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Marc Villemain

29 juin 2007

Le visage du destin


Il se réveille un matin le visage en chiffon, la peau bouillie par le mauvais sommeil, le vin les cigarettes et l'angoisse, il sait que sa laideur n'a de momentanée que son exagération, qu'elle en conspire de plus enfoncées et cruelles encore. Qu'elle n'est que prophétique.

 

27 juin 2007

Il faut solder le consumérisme

soldes


C
omm
e chaque fois, c'est dans la rue que j'apprends 
« l'ouverture des soldes ». Ce matin, donc, trois longues files d'attente se répartissent avec ordre et discipline devant trois magasins de la rue du Dragon - que je traverse toujours pour rejoindre, à ma manière tout aussi disciplinée, le lieu de mon travail. Les patients consommateurs sont déjà très bien habillés, très bien chaussés, très bien peignés et très bien hâlés. Ma candeur est chaque fois prise en défaut, et chaque fois je me demande : mais que font-ils dans la vie qui leur permette de passer une matinée entière, au beau milieu de la semaine, à « faire les soldes » ? Où, comment, gagnent-ils leur argent ? Sont-ce tous des rentiers ? Quels besoins ont-ils de nouvelles robes, de nouveaux costumes et de nouvelles chaussures, puisque leur mise est déjà de très bon aloi ? Au même moment, dans la même rue, sur le trottoir opposé ou vingt mètres devant, scènes de la vie ordinaire. Une vielle gitane arrête les passants et leur propose l'aumône en échange de la bonne aventure. Trois Noirs fluorescents dans leur vert municipal dévident les grosses poubelles vertes de la rue dans leur bahut municipal, vert itou. Bloquant la rue, exaspérant les automobilistes, un livreur décharge son camion de lourdes caisses de bouteilles qu'il entrepose sur de lourdes palettes en bois. Les amateurs de soldes, eux, toujours patients, ordonnés et disciplinés, regardent le bout de leurs chaussures bientôt neuves.

22 juin 2007

Quelques mots sur "l'affaire Pierre Jourde"


727289Je l'ai pas lu encore, mais je ne doute pas un seul instant de la justesse et de l'authentique beauté de Pays perdu, ce roman de Pierre Jourde dont les personnages se sont retournés contre lui au point que la justice d'Aurillac a hier requis contre eux six mois de prison avec sursis. Le livre vient de loin, il s'imposait de toute évidence dans sa biblio-biographie, et je crois, nonobstant la rugosité et l'âpreté coutumières de l'auteur, à l'amour très sincère de Pierre Jourde pour ce village du Cantal où il vécut, et dont il croque sans complaisance les quelques habitants. Lesquels goûtèrent donc assez peu l'hommage qui leur fut ici rendu, et tentèrent de faire à son auteur une tête au carré qui faillit mal tourner. Je précise que j'ai un petit contentieux personnel avec Pierre Jourde et son acolyte Eric Naulleau, lesquels, profitant  naguère d'un portrait au vitriol (nécessairement) très convenu de Bernard-Henri Lévy, écrivirent à mon propos quelques mots très peu aimables dans un livre où il m'érigeaient en "maître du genre hagiographique" et me comparaient à une sorte de Pascal Obispo de la littérature. Ce dont je conclus à l'époque qu'ils connaissaient assurément très bien l'Obispo en question, mais qu'ils ne m'avaient manifestement pas lu. Cela étant, cela me fit sourire et, quoique que je ne goûte guère la compagnie des donneurs de leçons, je ne cultive à leur égard ni rancoeur, ni animosité. D'autant que tous deux occupent dans le paysage une place qui n'est pas vaine, qu'ils ont comme tout un chacun quelques très légitimes motifs de guerroyer contre le système, et surtout qu'ils peuvent se révéler fins stylistes.

La mésaventure de Pierre Jourde avec le petit village de Lussaud intéresse évidemment tout écrivain. Que cela lui arrive à lui, le castagneur émérite, peut certes ne pas surprendre davantage : on ne castagne pas sans chatouiller l'écho frappeur. Qui plus est, on imagine mal un écrivain comme Richard Millet connaître de telles tribulations, lui dont le chant d'amour pour les terres et les hommes du Limousin, chant qui n'exclut pas la crudité ou simplement la distance, ne pourra jamais soulever une telle détestation. Cela tient à un tempérament, bien sûr, mais aussi à une vision de la littérature et à ce qui meut l'écriture. Dire cela ne saurait évidemment être entendu comme une manière sournoise d'excuser la réaction des habitants de Lussaud : je tiens cela pour acquis, comme je tiens pour acquis que n'importe quel auteur doit pouvoir écrire ce que bon lui chante à propos de tout et de tous. Hormis cas extrêmement particuliers, et déjà bien répertoriés, on ne saurait limiter la liberté d'écriture et d'expression sans en bafouer le principe. Mais le plus intéressant, dans cette (petite) affaire, n'est pas tant la réaction de celles et ceux qui ont cru, fût-ce à bon droit, se reconnaître dans des personnages, qu'une façon de prendre ou de ne pas prendre la liberté de tout écrire. Je veux dire par là que tout écrivain sait au plus profond de son for intérieur que son écriture l'expose. On se demande toujours, en écrivant, si telle ou telle appréciation, tel ou tel trait, tel ou tel mot, ne blessera pas quelqu'un, à commencer bien sûr par quelqu'un que l'on pourrait aimer. L'injonction à se débarrasser d'une telle prévention est tout à fait théorique, et je défie quiconque d'écrire innocemment un roman où un père et une mère (par exemple) seraient dépeints comme d'ignobles brutes ignares, sans craindre que ses propres parents ne le prennent pour eux. Entrent ici des facteurs aussi complexes et infinis et entremêlés que la lâcheté, la pudeur, la compassion, l'amour, l'amertume, la vengeance, le regret, le remord, la culpabilité, le masochisme ou le sadisme, le souci de préserver autrui ou de se préserver soi-même. Et pour évoquer un auteur pour lequel j'ai la plus grande admiration, je me dis qu'il ne dut pas être toujours agréable d'être un membre de la famille de François Mauriac, lui qui puisa largement dans sa généalogie pour donner de la société familiale une représentation parfois impitoyable de justesse et de vérité.

Par éthique littéraire ou par nécessité, Pierre Jourde a sans doute fait preuve de courage en se refusant à la complaisance envers des êtres et un village qu'il aime authentiquement. Mais bien davantage encore, il a fait preuve de droiture envers son travail d'écrivain. Or si cela seul importe, c'est plus facile à dire qu'à faire. C'est que nul n'est contraint d'entrer dans les raisons d'un romancier, d'autant que le roman permet de faire ou de défaire des mondes où nul lecteur n'a jamais demandé à entrer. Résignons-nous, pourtant, il y aura d'autres "affaires Jourde", et sans doute de plus en plus nombreuses : les écrivains, habitants des dernières parcelles de liberté spirituelle, sont et seront forcément les cibles d'une société que désertent chaque jour davantage la morale et les exigences de la liberté.

13 juin 2007

Je suis un maillon de la chaîne


Je ne vois pas mieux qu'attendre son rendez-vous dans la salle d'attente d'une maison d'édition parisienne pour réaliser l'extrême humilité du statut d'écrivain. On y est toujours mécaniquement accueilli, sans égards ni regards, et on a toujours l'impression de gêner ceux qui travaillent à quelque tâche obscure et primordiale, empiler, tamponner et classer par genre les derniers manuscrits reçus, photocopier les documents comptables, mettre à jour les fichiers, préparer les réponses-types, distribuer dans les cases l'agenda de la maison, réserver une salle pour un cocktail avec un groupe "partenaire", annuler ou reporter un rendez-vous avec un auteur. On y est toujours assis dans un petit coin où ne reposent généralement guère plus de deux fauteuils (ici, un seul), à côté du pré-programme de la rentrée et des vieux magazines qui s'empoussièrent sur une table basse Ikéa. On s'y sent comme chez notre dentiste, et finalement c'est presque apaisant, ça nous remet à notre place. Il est rare, de nos jours, que les murs d'une maison d'édition transpirent la littérature. L'écrivain n'y est rien, juste un élément du dispositif. Un maillon de la chaîne.

13 juin 2007

Quel animal sommes-nous ?


Nous sommes des ânes qu'un peu de foin réjouit
: j'avais retenu ce mot d'une ancienne lecture de Christian Bobin. Sans doute parce que, pour une fois, il ne nous cherchait pas d'excuse.

6 juin 2007

Naissance de Keith Jarrett - et du jazz

Ratt-Invasion_Of_Your_Privacy-Frontal


J
e suis venu au jazz il y a assez longtemps. J'avais dix-sept ou dix-huit ans, et je commençais à être un assez bon spécialiste du heavy metal : j'animais des émissions dans les radios locales, je fréquentais les musiciens du cru, je collectionnais les maquettes de petits groupes français qui, pour la plupart, n'enregistreraient jamais rien d'autre, je montais mes propres groupes (pompeusement baptisés Excalibur ou Nemesis, et tous condamnés, dès leurs débuts, à ne jouer que pour deux copains dans un garage où nos petits amplis Peavey peinaient à faire entendre autre chose que du bruit), je peignais sur mon sac U.S. les logos de mes groupes préférés, j'ai vu la naissance du premier magazine spécialisé, Enfer Magazine (juste avant Metal Attack), je volais des trente-trois tours chez le seul bon disquaire de la ville, et quand je le pouvais je commandais des imports en Belgique. Nous étions en bas, dans la chambre de Cyril, sans doute vautrés sur la moquette, éclusant bières sur bières ; je ne sais plus ce que nous écoutions, peut-être bien le dernier Ratt, Invasion in your privacy. Pour je ne sais plus quelle raison, je suis monté à l'étage, peut-être pour chercher un pack supplémentaire, et sa mère, Nelly, qui faisait le ménage, écoutait en même temps une musique dont j'ignorais tout. Elle ressemblait à de la musique classique et je sentais spontanément qu'elle n'en était pas, c'était autre chose. Je ne pouvais me le formuler ainsi, mais je sais, aujourd'hui, que ce qui me frappa le plus, au-delà de la beauté intrinsèque de ce chant, au-delà du sentiment de transe que quiconque peut éprouver en l'entendant, c'est l'incroyable sentiment de liberté, musicale et spirituelle, qui en émanait. Je ne sais plus bien comment cela s'est produit. Je me suis retrouvé assis sur le canapé, et j'ai écouté (pas longtemps, Cyril s'impatientait, j'avais un peu honte.) Sur la pochette, un type chevelu avec une petite moustache était penché sur son piano, concentré, yeux fermés. Je suis redescendu headbanger avec Cyril, l'air de rien. Puis j'ai pris ma mob, un Ciao ou un 103, je ne sais plus, et suis allé au Mamouth du coin, celui qui longeait la rocade menant à La Rochelle. J'ai acheté la cassette, et des piles pour mon Walkman. C'est comme cela que je suis venu au jazz, avec le Köln Concert de Keith Jarrett.

Keith-Jarrett-The-Köln-Concert-1975

Depuis, jamais mon admiration pour ce musicien n'a faibli. Pas forcément d'ailleurs pour le Köln Concert, même si, bien sûr, j'ai conscience de ce qu'il représente, même si je connais les circonstances et les conséquences de cet enregistrement, même si c'est un disque remarquable, à bien des égards fondateurs. Mais Keith Jarrett a fait tellement mieux depuis, il a pénétré si loin dans d'autres profondeurs, qu'on n'écoute plus aujourd'hui le concert de Cologne que pour se remémorer une naissance, que pour recouvrer le goût de nos origines, un peu comme on retrouve un vieux document d'archives ou le témoignage d'une époque - fût-elle formidablement prometteuse. Car je n'ai jamais entendu un musicien dont la moindre seconde d'improvisation, dont la moindre phrase, la moindre note, soient à ce point chantantes, à ce point évidentes et cristallines. C'est ce qui est frappant chez cet artiste, outre son touché que, là encore, je n'ai jamais retrouvé chez aucun autre pianiste. Jamais aucune graisse, jamais d'enrobage. Tout s'impose en pureté, avec une science de l'harmonie dont on pourrait croire qu'elle est instinctive, et on se retrouve, l'écoutant, à chanter avec lui jusqu'aux micros-notes où ses longues phrases le conduisent. 

still-live

Un disque incarne tout à la fois le summum de son art et l'apogée du jazz tel qu'il me touche : Still Live, enregistré en 1986 avec ces deux accompagnateurs et complices hors-pair que sont Jack DeJohnette et Gary Peacock. L'évidence de leur union et de leur musique est telle que tous trois ne se sont plus quittés depuis trente ans. C'est mon entrée véritable, et naturelle, dans le jazz, il y a vingt ans. Le premier morceau y aura suffi, My Funny Valentine, tellement éculé, tellement chanté, repris par tous, dans tous les genres, et ici magnifié, sublimé dès les premiers accords, longs, introspectifs, patients, jusqu'aux dernières notes, celles qui s'épuisent en un décrescendo sublime, inconsolable, et finalement silencieux. Cette interprétation à elle seule justifie tout. Il n'est pas si fréquent de rencontrer des musiciens auxquels on doit bien davantage qu'un plaisir d'esthète ou de mélomane, ils se comptent le plus souvent sur les doigts de la main. Notre panthéon personnel s'épure au fil du temps : ce disque-là, cet artiste-là, y sont à demeure.

24 mai 2007

La solitude


On aime la solitude pour autant qu'elle ne nous laisse pas seuls avec nous-mêmes, pour autant qu'on la laisse libre d'en fréquenter d'autres et d'être entendue, parfois reçue par elles. On l'aime quand elle est une manière, la meilleure pour nous, pour notre besoin d'espace et de distance, d'accompagner le cours du monde. Elle nous abat dans l'instant même où nous n'entrapercevons plus notre silhouette dans le lointain.

22 mai 2007

Mourir, oui. Mais comment ?


Comme tout un chacun, il peut arriver que je pense à ma mort. Les moments perdus peuvent servir à cela. Il n'y a rien là de spécialement lugubre, plutôt quelque chose d'assez factuel. Simplement m'en représenté-je les lieux et conditions possibles. Sans doute n'est-ce pas véritablement moi qui y pense, mais elle qui me fait penser d'y penser. La nuance est importante : elle signifie autant qu'on se prépare à la mort qu'elle-même suggère que l'on s'y prépare. C'est comme dans une vie de couple : ça marche à deux.

Hormis l'imprévisible accident de la route (je n'ai pas de voiture), chute de vélo (que je ne pratique pas), ou coup de poignard dans une ruelle sombre (que je fréquente peu), l'infinité des manières de mourir peut sembler assez théorique. Aussi le plus probable, quoique loin d'être certain, est que nous mourions (est que je meure) d'usure, de fatigue ou de maladie. Ainsi me vois-je assez bien mourir, après une course effrénée avec mon chien sur les falaises d'Etretat, d'une petite défaillance du coeur ; le temps que les sauveteurs arrivent et qu'ils me transportent jusqu'à l'hôpital de Fécamp ou du Havre, le mal aura peut-être fait son boulot. Je peux aussi mourir du fait de poumons négligents ; la chose se produira alors dans un lit d'hôpital, après avoir pris le temps qu'il lui aura fallu ; mais je pourrais tout aussi bien mourir d'un mal à ce jour non encore diagnostiqué. Je pourrais aussi tomber dans l'escalier, sous le poids des cartons de livres (il faudra à ce propos, Marie, que nous réfléchissions assez précisément à la question du stockage). Ou, mais cela paraît peu vraisemblable en Normandie, parce que la sole n'était pas assez fraîche. Evidemment, ma statue se trouverait confortée si je pouvais trépasser à ma table de travail, rompu de m'être acharné plusieurs jours et nuits durant sur le grand livre qui bouleversera la littérature mondiale. Cette perspective est toutefois assez peu réaliste.

Il serait difficile de nier la part de vraisemblance de ces multiples projections. Pourtant, il est à parier que la mort trouve quelque ruse qui en vienne à bout. Le travail de préparation n'en aura pas été vain pour autant, les circonstances d'un décès n'ayant d'intérêt que dans le fantasme et le processus à l'oeuvre aboutissant de toute manière à la même chute. Ce qui est étrange, si l'on parvient à sortir des représentations doloristes ou tragiques de ce mauvais moment, c'est qu'on peut aisément en percevoir les vertus presque lénifiantes. Passer de l'état d'extrême vivant à celui d'absolu néant n'est pas une énigme, comme certains esprits romantiques pourraient le concevoir, mais un fait imperturbable - qualité qui lui donne précisément cet aspect ou cette dimension de grand apaisement. Un peu à l'image du calme serein qui semble régner à la surface de la lune.

Ensuite, il y a ce que l'on pourrait souhaiter. Aussi l'idéal, pour mourir dans quelque dignité, serait de le faire à la manière de ces animaux dont on dit qu'ils sentent venir la chose et, quelques jours ou semaines avant le gong, se défont de leur monde, lui tournent instinctivement le dos et s'en vont chercher l'arbre ou le coin de terre où ils expireront, seuls. C'est une très belle image de la mort, une de celles, en tout cas, qui s'approchent au plus juste de la communication qui s'est peu à peu établie entre elle et ce qu'il faut bien finir par désigner comme sa victime. Seulement voilà. S'il semble bien que cette représentation me corresponde relativement, si elle peut répondre à la part de fantasme que je ne peux réfréner à ce sujet, elle demeure insatisfaisante à ce stade. Car je voudrais à la fois pouvoir mourir seul et dans les bras de celle que j'aime. J'ai la solution du problème, et je l'ai trouvée dans la vie : un couple, un amour, c'est une solitude à deux. Ces deux solitudes aimantes n'en faisant plus qu'une, je pourrai alors mourir sans déranger mon monde, sans avoir à en essuyer le regard, et dans la compagnie la plus chère qui me soit. S'il ne s'agissait hélas d'en éprouver la fin, ce serait presque une image du bonheur.

9 mai 2007

(Petite) ville Lumière

J'ai passé bien du temps (trop, sans doute) à faire état de mes agacements politiques récents. La France a ce qu'elle mérite autant que ce qu'elle a voulu ; nous verrons bien, avec le temps, ce qu'il faudra penser de tout cela. Pour l'heure, notre nouveau président, non encore nommé, est en vacances luxueuses pour une soixantaine d'heures. Sans doute y avait-il plus adroit, et de meilleur goût, mais je ne vois pas là motif à une quelconque "montée au créneau". Les Français, d'ailleurs, s'en foutent - et même, à mon avis, lui donnent peu ou prou raison. Que le premier réflexe de la gauche (qui, en matière de faste et de somptuosité, n'est pas spécialement innocente) soit de retrouver ses traditionnels accents d'indignation morale nous donne une idée du chemin à parcourir. L'heure est donc à l'objurgation : l'analyse et le questionnement, préalables à toute refondation digne de ce nom, peuvent bien attendre encore un peu.

Tous, nous retrouvons un peu notre chez-nous. Le tumulte et la frénésie militante, avec ou sans carte politique, s'apaisent peu à peu. Les conversations en famille, les polémiques enflammées, les diatribes au zinc et les ferveurs spontanées s'espacent. L'exagération de soi, l'ampleur des certitudes, la boursouflure des opinions, les dispositions belliqueuses, parfois excommunicatrices, laissent place à une forme de distanciation quotidienne qui est aussi, disons-le, une manière de se situer dans le champ démocratique, voire de l'accepter. La France, son hymne, ses drapeaux, son imaginaire et ses slogans, rentrent au bercail des intimités - pour y sommeiller, et sans doute mûrir jusqu'aux prochaines échéances.

En écho, même très lointain, à cette séquence politique, je me suis fait l'autre jour cette réflexion que les grandes cités urbaines, que l'idée de la ville même, depuis toujours vecteurs, et vecteurs presque uniques, de la civilisation, sont devenues, au temps mondial du capitalisme, de dangereuses machines à destructurer les ontologies, à assécher les coeurs et à désorienter les projections de soi. Peut-être m'objectera-t-on que je me fais cette réflexion au moment où moi-même je me prépare à la perspective de quitter la ville : à cette aune, ma  réflexion n'aurait donc rien de conceptuel ou d'universel, et ne serait que le fruit de ma propre trajectoire. Possible. N'empêche : la ville a changé. Celle qui permettait hier que se nouent des solidarités de voisinage fomente aujourd'hui d'innombrables querelles dans nos tribunaux surchargés ; celle qui obligeait, par gestion bien comprise de l'espace, aux politesses et à la courtoisie que créent les cultures, échauffent désormais les esprits et les mots jusqu'à susciter des haines instinctives ; celle dont on pouvait vanter les promesses du brassage compartimente aujourd'hui comme jamais ; celle qui excitait les arts et les artistes charrie désormais la plus grande vulgarité consumériste ; celle qui offrait à l'individu l'incroyable luxe de se sentir seul dans la foule tout en demeurant solidaire de sa marche l'accule maintenant à regarder ses pieds dans la rue et à se terrer pour échapper aux regards - qui, tous, jaugent, jugent, et souvent condamnent.

Face à ce mouvement, que je crois régressif et par ailleurs bien loin d'être accompli, la France des villages et des petites villes, si elle accepte de considérer que la frontière du monde ne s'arrête pas à la clôture de son champ ou de son usine locale, pourrait bien incarner le lieu où non seulement l'individu peut se retrouver, mais où la collectivité peut apprendre à réapprendre les règles du savoir-vivre - et donc du savoir-vivre ensemble. Car je ne perçois rien du mouvement qui saura endiguer l'incroyable, l'indescriptible mouvement autodestructeur de la grande ville. Vient un temps où le retrait sur soi, qui n'est pas à confondre avec le repli, constitue une excellente manière de retrouver ce qu'il est d'usage d'appeler nos "fondamentaux". La mode, qu'attisent des bobos encore tout étonnés que la rude vaillance de la blogosphère n'ait pas suffi à couronner leur championne, est encore à la croyance en une ville riche de sa diversité, de ses chics friches industrielles, de son allure vive, jeune, puérilement provocatrice, de son frémissement permanent - comme on le dirait d'un coup d'état. Cet idéal, car c'en fut un, et des plus nobles, je crains qu'il ne soit devenu illusion, et, pour certains, simple idéologie. La réalité est peut-être que la ville a échoué, ou est en train d'échouer, non parce qu'elle porterait l'échec en elle-même comme le ciel les ténèbres, mais qu'elle est aujourd'hui l'accélérateur de tous les processus de destruction de ce qui, jusqu'à présent, faisait tenir les hommes ensemble. Ce qui était moderne hier, et qui, légitimement, jouissait de l'aura de ce statut, tend à se dégrader en processus crépusculaire. Autant dire en extincteur de Lumières.

26 avril 2007

THEATRE : Michaël Lonsdale et Patrick Scheyder - Le rêve

Micha_l_LonsdaleAprès tout, nous ne pouvons nous en prendre qu'à nous-mêmes (enfin, surtout à moi...) : plutôt que de laisser notre oreille sagement collée à France Inter afin d'y entendre les premiers résultats et tirer in vivo les enseignements du premier tour des présidentielles, nous avons choisi de faire preuve d'une coupable distance et de ne pas accorder une miette aux fauves. Il y aurait donc une justice en ce bas monde politique : elle fut payée au prix fort. Nous avons bien ri, toutefois, et ce fut irrépressible (n'est-ce pas, M. ?), ce soir du 22 avril...

Que voulez-vous : j'adore Michaël Lonsdale. Ses airs d'affreux mystique, ses oeillades de loup-garou, sa dégaine célinienne, absente au monde, lointainement féroce, ce géant démantibulé qui, n'était son masque de bon grand-père un peu las de la vie, ferait trembler n'importe quel enfant. J'avoue pourtant que, ce soir, le mouvement instinctif et premier de l'admiration a trouvé à qui parler. D'accord, j'aurais dû me méfier du titre : "Le rêve - Un spectacle musique, théâtre et création végétale". J'ai préféré y voir de l'ironie - et c'en fut bien dépourvu. Et puis on nous promettait des lectures de Musset, de Sand, de Breton, d'Artaud, Apollinaire - et de Duras ! alors j'ai pensé à vous... Et des poèmes de Tardieu, souvenir de mon oral du bac, il y a... si longtemps. Je ne connaissais pas le pianiste, Patrick Scheyder, mais on annonçait Schubert, Liszt, Chopin - pauvre Chopin, liquéfié en sirop sous la pédale. J'avais pensé que... eh bien j'avais mal pensé ; c'était nul, voilà tout. Ce n'est pas très gentil de le dire ainsi (je vous ai dit : j'adore Lonsdale), mais c'est la vérité, c'est pas facile.

Patrick_ScheyderOn l'a vu arriver de loin, de la terrasse du café où nous attendions notre heure (et elle viendra), un peu hagard, traînant son pas monacal sur le bitume des hommes. Eh bien c'est ainsi qu'il s'est présenté, trente minutes plus tard, dans son habit de ville, le pantalon taché, les godasses un peu minables. En fait, il n'était pas sur scène - et nous non plus. Il n'a fait que faire ce qu'il fait sans doute chez lui, lire à voix haute quelques textes qu'il aime - et dont il s'est dit, ici, qu'ils avaient peut-être, à bien y regarder, peu ou prou, un lointain rapport avec le rêve. Lecture improbable d'ailleurs, hésitante, incertaine, oublieuse, butant sur les mots, interrompant les phrases ; lecture inutile. Et l'air inspiré du pianiste, derrière, cheveux longs sur calvitie, l'oeil surjouant sa poésie éthérée, posture lourde, théâtrale, fausse inspiration. Ah, quel dommage ! Avec ce physique, cette voix de flûte des cavernes, ce mysticisme hagard et prophétique qu'il balade avec son ombre, Lonsdale avait tout ce qu'il faut pour redonner à ces textes leur profondeur historique, leur éclat littéraire. Il ne parvint, hélas, qu'à nous faire rire sous cape. Vous, réprimant à grand peine votre pépiement atterré, moi prenant l'air affecté de celui que ne veut en rien troubler l'artiste, et lui, donc, assis sur sa chaise, inaccessible, spasmodique, nous soutirant par moments un peu de notre instinctive compassion. Bon, moi je le trouve touchant malgré tout : j'ai entendu le chant d'un cygne. Mais j'avoue que cela ne fait un spectacle.

Au moins il faisait bon, sur la petite scène du théâtre noir, les gerbes d'arômes et de roses jonchant le sol - et pour certaines défraîchissant ou s'écroulant lentement. Lonsdale se lève, contourne le piano, se glisse derrière lui, on n'aperçoit plus que le haut de son buste, et sa grosse tête perdue dans les feuillages (la mise en scène "végétale"). Lentement, très lentement, mais il est sans doute authentique, tant nous n'existons pas pour lui ce soir, tant il n'est que ce qu'il est, il lève le bras droit, tend la main vers la feuillaison, entreprend de caresser une pauvre et vieille feuille jaunie, à la humer, peut-être cherchant lui-même à rejoindre la nature. Tout est stoïque chez lui, sans expression, abattu ou mort. Et puis, tout à coup, une petite saillie, une humeur, un petit hochet suraigu, une tirade de faussaire, une réminiscence fluette. C'est drôle, excessif, puis ça retombe. La litanie reprend. Retour à l'extinction, du visage, des traits, de la voix, abattement, et à nouveau, voûté sous la voûture des feuillages. Le spectacle prend fin, Lonsdale retrouve le sourire, et on retrouve, nous, le bon vieux grand-père un peu las de la vie, une malice enfantine toutefois, et il nous sourit vraiment, et devant lui on passe à la queue leu-leu, et il nous offre, à chacun, à tous, en plus du petit mot aimable, une rose, un arôme, un sourire. Tout le monde s'en va. Je pense qu'il ne se change pas, il repart, lui aussi, comme il est venu j'imagine, il est sorti de chez lui, c'est déjà beaucoup. Et il emmène avec lui l'indicible, l'indiscernable, cette tête étrange faite d'étrangetés visionnaires ou mystiques - il y a, je persiste à le penser, du Artaud dans ce cerveau. Et nous, nous partons retrouver la terre des hommes. Qui a gagné, au fait ?

25 avril 2007

Le pouvoir rend fou


Je m'étais pourtant juré de ne pas y revenir, et de ne plus évoquer cette campagne...

Hier en fin d'après-midi, vers 18 heures, Jean-Luc Mélenchon fait savoir qu'il quittera le parti socialiste en cas d'alliance avec l'UDF. Trois heures plus tard à peu près, lors d'un meeting à Montpellier, Ségolène Royal invite les électeurs de François Bayrou à construire autour d'elle une France "arc-en-ciel", avant de déclarer aux journalistes que, "bien sûr", elle prévoit d'intégrer des ministres UDF dans son futur gouvernement. Dans la salle du meeting, discret mais accompagné de quelques amis, Georges Frèche rayonne, bien que dénoncé comme raciste et conséquemment exclu du parti socialiste trois mois auparavant. L'impératif de cohérence n'étant que de peu d'importance dans cette campagne électorale, Ségolène Royal, acclamée pour son ouverture au centre qualifiée quarante-huit heures plus tôt "d'immorale" par Jack Lang (qui y voyait de quoi justifier l'exclusion de Michel Rocard), "d'inadmissible" par Pierre Mauroy, de "mystification" par Lionel Jospin, et "d'alliance de circonstance" par François Hollande, déclenchait concurremment une standing ovation en remerciant "du fond du coeur" l'extrême-gauche, et spécialement Arlette Laguillier. Comprenne qui pourra.

Admettons que j'admire la performance, pour faire plaisir aux petits Machiavel qui pullulent dans les réunions de section. Mais comment peut-on proclamer l'urgence de la rénovation politique et injurier de la sorte plusieurs millions d'électeurs ? Ceux qui ont voté pour Ségolène Royal, arguant à qui mieux-mieux que François Bayrou était "de droite" et qu'à ce titre jamais aucune alliance ne serait envisageable ? (et comment font-ils, au passage, victimes d'aveuglement, de schizophrénie ou de cynisme, pour, dans le même temps, applaudir à "l'ouverture" au centre et acclamer Arlette Laguillier ?). Ceux encore qui ont voté pour François Bayrou, que l'on a montrés du doigt comme "complices de Sarkozy" et qui se découvrent aujourd'hui tant de nouveaux amis, qui tous assurent partager exactement les mêmes valeurs qu'eux ? Et comment feront-ils pour voter, ceux qui refusaient d'avoir à choisir entre Bayrou et Sarkozy, maintenant que Royal a promis des ministres bayrouistes ?

Au-delà de la très relative crédibilité et authenticité de cette démarche d'ouverture, ce qui frappe est donc et d'abord sa parfaite indécence. Or cette indécence a une origine : ce qui meut le parti socialiste, au fond, et nonobstant la sincérité initiale des engagements individuels, c'est la seule conquête du pouvoir. Le PS, depuis 1981, ne se vit plus que comme un parti de gouvernement - il n'est d'ailleurs pas un parti d'élus pour rien. Seule importe la victoire de leur étiquette - et tant pis si le sens y perd des plumes, si la doctrine change au gré du vent ou des humeurs, s'il faut tordre le cou à Jaurès, aux électeurs ou aux engagements de campagne, ou s'il faut ajourner encore le questionnement sur le monde, et sur soi.

24 avril 2007

Gouverner, c'est effacer


Le dimanche 24 septembre 2000, le monde politique et médiatique est en émoi : Dominique Strauss-Kahn aurait été en possession de la "cassette Méry", du nom de ce promoteur immobilier, décédé quelques mois plus tôt, qui, dans une cassette vidéo, confessait tout ce qu'il savait du financement du RPR. La cassette est depuis passée à la postérité, et on dit qu'elle faillit faire chuter la république : il y avait du boulangisme dans l'air. Dominique Strauss-Kahn, alors ministre de l'Economie et des Finances, vit un grand nombre de ses amis socialistes prendre la tangente et quitter le navire, fût-ce à reculons. L'une de ces dits amis, aujourd'hui candidate à la présidence, réagit immédiatement en alléguant que, "en politique, on est là pour servir, pas pour se servir". D'autres faisaient état de leur "nausée", dénonçaient les "turpitudes" du camarade DSK, l'accusaient de "polluer la vie publique", philosophaient en considérant que "les gens bêtes ont des réflexes quand les gens intelligents ont tendance à faire les malins", d'aucuns allant jusqu'à évoquer la Haute-Cour de Justice. Foin de présomption d'innocence, foin du moindre début d'enquête, courage fuyons, et sauvons nos têtes. Nous fûmes quelques-uns, à la demande de Dominique Strauss-Kahn, à tenir la liste noire de ces amis défectueux. Et puis le temps passa, la "nausée" s'estompa, les amis revinrent, le plus souvent la queue entre les jambes, et la "vie politique" reprit ses droits. Dominique Strauss-Kahn, pour continuer, devait passer l'éponge, effacer.

Depuis avant-hier, nous sommes entrés dans le deuxième temps de l'élection présidentielle. J'allais dire du deuxième round, tant la confrontation politique a désormais des allures de compétition sportive, tropisme largement relayé par des médias qui ne considèrent plus la dispute entre Royal et Sarkozy que comme une "finale". Mais passons. Deux mois durant, les principaux appareils politiques se sont coalisés contre François Bayrou en faisant preuve à son égard de mépris, quand ce n'est pas d'arrogance. L'un parlait de lui comme de "la caricature du cynisme et de l'opportunisme", l'une déclarait qu'il était "une forme d'imposture" - elle lui a laissé hier un message sur son téléphone portable "par simple politesse", quand l'autre tentait de le joindre pour le féliciter de son bon score. Soudain, comme par enchantement, François Bayrou, qualifié deux mois durant d'homme de droite ou d'homme de gauche, c'est selon, se retrouve dans la position de celui avec qui on pourrait, sans déplaisir, "construire des convergences autour d'une volonté de rénovation". La démarche est "sans arrière-pensée et sans a priori", mais cela va de soi.

N'épiloguons pas davantage, et ne nous faisons pas plus naïfs que nous le sommes. Je ne m'attendais pas à autre chose. N'empêche : quoique prévu, ce revirement, que dis-je, ce reniement, cette cabriole, cette palinodie, sont pour le moins renversants, et non dénués d'indignité. Mais quelle importance, puisque le politique, très largement secondé par le zapping médiatique, peut amplement compter sur l'oubli, le bon peuple se trouvant noyé sous la masse des informations, des commentaires et des ouvertures de JT. Celui dont on a dit, non sans aplomb, et avec l'autorité de l'argument définitif, qu'il ne pouvait pas être un allié puisqu'il avait toujours été "de droite", se retrouve le lendemain dans le rôle désirable du magnifique allié qui "partage nos valeurs" ("pas toutes", concède toutefois Jean-Pierre Chevènement). Parce qu'il l'avait exprimé quelques jours trop tôt, Jack Lang a, de manière sibylline, suggéré l'exclusion de Michel Rocard.

Mon souci de ne pas laisser la France entre les mains de Nicolas Sarkozy me conduira à un vote sans surprise. Mais tout de même, les militant socialistes ne se sentent-ils pas injuriés ? Comment s'y retrouvent-ils, ceux qui ont tenu la ligne pendant deux mois (à gauche toute ! Bayrou/UMP même combat !), et qui doivent maintenant, sur les marchés, à la sortie des métros, au zinc des bistrots de France, expliquer désormais que Bayrou et la gauche, c'est (quasiment) la même chose ? Que nos programmes sont très proches ? Que nos valeurs sont communes ? Que nous avons la même vision des questions sociales ? Environnementales ? Européennes ? Comment vont-ils faire ? Ils vont effacer. A leur charge, ensuite, d'accepter que leurs paroles d'hier ne les engageaient guère, qu'elles n'étaient que spectacle, élément du jeu, folklore. C'est la triste leçon que connaît tout militant : s'il veut gouverner, il lui faut accepter d'effacer - ce qu'il fut, ce qu'il dit, ce qu'il professa, ce qu'il fit semblant d'être.

17 avril 2007

Situation de Calaferte

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Je reviendrai plus longuement, dans le prochain numéro du Magazine des Livres, sur "Situation - Carnets XIII - 1991" de Louis Calaferte (éditions L'arpenteur). Je me contente pour aujourd'hui de quelques mots qui résonnent assez bien dans cette période, qu'étrangement l'on dit "d'élection"...

- L'exhibition du spectacle - en vue d'un irréel recomposé selon des directions de vraisemblance.

- L'une des caractéristiques de la violence est d'être vulgaire. C'est sa nature même, puisque, s'exerçant dans le langage, elle le corrompt.

- On ne peut avec ces intelligences que donner des leçons ou se taire.

- Il voit grand et pense petit.

- Il faut aimer la liberté dans ce qu'elle a d'imprécis, de fantaisiste, d'irréfléchi - et savoir que les choses finissent immanquablement par se mettre en place.

13 avril 2007

Enfin !

Enfin une parole forte et sensée dans cette détestable campagne électorale : celle de Michel Rocard, dans Le Monde, appelant à un accord, sans plus attendre, entre Ségolène Royal et François Bayrou.

Une victoire de Nicolas Sarkozy, sur les thèmes et propositions de Jean-Marie Le Pen, comme tout semble devoir l'annoncer, nous n'aurons plus, en effet, "aucune excuse".

11 avril 2007

Quand le coq déchante

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Que dira l'histoire de ce temps électoral ? Que diront les livres d'histoire, les manuels scolaires ? Impossible de ne pas se poser la question avant de voter : l'épiderme national est à vif, la société hystérisée, et de ce chaos permanent rien de bon ne peut sortir. Je suppose qu'on nous regarde,
d'Europe ou d'ailleurs, avec des yeux un peu éberlués (si tant est qu'on nous regarde.) Nous faisons comme si le monde et l'Europe n'existaient pas, comme si le Mur de Berlin n'était pas tombé, comme si la Chine dormait encore, comme si la Russie avait fait sa mue démocratique, comme si le progrès technique pouvait suffire à résoudre ou même à apaiser les angoisses de l'humanité, comme si nos arts et notre culture évoquaient encore quelque chose à qui que ce soit, comme si la France était encore un phare. La vérité est que nous menons une campagne provinciale dans un monde auquel nous opposons chaque jour une protestation de déni. Nous nous offrons à bien des désenchantements, mais nous le faisons avec notre gouaille légendaire, fiers de notre mauvaise humeur et de nos ergots arcboutés. Nous mettons le monde en slogans et daignons à peine porter un regard sur notre continent. La réconciliation avec nous-mêmes ne nous intéresse pas : seuls nous fascinent le goût du sang et l'odeur de la poudre - celle qui explose sur les plateaux d'une télévision acquise aux ordres du marché et dans les colonnes de journaux que passionne la philosophie politique de tel ou tel chansonnier. Nous voudrions pouvoir sauter en marche du train de l'histoire, mais nul ne le peut. Alors nous continuons à aller de l'avant, sans rien entrevoir de notre destination.

4 avril 2007

Marty Friedman au Trabendo : mortel ! (comme on le dirait de l'ennui)

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l semble que les queues de cheval eighties qui aimèrent en leur temps ce navet culte que fut Top Gun se soient données rendez-vous hier soir au Trabendo, à la Villette. Y était annoncé Marty Friedman, guitariste américain tombé dans la guitare après avoir passé sa jeunesse à écouter Kiss et les Ramones - et avant de connaître le succès quasi planétaire avec Megadeth. Eh bien ce fut très, mais vraiment très ennuyeux. Les quelques amateurs de guitare qui, bouche bée au premier rang, tentaient de relever quelques accords ou positions, devraient passer à autre chose : décidément, Friedman n'est pas le Coltrane de la guitare heavy. Je suis un peu sévère, mais deux petites heures en sa compagnie suffisent à constater qu'il n'a rigoureusement rien inventé. Quant à ceux
(c'est un peu mon cas...) qui avaient juste envie de regarder cinq doigts descendre le manche d'une six cordes à la vitesse de la lumière et d'en prendre plein la poire, ils peuvent également trouver motif à déception. Ce qui manque le plus à ce guitariste (dont je ne voudrais tout de même pas laissé entendre qu'il n'a pas de talent, car il a indiscutablement une technique et une oreille), c'est l'inventivité. Celle de son jeu comme celle de sa musique, qui s'avère très convenue - globalement, un mélange de vieux rock hyper-speedé et d'harmonies sirupeuses dont on se dit qu'elles auraient pu faire la bande-son de Deux flics à Miami ou de Dawson.

Outre que le beau Marty est un peu agaçant, genre petit teigneux prétentieux qui jette son médiator au public chéri après chaque solo et ponctue toutes ses phrases d'un all right compulsif, sa musique est aussi lourde qu'une plaquette de beurre distillant ses graisses dans un kouglov - bon, d'accord, je sacrifie un peu au plaisir du bon mot. A sa décharge, il faut dire qu'il prend le risque d'un genre assez peu usitée dans le heavy : l'instrumental. Or il faut pour cela ne pas tomber dans le piège qui consiste à jouer le thème à la guitare comme s'il était chanté, sauf à ce que le thème soit particulièrement inspiré, ce qu'il est rarement ici. Il y a certes quelques bons moments, quand Friedman lâche un peu son jeu et allège une musique dont la caractéristique principale est tout de même d'être très excessivement carrée, ne laissant pour ainsi dire aucune place à l'aléa de la liberté. Il est heureusement soutenu par le second guitariste (Ron Jarzombek), moins connu, plus réservé, mais au jeu très appréciable, aussi vif et précis que celui de la star. Pour ce qui est des autres, mon vieux complice Lionel, qui s'acharne, non sans un certain sens du sacrifice, à m'accompagner dans mes errances metalleuses, me fit remarquer que le bassiste (dont l'instrument semble être doté de deux cordes superflues) a l'air d'avoir été croisé avec un bouledogue. Quant au batteur, dont les tatouages font office de tee-shirt, il joue exactement comme le ferait un métronome : c'est une enclume qui aime le bruit (les fûts), et assez peu la finesse (les cymbales).

Je le disais, la musique exclusivement instrumentale est un défi pour les musiciens de metal. Ne parviennent à le relever que ceux dont la culture est plus large sans doute que celle de Marty Friedman et qui se sont ouverts à d'autres horizons que le seul rock US. On peut penser ici à ce vétéran qu'est Uli Jon Roth, même si son amour de Vivaldi est parfois un peu écoeurant : au moins est-il sincère, grand musicien, fin compositeur, et n'hésite-t-il pas à sortir des sentiers battus. On peut penser aussi aux longs passages instrumentaux de Dream Theater, parfois un peu tarabiscotés, mais empruntant plus ou moins consciemment à un jazz-rock qui leur permet d'ouvrir largement la palette sonore et de se jouer des registres harmoniques. Toutes choses qui, hélas, font défaut à Marty Friedman, dont nous attendons toujours le grand oeuvre - et au passage la preuve qu'il aime autant la musique que son instrument.

Son nouvel album s'appelle Loudspeaker. Voilà qui convient parfaitement.

3 avril 2007

Vol en vol

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ien de plus joli que ces moineaux qui, tournant la tête aux pigeons un peu trop bien nourris du jardin du Luxembourg, saisissent en l'air et dans leur vol la mie que je leur jette.

 

2 avril 2007

La perle du jour


Elle revient à Nicolas Sarkozy, déclarant ce matin : "En ce qui me concerne, je ne suis ni énarque ni agrégé, ça me permet de ne pas être démagogique". Je traduis : "Je n'ai ni formation, ni culture, donc je suis proche des réalités." Ou encore :" Plus vous en savez, moins vous en savez."
Le bon peuple appréciera ce bel élan lyrique qui, en effet, n'a rigoureusement rien de démagogique.
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28 mars 2007

Habillé pour la vie


Il se laisse facilement, tranquillement, presque douillettement envelopper par la fatigue de vivre. Il lui suffit, alors qu'il s'éveille, de regarder et d'écouter alentour. Il sait que l'acharnement à vivre n'est plus compatible avec la mission d'exister.

Dit avec davantage de talent - celui de Louis Calaferte (Situation - Carnets XIII - 1991) : "Clairement concevoir l'essentiel de la vie - s'y tenir."

27 mars 2007

THEATRE : Retour au désert -Bernard-Marie Koltès

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Alors que l'étoffe bleu/blanc/rouge semble vouloir recouvrer quelque vigueur (électorale) aux balcons de la francité, l'entrée de Bernard-Marie Koltès au répertoire de la Comédie Française, avec une pièce sur les séquelles de la guerre d'Algérie, a quelque chose du pied de nez dont on aurait grand tort de ne pas se réjouir. Reconnaissons donc à Muriel Mayette qui, au "Français", a succédé à Marcel Bozonnet dans les conditions que l'on sait, une certaine iconoclastie. Il peut certes paraître étrange de faire entrer Koltès au répertoire avec une de ses très rares pièces qui fût une comédie. Mais on nous rétorquera que Molière fait figure en ces lieux d'auguste prédécesseur, ce qui n'est pas un mauvais argument ; ce choix, de toute façon, n'est pas ce qu'il importe de discuter. 

Car notre gêne vient d'ailleurs. Il semble en effet qu'on ait cherché à purger ce texte de sa part de drame pour n'en faire saillir que les reparties les plus allègres, les situations les plus cocasses ou les scènes les plus boulevardières (qui ne sont pas, loin s'en faut, les plus abouties). Sans doute le texte est-il volontairement hétéroclite, sans doute joue-t-il sciemment de la confusion des registres et de l'immixtion de l'onirique dans le réel, sans doute même était-il de la volonté de l'auteur de nous faire rire, fût-ce en grinçant. Mais cela n'explique pas une mise en scène que les velléités de modernité font parfois chuter trop bas. Je pense ici à la déclamation de Martine Chevallier, pantalon en jean devant le rideau rouge, tenant à la main un micro à la réverbération exagérée, numéro d'animateur dont je ne m'explique toujours ni le sens, ni l'intérêt artistique. Ou encore à ces scénettes qui confinent aux sketchs, c'est-à-dire où le comique de situation et de posture emporte le fond tragique. Et il faudrait dire un mot aussi de l'apparition dans le ciel d'une ancienne épouse décédée, selon un procédé qui n'a, lui, rigoureusement rien de moderne, mais qui au contraire ferait s'esclaffer dans le moindre vaudeville. Tout cela ne crée pas même une atmosphère, qui aurait pu être réussie à force d'être singulière, mais interdit au contraire que toute ambiance s'installe. A force de ne plus savoir s'il faut ou pas sourire, à force de douter du rire, on perd le fil de l'action pendant que le texte perd de son sens. La légèreté et le premier degré rendent l'ensemble grotesque, quand le grotesque se serait satisfait de n'être que suggéré.

Kolt_s___Retour_au_d_sert__2_Bien entendu, tout n'est pas aussi décevant - pas mauvais, décevant. Même si on peut avoir l'impression que les acteurs peinent à s'y retrouver (et comment ne pas les comprendre ?), ils font preuve d'énergie, et d'abnégation. Michel Vuillermoz est assez magistral dans son rôle de nouveau riche arrogant et cynique, et Grégory Gadebois est parfait dans le rôle du fils paumé, tétanisé par le père, fantasmant une émancipation qui passerait par la prise de l'uniforme. Bref, les acteurs ne sont pas vraiment en cause, mais c'est un peu comme si eux-mêmes échouaient à trouver la bonne voix, le bon espace, le bon créneau. Même Catherine Hiegel, évidemment très juste, me semble pourtant légèrement en retrait, et je ne crois pas que cela tienne seulement au fait qu'elle n'ait ici qu'un second rôle. Reste que la mise en scène de cette pièce était sans doute un défi, tant l'auteur lui-même a pris un malin plaisir à mélanger les genres et les registres. Mais si elle passe à côté, sans doute est-ce d'avoir opté pour une lecture exagérément immédiate, littérale. La musique, composée pour l'occasion par Michel Portal, permet d'habiller les changements de scènes et de redonner une profondeur inquiétante à la pièce. Mais ce n'est pas suffisant, et surtout cela ne tient pas très longtemps. Dommage.

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