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Marc Villemain
3 juin 2011

Une critique de Christine Bini (La Cause Littéraire)

Article de Christine Bini paru sur La Cause Littéraire.

Alceste au mouroir

CouvPourceauLéandre est un vieux monsieur cloué sur son lit d’hospice. Il va mourir. Une infirmière prend soin de lui. Un curé vient le visiter, avant qu’il soit trop tard. Le lecteur lit le monologue intérieur du narrateur, ce bon papy Léandre, qui nous conte ses vacances en Espagne avec ses parents, sa vie de professeur, ses relations avec les femmes et son fils… Une telle histoire pourrait aller son cours plan-plan, adopter un ton gnangnan… mais non. Vlan ! C’est Marc Villemain qui est à la plume (au clavier) et le livre est… dévastateur.  Le mot n’est pas trop fort, il s’agit bien de dévaster, de détruire – avec violence – l’attente du lecteur, qui s’en trouve tout secoué.

Parce que ce livre-là, les lecteurs, les internautes l’ont attendu. Nous avions signalé sur le site de La Cause Littéraire les courtes vidéos de teasing que l’auteur postait chaque jour sur le Net. Le fond n’était pas dévoilé, pas plus que la forme d’ailleurs. Et, disons-le tout net, nous ne sommes pas déçus. Marc Villemain propose dans Le Pourceau, le Diable et la Putain un texte surprenant et dérangeant, dont le propos est à démêler.

Ce Léandre grabataire est un misanthrope déclaré, auteur d’un ouvrage intitulé Le Misanthropisme est un humanisme. Son récit est sculpté au scalpel, dans une langue où l’emploi de l’imparfait du subjonctif sonne comme une marque désuète et ironique. Car le récit, on s’en doute, n’est pas à prendre au premier degré, et il y a peu de risque que le lecteur se laisse glisser sur un déchiffrement de surface. Marc Villemain, dans ce livre, adresse un vrai clin d’œil au lecteur sachant lire. Le doute n’est point permis, ce doute que l’on éprouve à la lecture du Cimetière de Prague d’Umberto Eco, par exemple. Marc Villemain, on le sait, pour peu qu’on ait lu ses précédents ouvrages et que l’on fréquente le blog L’Anagnoste qu’il partage avec Éric Bonnargent, est un humaniste. Un auteur qui, pour décortiquer et analyser les textes des autres, est conscient de la force de l’écrit. Alors, il ose.

Il ose poursuivre par le biais de l’antiphrase le travail et la réflexion de ses précédents ouvrages. On retrouve dans Le Pourceau, le Diable et la Putain une infirmière nommée Géraldine Bouvier, qui sous d’autres traits traversait déjà tous les textes ou presque de Et que morts s’ensuivent, le recueil de nouvelles publié en 2009. La mort, oui, qu’il convient d’accueillir avec un grand éclat de rire. Parce que, foutu pour foutu, il n’est guère besoin d’en rajouter dans le pathos, n’est-ce pas ? Marc Villemain est un humaniste désespéré qui n’utilise pas l’écriture pour étaler son désespoir, mais qui au contraire envisage la fiction sous l’angle du divertissement salubre. Il y a de la philosophie là-dessous, n’en doutons pas.

Revenons à Papy Léandre. Le lecteur n’éprouve aucune empathie envers ce râleur invétéré qui, cloué sur son lit de pré-mort, débite un discours abominable sur les femmes, les enfants, l’université. Géniteur de cinq rejetons, il n’en a reconnu qu’un seul – le pourceau du titre – contraint en cela par la mère de l’enfant. Les rapports père/fils sont placés sous le signe de la domination intellectuelle paternelle et de la soumission béate filiale. Cette relation père/fils est traitée à l’inverse dans les rapports entre Géraldine Bouvier et le grabataire. Le vieil homme est soumis, pour ses besoins naturels entre autres, aux soins constants de  l’infirmière, et sa hargne envers le genre humain, et singulièrement envers le genre féminin, en est décuplée. Car la misanthropie – le misanthropisme – est aussi et avant tout un sexisme. La putain du titre, c’est bien l’infirmière. Les « bonnes femmes » n’ont jamais trouvé grâce aux yeux de Léandre. Ce regard négatif et délétère que le personnage porte sur le genre humain et la société induit une distanciation et une adhésion. Adhésion à la crédibilité du personnage, et distanciation par rapport au propos. Il est question pour le lecteur d’être un lecteur intelligent – entendons par là qu’il ait développé un certain sens critique. On retrouve, parfois, des éclats à la Jourde, dans le roman : « C’est parce que je me souciais comme d’une guigne des pyrotechnies des sciences de l’éducation que mes étudiants apprirent à mon contact les plus hautes subtilités requises par l’apprentissage des disciplines littéraires. » Cet extrait n’est pas sans rappeler un des motifs principaux de Festins secrets, de Pierre Jourde. Donner la parole à un misanthrope décomplexé permet des piques réjouissantes sur la politique et la société. On ne résiste pas à citer également le passage « [mes étudiants] ne possédaient pour seule locution latine que le carpe diem dont ils avaient fait un code de reconnaissance après qu’un navet grand public eût vulgarisé le mot fameux d’Horace », qui fait référence au film Le Cercle des poètes disparus. Il est comme ça, Marc Villemain, il assène une critique d’évidence à un public qui, parfois, se rallie sans y penser à la bien-pensance. Le diable apparaît en fin d’ouvrage, sous les traits d’un curé pétomane, qui fait son boulot comme il peut.

Rien d’étonnant, dès lors, que le narrateur ait pour nom Léandre. La misanthropie, bien entendu, renvoie de plein fouet à Molière et à son Alceste. Le choix du nom de Léandre – qui apparaît, sous bénéfice d’inventaire, trois fois dans le théâtre de Molière, et jamais pour un personnage persifleur – est à comprendre à contre-pied d’Alceste. Dans Léandre, on entend « andros », étymologiquement « l’homme ». Léandre au mouroir se donne des airs d’Alceste, et le lecteur est invité à retourner le propos. L’antiphrase, oui, assurément. Le personnage du livre est un sale type, mais il n’est ni le pourceau, ni le diable, ni la putain. Et Marc Villemain, lui, est un type bien. Et un bon écrivain.

Christine Bini

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