Surlendemains d'indépendance...
A-t-on seulement idée de ce qui peut pousser plus de cent cinquante mille personnes à descendre dans la rue, du jour au lendemain - même si d'aucuns y ont manifestement été poussés - pour revendiquer "Kosovo", le "prénom" de la Serbie ? Nous est-il seulement imaginable qu'autant d'habitants de Belgrade, encouragés par des personnalités aussi réputées sur la scène internationale que Novak Djokovic ou Emir Kusturica (sans compter Alexandre Soljenitsyne), puissent à nouveau se tourner vers un ultra-nationalisme qui fut la cause de leur malheur dans la dernière décennie - entraînant avec lui le malheur décuplé des Bosniaques et des Croates ? Nous sommes loin ici du Stade de France : de toute évidence, la nation, là-bas, est recouverte d'un sens, d'une dimension et d'une mystique que nous ignorons, ou que nous avons appris à oublier. C'est d'autant plus troublant que nombre de manifestants semblent très jeunes : trop pour avoir connu la guerre de près, pas assez pour l'avoir oubliée - et pour avoir fait le deuil des grands frères ou des parents. Enfin ce qui est inquiétant, c'est que la "communauté" internationale est sans doute à ce jour aussi impuissante que l'auteur de ce blog... Faire miroiter l'adhésion à l'Europe est de toute évidence moins excitant que cela ne le fut, surtout quand la Russie est à ce point présente - ce qui nous renvoie à la dilution de l'Europe dans son élargissement, et qui, une nouvelle fois, donne raison à ceux qui ont toujours prôné son approfondissement. Reste que le pouvoir serbe, à commencer par son président Boris Tadic, devra bien choisir entre l'Europe et le Kosovo ; et composer pour cela avec un premier ministre, Vojislav Kostunica, autrement charismatique, qui rappela hier encore que "tant que nous sommes en vie, le Kosovo est la Serbie". De deux choses l'une, donc : soit, dans les tout prochains jours, au pire semaines, les autorités parviennent à limiter les dégâts et à borner la colère (à défaut de l'apaiser), soit s'ouvre une nouvelle période de très grande et très dangereuse déstabilisation, qui verra les Serbes, de Bosnie et du Kosovo, suivre le mouvement - et conforter ce qui fait déjà son œuvre dans d'autres régions du monde, du Kurdistan au nord de Chypre.