'immerger dans sa propre solitude. Au fond, personne ne s'écoute : les solitaires ne peuvent pas se rencontrer - ou se rencontrent trop tard.

Le jeu, la mise en scène, le texte même, assez malin sous son impression d'évidence, tout ici transpire l'intelligence et la finesse. Pourtant, la pièce ne laisse pas de trace. Sans doute parce que les ressorts de la comédie semblent plus tendus que ceux de la tragédie. C'est d'autant plus étonnant que Laurent Terzieff, qui montre encore une fois combien il est un de nos plus grands et plus émouvants acteurs, est attendu sur un autre registre. Et c'est assurément injuste d'attendre d'un acteur qu'il se conforme à ce qu'on attend de lui et de se désoler qu'il suive son propre chemin. C'est que Laurent Terzieff porte tellement la lassitude et la fatigue, il incarne l'accablement de l'existence et du monde avec un tel génie, qu'on en vient à oublier le jeune premier qu'il fut, et qu'il aime sans doute à ressusciter. Ainsi le vit-on, il y a un an, dans Mon lit en zinc, adapté de David Hare, jouant un vieux requin de la finance venu du communisme et marié à une jeune alcoolique qu'il avait sauvée de la mort. Le prétexte était sans doute plus grave, mais l'envie de comédie était déjà forte chez lui, qui trouvait un plaisir manifeste à ce rôle d'arrogant, fût-il pétri de faiblesse et d'humanité.
A eux seuls, Laurent Terzieff et Claude Aufaure (incarnation parfaite du gardien de nuit tel qu'on peut se l'imaginer, jouant très juste, délicat, onctueux, sec et précis) justifient évidemment le déplacement. Reste que le choix de souligner le comique de situation peut laisser perplexe, faisant courir le risque d'estomper la condition mélancolique des deux personnages et le passionnant jeu de miroir aux alouettes auquel ils se livrent. Ce dont témoigne la salle rieuse.

14 mars 2007

Morale cochonne


Que l'homme se comporte comme un porc, et c'est à l'animal d'abord qu'il fait insulte : lui n'a pas demandé à l'être.

13 mars 2007

Morale bourgeoise


Je ne donne pas d'argent aux pauvres, ils pourraient croire que je me sens coupable.

12 mars 2007

Notre jeunesse


Ne renions pas notre jeunesse. Servons-nous en pour excuser ce que nous sommes.

9 mars 2007

Michel Jonasz au Casino de Paris

Michel_Jonasz
J'
ai toujours été un grand admirateur de Michel Jonasz, que je tiens pour l'un des tout meilleurs interprètes, paroliers et compositeurs de chanson française. Et ils ne sont pas si nombreux, ceux qui peuvent encore inscrire leurs pas dans cette grande tradition, où Jonasz tient une place à part, en raison de ce qu'il est bien sûr, mais aussi parce que ses influences débordent assez largement du cadre.
Sans doute l'hommage qu'il rend à la 
« chanson française » dans son dernier album ne  se déposera-t-il pas en moi aussi profondément que d'autres moments de son œuvre.  Toutefois, même si l'on est, comme moi, un peu moins sensible au fond de jazz-rock mâtiné de fusion et de funk de ce dernier album, il faut bien admettre que, non content d'avoir su s'approprier le répertoire et le réarranger de fond en comble, Michel Jonasz l'interprète au plus juste, sans trop en faire ni en cherchant jamais à singer qui que ce soit. Nombreux auraient sombré dans le mélo ou le mauvais goût.

Il arrive un peu à l'étroit dans un costume gris scintillant qui aurait sans doute très bien convenu pour chanter Ray Charles, mais un peu moins Jacques Brel... D'autant que ses musiciens donnent plutôt dans le genre débraillé, dreadlocks et cool attitude. Il ne s'agit pas là d'un jugement de valeur : je pense seulement qu'un certain répertoire justifie, requiert une certaine présentation. Disons-le de manière plus esthétique : quelque chose, ici, n'est pas tout fait en accord avec le projet. Mais c'est un détail. Le tour de chant commence par Fils de..., du grand Jacques, et c'est de très bonne facture, tenu, intériorisé, d'une interprétation très juste, assez dépouillée. Le seul problème - et peut-être au fond celui qui me perturbera tout au long de la soirée - tient plutôt au public, du genre à taper dans ses mains sur chaque temps (oui, sur chaque temps !), à défaut un temps sur deux, dès qu'on le lui demande bien sûr, mais aussi de son propre chef et le plus souvent en égarant le tempo. Du genre aussi à rire un peu trop facilement - impression, ici, d'entendre des rires préenregistrés pour séries TV... Bref, je me suis parfois senti sur un plateau télé, ce qui est  tout de même assez désagréable lorsqu'on porte Michel Jonasz aussi haut dans son cœur. Je crois d'ailleurs que lui-même le sait, ou le sent, et sa manière de conduire le spectacle, de le parsemer de digressions volontiers légères, pourrait d'une certaine manière en attester. Le comble arrive toutefois lorsqu'il nous convie à un karaoké sur Les copains d'abord. Derrière la scène se déplie une toile blanche (tel l'écran sur lequel, dans l'ancien temps, nous visionnions les diapos de nos vacances d'été,) et la foule d'entonner cahin-caha la chanson d'une génération. Pour moins bienveillant que moi, c'eût été la goutte de sirop qui aurait fait dégouliner l'ambiance... Mais Jonasz, éternellement élégant, se sort toujours avec beaucoup de grâce de ce genre de situation. Mais si je comprends, ô combien, son désir de donner l'envie à chacun de redécouvrir et de chanter le grand répertoire, il n'en demeure pas moins que cela fait courir le risque d'un résultat un peu convenu, loin, bien loin, de Brassens. Et dire cela n'enlève évidemment rien à la sincérité du public, mais le risque est tout de même grand, alors, de voir transformer un répertoire profond, poétique, ironique, souvent mélancolique, en un petit tour de piste sympa - et participatif, comme dirait l'autre.
Pour ma part, je retiendrai surtout de cette soirée peut-être un peu trop professionnelle, trop bien ajustée, trop bien réglée, quelques interprétations mémorables : La mémoire et la mer de Léo Ferré, le Fernand de Jacques Brel, ou le propre hommage de Jonasz à Léo, pourtant plutôt casse-gueule. Et tant pis si je le trouve un peu trop cabotin lorsqu'il entonne L'amour sorcier de Nougaro ou Couleur Café de Gainsbourg. 

Et puis, vint bien entendu le moment où le public le réclame, lui. C'était prévu, et prévisible : nombre de ses chansons, depuis trente ans, sont passées au statut de standards, pour ne pas dire à la postérité. On l'aime aussi pour cela, pour avoir su accompagner une, deux générations, tant de moments dans l'intimité de tant de gens. Mais l'artiste est là pour rendre hommage à la chanson française, ce qu'il nous fait bien savoir (et ce choix, est-il nécessaire de le souligner, est aussi légitime qu'indiscutable). Mais le public lui lance des Micheeel ! comme d'autres des Patriiick !, alors que voulez-vous, le public chéri... Tout doucement, donc, le voilà qui entonne Les fourmis rouges, un peu hésitant - sans doute fait-il mine de ne plus se remémorer les paroles exactes... -, alors la rumeur enfle : le public, lui, les connaît, les paroles. Et cela fonctionne : l'écoute est plus amoureuse, plus instinctive, et l'on se dit que, décidément, c'est sur son répertoire que Michel Jonasz recouvre sa poésie, son authenticité, tout son talent. C'est un peu injuste, assurément, mais c'est sans doute le lot des grands artistes qui ont marqué leur temps que de ne pouvoir échapper à ce qu'ils incarnent.

7 mars 2007

Sur la terre comme au ciel


Pourquoi croyons-nous en Dieu ? Pour trouver la force de quitter la terre apaisés.
Pourquoi n'y croyons-nous pas ? Pour trouver celle d'y rester.

6 mars 2007

Pain Of Salvation à l'Elysée-Montmartre

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L
es rockeurs ne sont plus ce qu'ils étaient. Aussi les trois-quarts du public réuni samedi dernier à l'Elysée-Montmartre pour le passage de Pain Of Salvation ont-ils copieusement applaudi à l'injonction, lancée (en anglais) par une voix d'hôtesse d'accueil, de ne pas fumer dans la salle. J'avoue en être resté baba, avant de me ressaisir et d'en allumer une fissa. Non seulement le rockeur n'est plus le rebelle d'antan et a remplacé les tiags par les mocassins, mais il est sage et obéissant. Qu'obligation légale soit désormais faite à la direction de l'Elysée-Montmartre de prendre soin de notre santé est une chose, que le public applaudisse à l'ordre moral (qu'il soit royaliste ou nicolien) en est une autre. Enfin faisons taire notre agacement : l'affaire semble consommée. Et durablement, avec ça.

Groupe à part dans la galaxie metal, Pain Of Salvation en est aussi un des plus beaux fleurons. Foin de clichés pour ces musiciens exigeants, ouverts et inspirés. Soudés autour du charismatique et très talentueux Daniel Gildenlöw, le groupe renouvelle à la fois le genre et sa propre discographie à chaque nouvel album, puisant aussi bien dans la grande époque floydienne que dans le folklore, le jazz, le black metal, ou des musiques que l'on qualifiera par défaut de plus industrielles. Un tel patchwork ne suffirait toutefois pas à ancrer un style. Ce qui fait le lien, mais le mot est peut-être par trop imprécis ou vaste, c'est la mélancolie, tout à la fois rageuse et résignée. Textes et musiques s'allient pour déployer une vision assez désespérée du monde et des rapports humains, sans rémission possible, articulée autour de la difficulté des hommes à se comprendre eux-mêmes ou à communiquer entre eux. Les éclaircies sont rares, le plus souvent joueuses ou ironiques - le fameux Disco Queen. Ce qu'on aime chez Pain Of Salvation, outre la qualité des compositions toujours très élaborées, c'est sans doute que chaque morceau, texte et musique, cherche à disséquer ce que nous avons en nous de plus intime : le malaise existentiel. D'où cette douceur empreinte de tristesse sur le très beau Undertow, qui contient sa violence jusqu'à la fin, la colère qui pointe ne pouvant complètement exploser. D'où, aussi, ces moments plus brutaux, plus lourds, mais qui n'ont de sens que dans le surplomb de l'angoisse, et parce que revient toujours le temps de l'introspection. Ce double tropisme est à ce point patent que le groupe n'a pas hésité à entamer son rappel par une reprise, à tout le moins inattendue, du très beau Hallelujah de Leonard Cohen - que Jeff Buckley avait également repris avec le succès que l'on sait. On aurait pu craindre que la chanson soit peu à peu tirée vers quelque chose d'un peu heavy, plus prévisible. Or les musiciens ne sont pas tombés dans le piège et ont su restituer l'émotion originelle, conservant à la chanson son dépouillement premier, et maintenant ce que la prière, ou la plainte, peut avoir d'authentique.

DSC00063Maintenant, nous sommes bien dans un concert de rock : ce que la musique de Pain Of Salvation a d'émouvant, voire de poignant, lorsqu'on l'écoute chez soi (comme nous pouvions écouter un vieux Pink Floyd, c'est-à-dire en installant une atmosphère un peu sombre et méditative, encens et bougies compris) cède la place, en concert, à l'énergie. Et la grande modestie de la mise en scène (pour ainsi dire inexistante) conjuguée à un son d'une grande clarté, n'enlève rien au fait que le rock, c'est aussi une énergie brute et physique. Il n'y a rien de contemplatif ou de planant dans la musique de Pain Of Salvation, et les moments de douceur ou de retrait sont aussi des moments de grande puissance : simplement est-elle maintenue dans sa gangue d'émotion et de musicalité, sur un fil dont on dirait qu'il s'apprête toujours à rompre. Là réside une des grandes différences avec un groupe comme Dream Theater, par exemple, techniciens sans plus doute plus accomplis encore mais que la quête esthétique et le goût du concept éloignent parfois de ce que l'émotion doit avoir d'impérieux. Aucun risque de la sorte avec Pain Of Salvation, qui sait que ce n'est pas seulement pour les oreilles qu'on fait de la musique.

Photos personnelles

5 mars 2007

Ô temps !


Au train où vont les choses, comme voulez-vous qu'on n'ait pas un métro de retard ?

4 mars 2007

Ma raison d'être


Il n'y a pas de raison d'être, seulement des raisons d'être mal.

3 mars 2007

Action !


Le contemplatif agit bien davantage qu'il y paraît, puisque lui seul tente de résister à la pulsion de vie.

2 mars 2007

Habillé pour l'hiver


La dépression est un habit un peu trop ample dont on peut parfois aimer à s'envelopper : les vents contraires peuvent y circuler à leur aise.

2 mars 2007

Le sable ou l'onde


Deux sortes de dépressifs : ceux que le réflexe de survie ramène sur le sable sec de l'ironie, ceux qui se laissent dériver sur l'onde, cramponnés seulement à la bouée de leur lâcheté.

1 mars 2007

Le génocide n'a pas eu lieu

Mostar__ruinesC'est officiel : la Serbie de Slobodan Milosevic n'a pas commis de génocide, n'y a pas incité et ne s'en est pas davantage rendue complice. Sans doute un génocide a-t-il bien été perpétré à Srebrenica, mais ce fut l'oeuvre d'une main invisible ou d'une volonté insondable, en tout cas inaccessible à l'homme de la rue - celui par exemple à qui on a coupé les couilles et arraché les yeux sous ceux de ses enfants. Comme dans Usual Suspects : c'est le Diable, peut-être, allez savoir.

J'entends qu'il est commode d'être plus bosniaque que les Bosniaques. Et puisque le représentant officiel de la Bosnie à la Cour Internationale de Justice se déclare partiellement satisfait des remontrances que celle-ci a toutefois consenti à adresser à l'Etat serbe, on se demande bien, vu d'ici, ce qui pourrait nous autoriser à vouloir en remontrer. C'est que cet arrêt va dans ce qu'on n'ose plus guère, et pour cause, appeler le sens de l'Histoire. Quand ailleurs les peuples européens, à commencer par le peuple français, sont poliment invités à présenter leurs condoléances à ceux que, naguère, ils malmenèrent, la justice internationale la joue profil bas là où, en direct ou quasi, la notion d'humanité prenait à peu près au moins autant d'importance que deux cent mille squelettes dans une fosse commune. Comprenne qui pourra. Enfin non, au fond tout le monde comprend : l'intérêt bien compris (entendez la real politik) commande. Et nous en arrivons à cette contradiction qui ne semble plus guère étonner : ce n'est plus au nom de la justice qu'œuvre la justice internationale, mais au nom de la réconciliation, mot clé tout politique de toute cette affaire. Comme il est écrit dans la langue savoureuse des communiqués officiels : "les dirigeants serbes ne cachent pas leur satisfaction". Champagne.

Sarajevo__mur_cribl___2Je ne donne pas plus de trente ans à nos manuels d'histoire pour corriger le tir. Ma main à couper : nos enfants y apprendront que la justice aura choisi de s'amputer au nom de la paix et de l'esprit de concorde entre les communautés. La méthode est pourtant aussi mauvaise que l'intention. Il est fort à parier que cet arrêt ne fasse qu'inscrire davantage les rancoeurs dans le marbre, comme on le vit sur les visages de la centaine de Bosniaques regroupés, en attendant son arrêt, devant la Cour Pénal Internationale. La SDN avait au moins l'excuse de sa jeunesse, et plus encore du caractère inédit de sa mission. Je ne vois pas, cette fois, quelle excuse les Bosniaques pourront trouver à ceux qui ont transformé trois années en enfer en guerre civile. Qu'on en juge par ce qu'en dit Smail Cekic, membre de la commission d'enquête sur Srebrenica : "C’est une victoire pour les criminels, ça leur donne le moyen d’achever un jour le génocide qu’ils ont entamés contre les Bosniens. Il est évident que cette Cour attendait qu’un peuple soit complètement exterminé pour dénoncer ce crime comme étant un génocide. C’est honteux et horrible et prouve bien que tout ceci est une farce de la part de la communauté internationale." La réconciliation est en marche.

Photos personnelles :
1. Mostar - Ruines
2. Sarajevo - Mur criblé de balles

27 février 2007

THEATRE : Orgie, de Pasolini & Cap au pire, de Beckett

Ma femme ayant davantage foi que moi-même en ma littérature, elle tient le rôle, ingrat, de la muse qui me met quand il faut et comme il faut le coup de pied où il faut, pour qu'enfin j'avance derechef. Aussi sait-elle toujours me suggérer la bonne lecture qui saura faire écho à mes travaux d'écriture - quitte à désespérer Billancourt. Idem pour le théâtre, dont elle parle en général bien mieux que les penseurs du Masque et la Plume.

PasoliniAinsi donc nous nous retrouvâmes l'autre jour au Vieux Colombier, où son directeur, Marcel Bozonnet, a pris l'audacieuse initiative de monter Orgie, de Pasolini. C'est audacieux parce que nous sommes (tout de même) à la Comédie-Française, et parce que le puritanisme français n'a désormais plus rien à envier à son grand frère américain. Mais c'est aussi facétieux, après la polémique que Bozonnet déclencha en déprogrammant Peter Handke (à tort selon nous) pour cause de serbisme zélé. Bon point, donc.

Pasolini ne peut plus guère surprendre : chacun connaît sa violence, nul ne s'attend à une bluette. Aussi le couple qui se dévore sous nos yeux y va-t-il de ses fantasmes sexuels et mortifères, se souciant comme d'une guigne de ce que l'on pourra bien en dire à l'extérieur. Cette violence n'est toutefois pas le sujet, autant que je puisse en juger, qui fait surtout état d'un désarroi profond devant la vie qui passe, la mort qui fait ses appels du pied et la nostalgie de ce que nous fûmes, corps et coeurs pleins d'allant. Quelque chose comme le tableau des échecs d'une vie. Ça ne peut donc se passer sans larmes, sans sperme ni sans coups. La rage à son paroxysme nous dérange tout ce qu'il faut, les temps d'apaisement sont bien sentis, et les acteurs ont l'air sincèrement éprouvé - on le serait à moins. Mais le texte est inégal, et tant pis si je n'ai pas l'autorité pour le dire. Tout à coup c'est fulgurant, on se reproche de ne l'avoir pas trouvée celle-là, cette sortie, cette repartie, ce coup de canif dans le bois de la langue, et puis ça vient s'échouer là, cahin-caha, en clichés vaguement romantiques sur le paysage existentiel. Bizarre. Moyennant quoi, le vieux monsieur devant moi esquisse quelques ronflements qui me consolent de ceux que j'émets la nuit, obligeant sa dame à quelques coups de coudes bien sentis dans les côtes. Mais il sera tout à fait éveillé quand arrivera la toute jeune Lucile Arché, vêtue d'abord comme une galante de la Renaissance, puis très vite aussi dépouillée qu'un nouveau-né. Il ne m'aurait pas déplu que tout cela soit parfois un peu plus imagé - mais c'est ma sensibilité ici qui parle, non ma raison esthétique. Et puis, rien que pour le pied de nez à la sensibilité du temps, ça vaut bien le coup d'aller prendre le pouls de l'existence individuelle auprès de Pasolini.

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Un cran au-dessus, la lecture que donne Sami Frey, au Théâtre de l'Atelier, de l'un des derniers textes (originellement écrit en anglais) de Samuel Beckett : Cap au pire. D'accord, ma femme n'est pas objective : du Frey, elle en est dingue. Mais il faut reconnaître que ce texte de Beckett, pour ainsi dire et littéralement illisible, trouve ici une incarnation à la hauteur. A se demander d'ailleurs quel autre que le Frey aurait pu le dire aussi magnifiquement. Et ma femme a sans doute raison de considérer que c'était pour moi la meilleure entrée possible dans un texte que je ne connaissais pas. C'est le texte des derniers temps, dont on se dit que Beckett les a sûrement occupés en cherchant à mettre un peu d'ordre dans ses pensées, histoire d'être en règle. Ça cafouille donc, mais, parce que ce qui motive l'auteur ne saurait être disputé, ce qui semble faire contresens devient plein de sens. Ce qui d'emblée fuit l'entendement commun finit par toucher au plus irréductible. Que reste-t-il d'une vie ? Des mots. Et à la fin, chaque mot est un tourment, puisque chacun pourrait être le dernier - et on se dit alors que c'est ainsi que tout écrivain devrait écrire. La vie a passé, la seconde qui vient est un lendemain miraculé : le langage ne peut faire semblant de l'ignorer. D'où ce texte, que je prends surtout pour ma pomme, donc à tort, pour une opération chirurgicale du processus d'écriture. Bien sûr c'est cela, mais ce serait sans doute encore trop gratuit si ça n'était que cela. Et c'est ici que Sami Frey, d'une voix, d'un geste, d'un regard, lui donne une puissance qui achève de transformer le monologue d'un homme finissant en une phénoménale démonstration d'instinct vital. Si mettre un peu d'ordre dans sa vie avant de la quitter tout à fait, c'est trouver le mot de la fin, alors on sait d'une certitude sûre que tout écrivain, fût-il le meilleur, court à la désillusion. C'est dans cette désillusion que Sami Frey a su entrer, servi par un texte dont on comprend alors, et alors seulement, combien il peut être remarquable.

14 février 2007

Pornographique, cacophonique, hystérique : l'écoeurement nous gagne

On voudrait écœurer les Français qu'on ne s'y prendrait pas autrement. Temps fort et depuis peu quinquennal de la société française, les élections présidentielles se donnent en spectacle, partout, en tous lieux et sur tous supports. Tout est bon, de tout bois on fait toujours un bon feu. L'hystérie militante a vécu : elle a désormais gagné la société tout entière. Les couvertures de journaux annoncent la couleur chaque matin, les radios et les télévisions réforment leurs grilles des programmes, des dizaines de sondages quotidiens tâtent le pouls du troupeau, des millions de blogs ad hoc fleurissent jusque dans les coins les plus reculés, les forums virtuels, tous plus véhéments les uns que les autres, sont pris d'assaut, et la plus pittoresque des associations trouve son mot à dire sur la bonne marche du monde. Nombreux s'en réjouissent, observateurs patentés ou acteurs auto-proclamés, assurant que cette effervescence collective est la preuve de l'excellente santé civique de notre nation, l'indice d'une patrie enfin résolue à remonter ses manches et à mettre la main dans le cambouis du monde. Les choses me semblent, à moi, un peu moins idylliques : sous couvert de participation, la société est devenue son propre média. Il était facile, hier encore, de stigmatiser la spectacularisation de la politique : elle était de la responsabilité des médias et des acteurs politiques qui, volens nolens, éprouvaient quelques difficultés à ne pas se prêter au jeu. Nous n'avons plus d'autres coupables aujourd'hui à désigner que nous-mêmes.

Moyennant quoi, Libération me tombe des mains chaque matin. Et s'il  me faut malgré tout admirer quelque chose, alors disons que j'admire l'imagination et l'inventivité dont doivent faire preuve, chaque jour, depuis et pour des semaines encore, les journalistes, commentateurs, experts ès opinions et autres filous de la comm' pour trouver une nouvelle manière d'aborder le sujet. N'imaginons pas une seconde que cette agitation permanente contribuât en quoi que ce soit à façonner notre compréhension du monde ou à stimuler notre intelligence collective, si elle existe : le chaos permanent des avis, des opinions, des diatribes, des revendications, des objurgations, des exclusions, cet incontrôlable pugilat exponentiel qui se targue de vertu démocratique, donne le ton de l'amertume qui se prépare. Les Français sont doués pour s'échauffer les sangs. Ils ont adoré se faire peur le 21 avril 2002 - avant de reculer devant l'énormité de la chose ; je suis à peu près certain, aujourd'hui, que si le souvenir de cette peur les tétanise encore un peu, ils sont, à tout le moins, mûrs pour le grand frisson.

Un jour viendra où l'on comprendra qu'une société de transparence est avant tout une société de surveillance. La seule chose que je ne suis pas en mesure d'évaluer, c'est s'il sera trop tard ou pas.

Et Dieu merci, je n'ai pas la télévision.

7 février 2007

Du début à la fin, et nous au milieu


Plus nous en savons du monde, moins nous le connaissons. L'assertion est brutale, mais l'impression plus forte que jamais. Mieux nous sommes informés, plus opaque nous apparaît le sens de l'aventure humaine. Chaque jour nous lisons et détruisons la presse de la veille : l'ennui n'est pas que nous oublions ce que l'on y a appris, mais qu'aucun esprit humain n'est en capacité de mettre autant d'informations en correspondance. L'intelligence du monde nous échappait hier par défaut de connaissances, elle nous fuit aujourd'hui par trop-plein d'informations. Dans les deux cas, c'est l'action des hommes qui en pâtit, au mieux assez vaine, au pire catastrophique. De ce hiatus, je ne sors pas. Il y a des êtres qui ont vu la naissance du monde, qui ont appris à le créer, et d'autres qui en verront la fin, sans doute dans de grandes souffrances. Nous, nous sommes entre les deux. C'est une très longue période, qui aura recouvert l'histoire de l'humanité. Mais nul ne peut douter que cette histoire est bornée.

5 février 2007

Millet dans Chronic'Art

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V
oilà qui s'appelle un entretien décalé : Richard Millet dans Chronic'Art (numéro 32 - février 2007), rien ne pouvait l'augurer. L'intérêt des entretiens est qu'ils obligent peu ou prou à la concision ; l'inconvénient, c'est qu'ils appauvrissent, et qu'alors la concision devient simplification - entendez simplisme. L'équilibre ne peut se faire que si l'interlocuteur possède une maîtrise totale du langage, et surtout si sa pensée vient de tellement loin que la simplification nécessaire ne parviendra jamais à l'assécher tout à fait. C'est, évidemment, le cas avec Richard Millet, l'un de nos plus grands auteurs vivants.

Cet entretien n'ajoute finalement pas grand-chose à ce qu'il écrit ou dit depuis toujours, lui fournissant seulement l'occasion de revenir sur ce qui l'angoisse, le désole ou le hérisse : en gros, le "totalitarisme mou", le politiquement correct, le marasme de la littérature française, "l'abstraction contemporaine", l'aplanissement, l'aplatissement, "l'horizontalité" ou encore la "falsification" du monde, et bien entendu la langue, ce qu'elle charrie et ce qu'une civilisation perd à la déconsidérer ("On m'a reproché d'être passéiste. Moi, je pense que quand vous avez affaire à une langue, autant l'employer dans tous ses états").

Le plus intéressant peut-être est lorsqu'il évoque la crise qu'il traverse, crise d'auteur, où il s'agit "d'en finir avec ce qu'on est soi-même". Mécaniquement, cela pose ou repose la question du silence, qui lui inspire cette réflexion moins désabusée qu'il y paraît sans doute, et derrière laquelle s'échafaude peut-être l'oeuvre à venir : "Un écrivain qui ne risque pas le silence, pour moi, n'est pas un écrivain".
Enfin, chez ce chrétien marqué par Bataille et Blanchot, la question du sens, donc de la mort, donc du "nihilisme", apparaît sous un jour peut-être un peu nouveau. Résultat, sans doute, de l'accumulation des désenchantements, dont il faut bien reconnaître qu'aucune actualité ni aucun futur n'est en mesure d'esquisser l'apaisement. t

31 janvier 2007

Nihilisme de Gianni Vattimo

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J
e lis avec quelque retard le passionnant hors-série sur le nihilisme que fit paraître Le Magazine Littéraire en octobre dernier. Outre une critique, au bas mot mi-figue mi-raisin, de François Bégaudeau sur Michel Houellebecq et sur cette "rage contre la vie (qui) est d'abord une rage contre la malformation qu'on est soi-même", j'ai été saisi surtout par le propos très serein du philosophe italien Gianni Vattimo, l'un des rares penseurs à continuer de se revendiquer d'un « nihilisme actif », lequel « serait la force de vivre dans un monde où il n'y a plus de fondements, ni sur le plan métaphysique, ni sur le plan des autorités politiques. »

Cet entretien date en réalité de 1990, mais son propos demeure très actuel en regard de l'évolution des sociétés occidentales, entièrement tournées,  non sans frénésie, vers la quête éperdue de fondations, de structures primordiales et originelles, recherche qui « exprime la  nostalgie d'une fondation du pouvoir sur une vraie structure ». Et il poursuit : « Le problème du nihilisme est d'instaurer une attitude philosophique capable de développer une forme de rationalité non fondationnelle. Cela conduit à replacer le nihilisme dans l'histoire de l'être, parce qu'il n'y a d'autre rationalité non fondationnelle que remémorative ». Sans aucunement nier les dangers inhérents à une telle démarche, il pose très clairement une ambition et des enjeux que je partage : « Ou bien nous cherchons à reconstruire une civilisation fondationnelle ; ou bien nous acceptons de vivre la dissolution des fondements comme la seule forme d'émancipation possible ». Il s'agit bien d'un mouvement qui tend à une « démythologisation généralisée », dont on peut en effet penser qu'il serait assez salvateur, quand les grands absolus dont s'empiffrent les discours politiques, culturels et civilisationnels paraissent à tout le moins décevants.

De Gianni Vattimo, on peut lire par exemple :
La Fin de la modernité (nihilisme et herméneutique dans la culture post-moderne), paru au Seuil en 1987 ;
- L'avenir de la religion (solidarité, charité, ironie), co-écrit avec cet autre penseur de la pensée faible qu'est Richard Rorty (chez Bayard).

Difficile, enfin, de ne pas évoquer ce « vieux grincheux » réjouissant qu'est Roland Jaccard, dont la prose et la liberté procurent toujours autant de plaisir et d'intérêt. À lui le mot de la fin : « Comme tous les nihilistes, il attend un miracle : celui de sa propre mort. Mais même ce miracle ne se produira pas. Homme de paille, de paillettes et de poudres aux yeux, il est là pour l'éternité, dans l'absence, dans le vide, dans le vent, dans l'arène désertée de ses plaisirs, dans le manège lugubre de ses désirs, avec l'espoir fragile d'appartenir encore à la race des hommes, alors qu'il n'en est plus que le déchet. »

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