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Marc Villemain
20 février 2008

Lendemains d'indépendance

Kosovo___Lendemains_d_ind_pendanceNous ignorons ce que peut être la joie d'un peuple fêtant son indépendance : pour nous autres Français, cette histoire est réglée de longue date - nous comprîmes d'ailleurs assez mal l'émancipation de nos anciennes colonies. Nous ignorons tout de ce que peut ressentir l'individu qui, au contact de la chaleur de milliers d'autres, exprime la liesse d'une liberté qu'il estime avoir conquise ou recouvrée. Nous ignorons aussi, par la force de l'habitude, la joie qu'il peut avoir à contempler les symboles désormais officiels de ce qui manifeste à ses yeux l'unité de son peuple : le drapeau, l'hymne, les bâtiments officiels... ; l'histoire derrière nous, d'aucuns voient d'ailleurs dans ces signes extérieurs du patriotisme l'indice d'une certaine balourdise, d'un exotisme un peu ringard. La dernière fois que nous avons vibré au chant de la liberté souveraine des peuples, ce fut sans doute lors de la chute du Mur de Berlin : mais alors nous savions que l'événement impliquait bien davantage qu'un peuple circonscrit.

Ce qui fait peur et fascine, dans cette partie du monde où s'ancrent nombre de mythologies, c'est que plus l'histoire avance, plus il semble impossible d'en démêler l'écheveau. Inéluctable depuis 1991, l'indépendance du Kosovo a donc été proclamée dimanche, sans référendum ni consultation populaire : cette marque de fabrique conforte évidemment la rancœur de ceux qui s'y opposaient, mais l'argument ne sert guère que comme prétexte à alimenter la dispute. L'on dit des deux cents Serbes qui ont brûlé la nuit dernière deux postes-frontières qui séparaient la Serbie du Kosovo qu'ils sont des radicaux : cela paraît indiscutable ; il est fort à parier toutefois qu'ils ne représentent que la frange immédiatement active et visible d'un sentiment partagé par l'immense majorité des Serbes : sans le Kosovo, ceux-là ne reconnaissent plus leur pays. Que peut-on à cela, dans l'immédiat ? Rien. Absolument rien, si ce n'est engager un travail de très longue haleine en espérant que la ou les générations à venir parvienne(nt) à apaiser la part la plus ténébreuse de leur patriotisme. D'ici là, on ne peut guère que parier sur la police internationale et espérer qu'elle parvienne à chaque fois à faire tomber les fièvres. Rien n'est moins sûr pourtant : une génération a presque passé, qui a vu ses parents mourir, le plus souvent dans des conditions atroces, au nom, à tort ou à raison, de la sauvegarde de la nation ; or cette génération ne peut que constater que rien n'a été réglé, que l'explosion de la Yougoslavie et la partition qui s'ensuivit n'ont pas apporté la tranquillité et le développement attendus, que les infrastructures publiques sont par endroits exsangues (réseau de transports, postes et télécommunications, aide sociale...), et pire encore que les identités au sein de l'ancienne fédération ne se tolèrent guère davantage que par le passé.

Enfin, il y a le fameux effet de contagion. Et en effet, comment pourrions-nous faire le reproche aux Serbes d'éprouver un certain sentiment d'iniquité, quand la majorité des grands États du monde se rallie aussi facilement à une indépendance qu'elle refuse à d'autres ? Il est certain que la situation militaire, historique, politique et économique du Kosovo ne saurait être comparée à celle des Flandres, pour ne prendre que cet exemple très proche. Factuellement et sous quelque aspect que ce soit, aucun parallèle ne serait sérieux. Mais les faits sont aussi têtus que les mentalités. Et ce que quiconque peut retenir de l'épisode kosovar, dont la spécificité balkanique n'est pas contestable, c'est que le grand cycle des indépendances nationales ou infra-nationales dans le monde n'est pas clos, qu'il se poursuit et gagne du terrain. Les nationalistes du monde entier le savent bien, eux qui prennent soin de ne pas comparer des situations incomparables et savent bien que, dans les mentalités, dans la lecture inconsciente ou symbolique des faits, l'idée et la possibilité de se séparer d'un voisin haï, ou simplement encombrant, continue de faire son chemin.

Commentaires
F
Supprimer le statut de province autonome en 1989 a conduit à la résistance des albanais du Kosovo...<br /> Supprimer le régime de Milosevic a conduit à la montée du nationalisme serbe...<br /> <br /> Le 23 mars 1999, un pays, à la croisée Atlantique Europe et Proche-Orient, est bombardé, sans autorisation du Conseil de sécurité. Que sont devenus alors deux des principes fondamentaux du droit international, la souveraineté des Etats et la Charte de l'ONU ?<br /> <br /> Enjeux humanitaires,défense de la sécurité de l'Europe, hégémonie américaine ? <br /> <br /> Ne pas comparer des situations incomparables : qu'allons-nous dire aux Kurdes quant à la flexibilité des principes ?
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M
D'abord merci de ce que vous me dites, et que je ne me permettrai évidemment pas de commenter...<br /> <br /> Lors de cette fameuse coupe du monde, ce n'est en effet pas la liberté souveraine des peuples qui fut fêtée, mais l'ultime fantasme d'une unité patriotique. La forme fut ce qu'elle fut : à l'image de ce que nous sommes devenus et continuons de devenir...<br /> <br /> S'agissant du Kosovo, mon propos ne visait aucune édification. Disons que c'était un propos désolé. Je suis depuis longtemps assez touché par ce qui advient de cette région d'Europe, et de loin je me contente d'observer combien cela bout sous le couvercle que tentent, vaille que vaille et le plus souvent de manière désordonnée, de maintenir l'ONU, l'OTAN et l'Europe. Au lendemain de mon petit billet (cette nuit donc) de graves violences ont été perpétrés à Belgrade, et tous les Balkans sont concernés. Je suis dans l'incapacité de dire s'il s'agit d'une réaction épidermique à la déclaration d'indépendance du Kosovo, et si l'allergie passera au fil du temps et avec la perspective de l'entrée dans l'Europe, ou s'il s'agit d'une étincelle qui pourrait embraser autour d'elle. Ce qui est certain, c'est que Dayton n'a rien réglé.<br /> <br /> Quant à ce que vous dites de Paris, là encore je suis perplexe. Augmentée ou pas de sa périphérie, sa relation avec le reste du pays a toujours été plus ou moins vécue de la manière que vous dites. Mais ce n'est sans doute d'ailleurs pas toujours aussi caricatural : certes il y a de l'arrogance, un complexe de supériorité, mais pas seulement ; l'attrait pour la province est croissant, de même qu'une certaine usure de la grande ville. La montée en puissance des régions françaises contribue à un certain rééquilibrage. Cela étant dit, l'on ne saurait nier que Paris sort perdante dans la compétition avec d'autres grandes métropoles européennes, et que son cadre et ses limites territoriales y sont sans doute pour quelque chose. Ce ne sont là que de très grandes généralités, vous m'en excuserez.<br /> Cordialement. MV
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G
Cher Monsieur Villemain,<br /> Depuis le 25 juin dernier, je circule beaucoup sur les sites de canalblog, ou d’autres fournisseurs, et en particulier, en « piochant » dans la liste des « coups de cœur ». En l’occurrence, les choix des webmasters sont parfois surprenant…Aussi, je suis très agréablement surpris de trouver pour la première fois un blog sortant vraiment de l’ordinaire. Je vous félicite et vous remercie de votre présence dans ce milieu où vous avez plus a donner qu’à prendre.<br /> Vous écrivez : « La dernière fois que nous avons vibré au chant de la liberté souveraine des peuples, ce fut sans doute lors de la chute du Mur de Berlin… ».<br /> Il me semble que ce ne soit pas tout à fait exact : la dernière fois ce fut hélas, à ma connaissance, le jour où l’équipe de France de football a remporté la coupe du monde ! Ce qui était, à mon sens, symptomatique de la dégradation des valeurs dans notre Pays, pour ne parler que de lui. Peut-être s’agissait-il d’une ferveur organisée, mais elle avait mobilisé un étonnant pourcentage de la population.<br /> Vous écrivez : « Les nationalistes du monde entier le savent bien, eux qui prennent soin de ne pas comparer des situations incomparables et savent bien que, dans les mentalités, dans la lecture inconsciente ou symbolique des faits, l'idée et la possibilité de se séparer d'un voisin haï, ou simplement encombrant, continue de faire son chemin. ».<br /> A mon humble avis, les nationalistes de tous bords prennent soin de ne pas comparer des situations incomparables, certes, mais peuvent aussi bien comparer des situations incomparables, selon la voie qui leur convient dans le contexte du moment. Vérités et contrevérités sont d’un emploi très courant chez les dirigeants de ce monde. <br /> On ne peut que constater il est vrai, que l'idée et la possibilité de se séparer d'un voisin haï, ou simplement encombrant, continuent de faire leur chemin depuis la nuit des temps, sans avoir marqué un moment d’arrêt. Et la situation mondiale actuelle ne permet pas d’espérer une fin prochaine d’une inclination très enracinée dans l’être humain. Il y a des formes évidentes, comme dan les Balkans, l’Afrique, l’Asie, etc. mais je crains qu’il en existent de plus larvées, plus insidieuses. Je vais dire une bêtise, mais je n’en suis pas à une près : je pense que Paris, augmenté(e) de sa périphérie fait, plus ou moins discrètement sécession avec le reste de la France (nommée dès lors « Hexagone » pour la ramener à une entité géographique approximative) depuis une quinzaine d’années...<br /> Pardonnez mon bavardage, mais c’est le danger auquel vous vous êtes exposé en créant ce blog !<br /> Amicalement<br /> Gzormix <br /> http://motzamaux.canalblog.com/<br /> http://derisionpure.canalblog.com/<br />
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M
Je ne crois pas trop à ce genre de choses... Les empires ont changé en même temps que leur définition, ils se sont déplacés, la Puissance s'est éparpillée, les intérêts sont davantage imbriqués, etc... Mais il est déconcertant d'observer que cette région cristallise tous les paradoxes et tous les fantasmes européens depuis la fin du 19ème siècle, avec les tragédies que l'on sait. Les accords de Dayton n'ont pas réglé la situation, et on le savait au moment où on les paraphait ; ils étaient le moindre mal. Mais la politique n'est jamais que la mise en oeuvre du moindre mal ; ce qui est déjà beaucoup, quand elle y parvient.
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A
Peut-être sommes - nous au début d'une nouvelle ère de guerre, et pourquoi pas mondiale? Qu'on imagine l'empire russe désagrégé, et qui ne le tolère guère...<br /> <br /> Et revoilà le spectre de 1914...
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