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Marc Villemain
24 avril 2007

Gouverner, c'est effacer


Le dimanche 24 septembre 2000, le monde politique et médiatique est en émoi : Dominique Strauss-Kahn aurait été en possession de la "cassette Méry", du nom de ce promoteur immobilier, décédé quelques mois plus tôt, qui, dans une cassette vidéo, confessait tout ce qu'il savait du financement du RPR. La cassette est depuis passée à la postérité, et on dit qu'elle faillit faire chuter la république : il y avait du boulangisme dans l'air. Dominique Strauss-Kahn, alors ministre de l'Economie et des Finances, vit un grand nombre de ses amis socialistes prendre la tangente et quitter le navire, fût-ce à reculons. L'une de ces dits amis, aujourd'hui candidate à la présidence, réagit immédiatement en alléguant que, "en politique, on est là pour servir, pas pour se servir". D'autres faisaient état de leur "nausée", dénonçaient les "turpitudes" du camarade DSK, l'accusaient de "polluer la vie publique", philosophaient en considérant que "les gens bêtes ont des réflexes quand les gens intelligents ont tendance à faire les malins", d'aucuns allant jusqu'à évoquer la Haute-Cour de Justice. Foin de présomption d'innocence, foin du moindre début d'enquête, courage fuyons, et sauvons nos têtes. Nous fûmes quelques-uns, à la demande de Dominique Strauss-Kahn, à tenir la liste noire de ces amis défectueux. Et puis le temps passa, la "nausée" s'estompa, les amis revinrent, le plus souvent la queue entre les jambes, et la "vie politique" reprit ses droits. Dominique Strauss-Kahn, pour continuer, devait passer l'éponge, effacer.

Depuis avant-hier, nous sommes entrés dans le deuxième temps de l'élection présidentielle. J'allais dire du deuxième round, tant la confrontation politique a désormais des allures de compétition sportive, tropisme largement relayé par des médias qui ne considèrent plus la dispute entre Royal et Sarkozy que comme une "finale". Mais passons. Deux mois durant, les principaux appareils politiques se sont coalisés contre François Bayrou en faisant preuve à son égard de mépris, quand ce n'est pas d'arrogance. L'un parlait de lui comme de "la caricature du cynisme et de l'opportunisme", l'une déclarait qu'il était "une forme d'imposture" - elle lui a laissé hier un message sur son téléphone portable "par simple politesse", quand l'autre tentait de le joindre pour le féliciter de son bon score. Soudain, comme par enchantement, François Bayrou, qualifié deux mois durant d'homme de droite ou d'homme de gauche, c'est selon, se retrouve dans la position de celui avec qui on pourrait, sans déplaisir, "construire des convergences autour d'une volonté de rénovation". La démarche est "sans arrière-pensée et sans a priori", mais cela va de soi.

N'épiloguons pas davantage, et ne nous faisons pas plus naïfs que nous le sommes. Je ne m'attendais pas à autre chose. N'empêche : quoique prévu, ce revirement, que dis-je, ce reniement, cette cabriole, cette palinodie, sont pour le moins renversants, et non dénués d'indignité. Mais quelle importance, puisque le politique, très largement secondé par le zapping médiatique, peut amplement compter sur l'oubli, le bon peuple se trouvant noyé sous la masse des informations, des commentaires et des ouvertures de JT. Celui dont on a dit, non sans aplomb, et avec l'autorité de l'argument définitif, qu'il ne pouvait pas être un allié puisqu'il avait toujours été "de droite", se retrouve le lendemain dans le rôle désirable du magnifique allié qui "partage nos valeurs" ("pas toutes", concède toutefois Jean-Pierre Chevènement). Parce qu'il l'avait exprimé quelques jours trop tôt, Jack Lang a, de manière sibylline, suggéré l'exclusion de Michel Rocard.

Mon souci de ne pas laisser la France entre les mains de Nicolas Sarkozy me conduira à un vote sans surprise. Mais tout de même, les militant socialistes ne se sentent-ils pas injuriés ? Comment s'y retrouvent-ils, ceux qui ont tenu la ligne pendant deux mois (à gauche toute ! Bayrou/UMP même combat !), et qui doivent maintenant, sur les marchés, à la sortie des métros, au zinc des bistrots de France, expliquer désormais que Bayrou et la gauche, c'est (quasiment) la même chose ? Que nos programmes sont très proches ? Que nos valeurs sont communes ? Que nous avons la même vision des questions sociales ? Environnementales ? Européennes ? Comment vont-ils faire ? Ils vont effacer. A leur charge, ensuite, d'accepter que leurs paroles d'hier ne les engageaient guère, qu'elles n'étaient que spectacle, élément du jeu, folklore. C'est la triste leçon que connaît tout militant : s'il veut gouverner, il lui faut accepter d'effacer - ce qu'il fut, ce qu'il dit, ce qu'il professa, ce qu'il fit semblant d'être.

Commentaires
P
Moi aussi j'ai voté Jospin en 2002, et je suis bien d'accord avec toi sur l'inertie de l'appareil du PS et l'art compliqué et chiant du retournement de veste devient presque une joute nationale. Juste, j'ai fait un vote de conviction et j'en suis content, c'est tout ce que je voulais dire. Je ne me fais aucune illusion, la réal-politique est omniprésente dans notre vieille république. Merci pour le lien. je vais te caser moi aussi entre un jeu vidéo et une association citoyenne :):)):)
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M
Que te dire, Pierre, sinon que nous ne suivrons donc jamais le même tempo... ? : j'ai voté Jospin en 2002, pas toi ; je n'ai pas voté Royal en 2007, toi si. Il nous faut donc toujours attendre d'avoir le couteau sous la gorge pour nous rejoindre : ainsi avons-nous tous deux voté Chirac en 2002, et voterons-nous tous deux Royal en 2007...<br /> <br /> Un mot, tout de même. Je sais bien que la politique, ce sont des rapports de force. Cela ne m'a jamais gêné : nous sommes ici au royaume des choses terrestre, nous ne visons pas l'au-delà. Mais il y a manière et manière. Lesdits rapports de force auraient tout de même pu être un peu mieux anticipés au PS. Mais cela leur était impossible, car son surmoi, ou son infrastructure comme aurait dit l'auguste barbu, n'a pas bougé d'un iota depuis vingt ans. Pire : cela s'est aggravé depuis que le parti a pris le goût du pouvoir, au point de ne plus se considérer que comme un parti de gouvernement. Conséquence comportementale classique : sectarisme, fermeture, pensée close, certitudes. <br /> <br /> Les rapports de force, donc, soit. Mais quand on tourne casaque en moins de vingt-quatre heures, sans vergogne et en lançant des ultimatums à François Bayrou (que l'on s'est évertués, deux mois durant, à renvoyer à ses chères études), voilà qui m'agace. Et qui m'oblige à cette conclusion : quand cessera-t-on de nous prendre pour des c... ?
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P
mon très cher marc,<br /> je reconnais dans ton post ce que j'aime le plus chez toi. L'amour de la subtilité et de la nuance contre les vision binaires et volontiers, disons-le, de mauvaise foi. J'(ai toujours été romantique dans mon attachement à la politique, en m'efforçant, tu le sais, de m'attacher toujours plus aux idées qu'aux individus, toujours susceptibles de vous décevoir. Alors qu'une idée est pleine de demains. C'est pour cela que je suis à l'aise dans mon vote ségo, tellment plus d'ailleurs qu'en 2002 quand il fallait voter Jospin. Je partage ton analyse sur la difficile grand écardisation des militants socialistes, mais la vie politique est faite de rapports de force dont on voit aujourd'hui un véritable cas d'école. Et je pense que si cela peut te consoler une perspective de grand gouvernement de centre-gauche, j'en serai ravi. Voilà, j'ai fait long, mais je sais à qui je m'adresse. En amitié, Pierre
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