Mais qu'est-ce que ça dit ?
Dans la chronique moratoire donnée ce vendredi au Salon littéraire, il est question - ou semble être question - d'art, de pensée et d'enthymème...
Mais qu’est-ce que ça dit ?
On connaît ce mot de David Lynch, dans L’Express du 24 mars 1996 : « Je ne vois pas pourquoi les gens attendent d’une œuvre d’art qu’elle veuille dire quelque chose alors qu’ils acceptent que leur vie à eux ne rime à rien. » Bien sûr, on pourrait se satisfaire de lire cela comme une manifestation sauvage de méchanceté gratuite (quasi tautologie), mais on peut aussi décider (ce serait plus juste) d’y voir comme une déclaration d’intention, vive sans doute, rude concédons-le, d’ordre artistique et philosophique. Car il y a, dans cette forme renversée d’enthymème (je désespérais de pouvoir un jour utiliser ce mot), deux choses au moins : primo, que l’art n’a pas vocation à délivrer du sens, secundo que la vie humaine n’a pas de sens en soi – rigoureuse définition de l’athéisme. Soit deux des grands thèmes, autant dire deux scies, qui excitent les débats humains depuis des lustres. Débats qui d’ailleurs valent leur pesant autant que d’être posés.
Que la vie ne rime à rien, voilà qui me convient : charge à l’art de mettre tout cela en rimes. J’entends bien que Bach, qui n’est tout de même pas le moins génial de nos génies, trouvait une bonne part de son inspiration en Dieu ; reste que l’on peut bien la trouver, la dite inspiration, dans le rien. Cela donne Beckett, ce qui n’est pas mal non plus – ou Cioran, côté spiritualisme contrarié. Moralité, l’enthymème (bis) lynchien est imparable : puisque nul ne peut prouver que la vie a un sens – ou pas –, il nous est de fait impossible d’exiger d’une œuvre d’art qu’elle dise quelque chose. Ce qui n’induit pas qu’elle n’ait pas de sens : toute œuvre a, si ce n’est un sens, au moins du sens. Contrairement à la méchanceté (donc), une œuvre n’est jamais totalement gratuite : sauf à sombrer dans la pacotille, l’onanisme ou la décoration d’intérieur, elle porte une vision a minima, vision dont on ne saurait au demeurant attendre ou exiger de son auteur qu’il sache la penser ou en tirer argument dogmatique. Où la dite œuvre revêt un sens, c’est qu’elle ne saurait être seule expression de soi, mais sublimation de cette expression. C’est une des plaies de notre époque que de toujours vouloir confondre l’expression artistique avec une sorte de nécessité cathartique, voire éjaculatrice. Non, il faut remettre un peu de raison là-dedans, un peu de pensée. Et accepter que penser n’induit pas que ce que l’on pense a du sens.
La preuve.
Ah, je me suis bien amusé, aujourd’hui.