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Marc Villemain
mort
7 mars 2007

Sur la terre comme au ciel


Pourquoi croyons-nous en Dieu ? Pour trouver la force de quitter la terre apaisés.
Pourquoi n'y croyons-nous pas ? Pour trouver celle d'y rester.

26 janvier 2007

Ne rien laisser


Viennent un moment, un âge, une condition, où l'on accueille naturellement ses contradictions, ses failles et sa banalité. On le fait sans honte de soi : le héros en nous est mort et enterré. On ne sauvera pas le monde. On ne laissera rien derrière nous. On aura tergiversé entre ambitions et lassitudes, slalomé entre lâchetés et velléités, sombré d'éclats en démissions : cela s'appelle faire de son mieux. Le monde nous montrera du doigt : c'est qu'il est mal de se résigner, c'est l'indice d'une faiblesse, d'un égoïsme
peut-être. Autour de nous des êtres souffrent, des peuples meurent et des civilisations s'éteignent : nous y répondons par la magie. Les sociétés croient s'organiser en rendant coup pour coup aux désordres - mais sont-elles vraiment dupes ? Elles promeuvent comme jamais l'impératif de communicabilité, y consacrent, même, beaucoup d'argent (public), mais nous avons égaré jusqu'aux règles de la conversation. Ce moment que j'évoque, ce moment où l'individu se sent comme libéré du monde sans être sourd à sa tragédie, et en en portant, même, sa part propre, déroute la communauté. Aussi a-t-on rarement assisté à autant de stigmatisations, d'anathèmes, d'exclusions, dans un pays où chaque citoyen est devenu le procureur de l'autre. C'est un sacré sentiment de plénitude luxueuse que de pouvoir tourner le dos au monde sans que rien ni personne ne nous convainquent d'y faire face - puisque quand nous y faisons face, seul l'échec nous fait écho. Et il est réconfortant de songer que nous n'aurons rien laissé qui justifiât que l'on soit regretté.

22 décembre 2006

Sur mon père


Je me souviens que je n'avais pas eu la présence d'esprit de le penser en lisant Tolstoï, et qu'il me fallut lire le petit livre que lui consacra sa fille aînée Tatiana (Sur mon père, réédité par Allia en 2003), pour réaliser que mon père était tolstoïen.

11 décembre 2006

L'hiver biologique

Zoran_Music___Poltrona_grigia
Les lassitudes hivernales, cette espèce de sas dans lequel nous nous laissons envelopper et où les couleurs de la nature semblent vouloir coïncider avec le temps de nos existences, pourraient être vécues comme une manière de régénération, comme l'occasion, rituelle, saisonnière, d'un changement de peau - un check up qui passerait au crible nos humeurs défaillantes : ainsi pourrions-nous en retirer quelques bienfaits pour l'avenir et pour le prochain hiver. Mais il faudrait à cette fin pouvoir embrasser la vie avec une ardeur hélas programmée pour s'émousser au fil de l'avancement dans l'âge - et nous n'attendons plus de l'hiver que sa promesse grise, que le châle blanc de sa réclusion. Nous courions jadis à travers les champs de poudre et nous escaladions les collines immaculées ; nous rentrions sur le tard, glissant et pirouettant sur le macadam engourdi, les joues écarlates, les extrémités gelées et le corps détrempé, avides déjà du lendemain ; nous contemplons dorénavant, de derrière les carreaux, non l'éclaircie qui viendra, mais les signes et les indices de ce qui se prépare et nous attend.

(En icône : Zoran Music, Poltrona grigia)

17 novembre 2006

Journal du 6 février 1996


Je fouille et farfouille toujours dans mes vieux journaux, non sans quelque malaise. J'en conserve certains états, certains mots - à fins d'archivage, c'est certain, mais aussi parce que, pour certains d'entre eux, et sans nécessairement le partager, comme c'est le cas ci-dessous, j'en comprends encore l'esprit.

     On demande trop à la vie. Elle n'est qu'un processus. Nous nous agitons : en vain. Seule l'extase intérieure, seul le côtoiement passager de la folie, peuvent, à cette vie qui s'impose, ajouter quelque sens et beauté. Qu'importe de vivre s'il n'y a pas d'œuvre à la clé ? Vingt-sept ans, et pas l'ombre d'un commencement d'œuvre en vue.

15 novembre 2006

Journal du 22 juillet 1995


J'étais jeune encore ; immature, plutôt. Je n'allais pas facilement sur la tombe de mon père - je n'y allais que parce que je m'y sentais obligé, c'est ainsi. Cette fois-là, j'avais vraiment envie d'y aller. Y songeant, je notais alors ceci, cette phrase étrange, obstinément adolescente : J'ai dû réprimer un mouvement comme un relent que l'on retient en société, le signe de croix qui grondait en moi.

10 novembre 2006

Douleur visionnaire

KafkaFragments du Journal de Kafka, que j'avais naguère recopiés tels quel.

Nous sommes en 1911, Kafka a vingt-huit ans. Il est persuadé qu'il n'atteindra pas la quarantaine - et ne se sera trompé que d'un an. Il ressent une tension dans la partie gauche de son crâne. Voici ce qu'il en dit : "Cela me donne la sensation d'une dissection presque indolore pratiquée sur le corps vivant où le scalpel, qui apporte un peu de fraîcheur, s'arrête souvent et repart ou reste parfois tranquillement posé à plat, continue à disséquer prudemment des membranes minces comme des feuilles, tout près des parties cervicales en plein travail".

Plus loin encore, cette vision qui m'a très longtemps poursuivi, qui parfois a nourri mes rêves et, je crois, un peu de mon inspiration : "Sans cesse l'image d'un large couteau de charcutier qui, me prenant de côté, entre promptement en moi avec une régularité mécanique et détache de très minces tranches qui s'envolent, en s'enroulant presque sur elles-mêmes tant le travail est rapide".

2 novembre 2006

Je passe

Enfant, je posais des questions : je voulais comprendre le monde - j'étais un enfant.
Adolescent, je l'avais compris : j'ai voulu le changer - j'étais un adolescent.
Au sortir de l'adolescence, j'ai hésité : le changer, oui, pourquoi pas, il est trop laid ; mais je voulais aussi, et tout autant, y goûter : cela fit de moi, peu ou prou, un socialiste.
Jeune adulte, je me suis fait honte ; il me fallait trancher : j'ai amorcé un mouvement de recul, de retrait - mais discret.
Adulte, les premières fatigues venant, j'ai commenté le monde - aidé en cela par la foule de ceux qui s'obstinent (à échouer) à le changer.
Premiers pas dans le vieillissement ; je commentais le monde avec colère : je le commente avec lassitude - avec réticence.

Plus tard, vieux et malade. Le monde n'est plus en moi. Je ne lui demande rien. Facile : il n'attend rien de moi.
Elle et moi - souvenirs et clins d'œil.
Et le marbre.

D'autres continueront. Mais ce sera plus dur.

28 octobre 2006

La mort est dans le décor

Elle ne se moque que de sa mort ; je crois même qu'elle l'attend - que parfois elle la désire. Elle ne tient, ou plutôt ne convient à vivre que pour nous, pour une poignée dont elle devine, même si cela lui est informulable, ou pénible, que notre existence, notre existence à nous, perdrait sans elle beaucoup de son sens, et de son sel. Notre aptitude à vivre, à rire, semble ne pouvoir se déployer que dans l'auréole de son existence très gracieuse, même si l'existence pour elle n'induit et ne charrie aucun bonheur ni félicité - comme si la mélancolie qui s'empara d'elle dès l'enfance et la poursuit jusqu'au plus haut de ses jours nous obligeait à surjouer notre rôle dans notre propre bonheur.

20 octobre 2006

Conseils de survie pour temps ordinaires

Survivre
S
i on a la chance de ne pas être une femme iranienne, une mère de famille tchétchène, un reclus de Guantanamo, un otage de quelque groupuscule à prétexte religieux, un clandestin de France, un enfant-soldat d'Afghanistan ou un homme terrassé par l'inextricable brouillard de la dépression, autrement dit si nous avons la chance de mener une vie à peu près normale et une existence peu ou prou conforme aux attentes communes, le seul acte de vivre n'en demeure pas moins chose complexe.

Vivre est une perspective courte. Nous mourions naguère à trente ans (pauvres et faméliques), nous mourrons demain à cent vingt (gras et impotents). Ce n'est qu'une question de perception : de toute façon, la vie paraît toujours trop courte - quant à savoir pourquoi, cela me demeure insoluble. Le mieux que ayons à faire, donc, si nous ne nous sentons pas habités par la folle ambition de changer la vie ou si une certaine vitalité nous fait défaut pour transformer le monde, est de nous y adapter sans rien en perdre, et surtout sans nous y perdre. A première vue, l''aspiration peut sembler un tantinet modeste. Défions-nous toutefois des apparences : dans l'entrelacs social qui régit, contrôle ou détermine nos moindres actes et pensées, faire advenir en soi la liberté et conforter ce qui nous est définitivement irréductible constituent un défi presque insurpassable.

à cette noble fin, il est possible d'élaborer un certain nombre de directives qui pourraient s'avérer utiles à toute personne désireuse de ne pas se laisser submerger par le Grand Tout Social sans pour autant aspirer à s'en couper totalement. Attention, ce ne sont là que quelques trucs - le mieux étant que chacun dresse sa propre liste (et la complète au fil du temps)  :

    1) Usez et abusez de la stratégie de l'évitement :

- Mentez à tours de bras afin de vous délivrer de ce qui est à tort qualifié d'obligations sociales ;
- Esquivez toute amorce de polémique et fuyez les excités ;
- Changez de trottoir lorsque vous apercevez un collègue qui se dirige vers vous ; 
- Trouvez le courage de vous lever très (très) tôt le jour des départs en vacances afin de vous épargner l'impression dégradante d'aller parmi les autres ;
- Jetez, vendez, démollissez (qu'importe) votre téléviseur ;
- Autant que possible, tâchez de prendre vos déjeuners après les autres - avant, c'est encore mieux : le plat du jour n'a pas encore été liquidé ;
- Ne tenez compte qu'avec candeur des prix littéraires ;
- Surtout : apprenez à vous aimer seuls dans la foule.

    2) Goûtez l'incommensurable plaisir du contre-pied paradoxal :

- Calfeutrez-vous le samedi soir avec un livre de Swift ou de Diderot si vous êtes disposé à la malice - de Blanchot ou de Gracq si votre humeur est plus lasse ;
- Soupirez d'aise et fermez les yeux en allumant une cigarette devant des voisins de table ostentatoirement acquis à la (future) loi ;
- Ressortez vos camarguaises, dépoussirez-les, fixez-y un éperon et faites la nique aux Nike ;
- Regardez passer la communauté réjouie des rigolos rollers en priant secrètement que l'un d'entre eux choie sur le macadam et provoque un jeu de dominos à dimensions humaines ;
- Prenez hardiment la défense de Ségolène Royal quand elle est virilement attaquée sans pour autant cesser de déplorer le vide sidéral/sidérant de ses discours ni lui ôter une capacité qu'elle pourrait révéler une fois installée là-haut ;
- Marchez dans la rue d'un pas lent, ne vous focalisez pas sur vos pieds foulant le trottoir et orientez vos regards vers la voûte céleste ;
- Surtout : épousez celle que vous aimez, promettez-lui amour et fidélité - et tenez vos promesses.

    3) Assumez pleinement ce qui vous demeure inconsolable :

- Faites connaître Stendhal à qui ne jurerait que par Florian Zeller ;
- Dans le même ordre d'idée, parlez de Georges Brassens à qui se pâmerait devant Vincent Delerm  - ou faites écouter Ella Fitzgerald au fan de Norah Jones ;
- Regardez un film d'Henri Verneuil, considérez ensuite le jeune cinéma français contemporain et défaites-vous de l'idée selon laquelle les choses avancent en évoluant  ;
- Tenez la porte derrière vous, effacez-vous, laissez passer ;
- Et surtout : continuez d'ignorer Deauville, préférez Etretat.

(Photographie : Marc Heddebaux)

15 octobre 2006

Terre des ombres

Il me faudrait être une ombre pour que se défasse en moi ce qu'il y a d'inextricablement terrestre.

 

10 octobre 2006

Nathalie Ménigon, coupable à vie éternelle

Nathalie_M_nigon


À ceux qui estiment (ils sont nombreux, à en croire les enquêtes complaisamment diligentées) que la justice de ce pays est excessivement clémente, qu'elle fait la part trop belle aux escrocs, aux violeurs de petites filles et aux massacreurs de vielles dames, bref les salauds génériques dont ont besoin l'ordre civilisationnel pour se maintenir et une partie de la classe politique pour fidéliser ses ouailles terrorisées, il faut parfois tirer un peu les oreilles (afin de pouvoir y gueuler plus à notre aise et y faire entendre quelques bruits d'eau un peu différents).

Dans un très remarquable mouvement d'indépendance idéologique qui ne troublera que les benêts et les sceptiques, le Parquet de Paris s'est donc prononcé contre la demande de suspension de peine pour raisons de santé de Nathalie Ménigon, ancienne membre d'Action Directe (précisons toutefois, à la décharge du Parquet, que la loi lie celui-ci aux conclusions de deux expertises contradictoires qui, lorsqu'elles aboutissent à de semblables conclusions, s'imposent à lui ; ainsi ai-je en tête ce cas, que l'on m'a rapporté, d'un détenu atteint concurremment d'hépatite C, du sida, de neuropathie aggravée et de tuberculose, et dont les experts ont considéré que l'état n'était pas incompatible avec l'incarcération : tout juste ont-ils regretté que les escaliers de la prison l'empêchaient d'accéder au parloir avocat...). Bref. Les moins informés seront sans doute heureux d'apprendre que Nathalie Ménigon, quarante-neuf ans, condamnée à deux reprises à la réclusion criminelle à perpétuité assortie d'une peine de sûreté de dix-huit ans, est partiellement hémiplégique. Le précédent de Joëlle Aubron (comparse de Nathalie Ménigon, pour utiliser le vocabulaire vicieux de la grande presse), qui était atteinte d'un cancer et avait pu bénéficier in extremis d'une suspension de peine pour décéder moins de deux ans plus tard à l'âge canonique de quarante-six ans, n'aura donc pas fait d'émules.

Si je comprends bien, il semble que ledit Parquet et/ou les experts qui y sont attachés considèrent donc, de deux choses l'une :
- soit que l'hémiplégie dont est atteinte Nathalie Ménigon n'est pas grave, en tout cas bien moins grave que le cancer de Joëlle Aubron, et que les soins prodigués en prison sont d'une qualité telle (c'est bien connu) qu'on puisse en conscience l'y laisser (mourir) ;
- soit que Nathalie Ménigon constitue, nonobstant son hémiplégie, un tel danger pour la cohésion du pays très républicain qu'il ne saurait être question de la libérer et, ce faisant, faire courir à la France le risque d'une guerre civile.

L'argument est partout entendu, mais au moins a-t-il le mérite de l'évidence : une partie de la justice considère donc que Nathalie Ménigon demeure un danger public (au moins) plus important que Maurice Papon en son temps, condamné comme chacun sait pour complicité de crime contre l'humanité et libéré pour raisons de santé. Étonnamment, la fameuse "jurisprudence Papon" semble trouver en France bien peu d'occasions à s'appliquer, alors même que des centaines de détenus souffrent de maladies dont tout un chacun sait bien qu'ils en mourront - qu'ils en crèveront serait plus juste.

Il est heureux que le Parquet n'ait pas tous les pouvoirs - quoiqu'il y aspire. Reste donc au juge d'application des peines à rendre sa décision : rendez-vous le 24 octobre. Jusque là, la France terrorisée peut dormir sur ses deux oreilles. Après...

9 octobre 2006

Sa mort sera la mienne

Il y a la mort concrète, tangible et intangible - celle du corps enraidi sur son lit ou emmarbré sous sa terre : tristesse et solitude accompagnent ceux qui restent.

Mais il y a la mort de l'aimée, qu'on anticipe, plus que tout redoutée parce qu'on ne sait pas ce qu'elle cache, ce qui se dissimule derrière elle et s'apprête à nous sauter à la gorge, ni ce qu'on en fera, ni surtout ce qu'elle fera de nous : une mort autrement plus angoissante que l'autre réelle - et autrement plus angoissante que la nôtre propre puisque, morts à notre tour, nous n'éprouverons plus ni la souffrance ni la désolation. Il faut aimer l'autre comme personne, et comme jamais, pour éprouver un tel sentiment de panique. Pour peu que sa disparition devienne sujet de la conversation, ou, pire, pour peu qu'elle s'attache par indices sur le visage ou la chair de l'aimée, alors c'est le bloc de notre vie qui se retrouve pris au piège, condamné à un guêt de tous les instants. Alors l'idée se joue de nos états et fait alterner sans règle ni méthode l'espoir, fou, d'un ajournement infini du sort, et la crainte de le voir nous tomber dessus, imprévisible, toujours imprévisible - on a beau s'y préparer rien n'y fait, rien ne change rien à la brutalité de ce qui arrivera, à l'hébétude qui sera notre état. Il faut avoir résolu son existence en un seul être pour éprouver la profonde acuité de cette panique, pour accepter que notre vie, notre vie à nous, et quelle que soit la manière, s'arrêtera là parce que l'autre est parti ; pour accepter que fonde sur nous le poids du malheur, ce malheur qu'on apprend à reconnaître à force de s'y préparer, à force, finalement, d'y consentir - non dans un mouvement de consentement, mais dans ce geste de recul où la fatalité s'est nichée et qu'on appelle le renoncement. Nous habitons ce malheur alors même qu'il n'existe pas encore, qu'il n'est qu'une certitude ajournée, à chaque instant ajournée, et pour cette raison malgré tout présente, pleine à nous-mêmes dans la plénitude de son être-là.

Cette aimée n'existe pas pour tout le monde, il ne faut pas se raconter d'histoires : tout le monde n'y a pas accès. Peut-être parce que nous ne pouvons pas tous avoir notre double, notre commun génome, que nous ne pouvons pas tous avoir sur terre celle qui est à la fois notre origine et notre destination. C'est source de tristesse pour l'idée que nous nous faisons de la vie humaine. Et source de joie unique, exclusive, pour nous autres qui l'avons rencontrée. Mon dieu, que ferai-je ? Que serai-je ?

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