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Marc Villemain
21 février 2012

A bâtons rompus avec Eric Bonnargent - Cid Errant Production -

L'été dernier, au tout début du mois d'août, se tenait le festival littéraire organisé par l'association Lectures vagabondes, sise dans l'Hérault, dans les vallées de l'Orb, de la Mare et du Jaur, du côté de Lamalou-les-Bains et Villemagne-l'Argentière.

Franck-Olivier Laferrère et Virginie Vaylet, à la tête de Cid Errant Prod, ont profité de cette bucolique occasion pour susciter un échange entre Eric Bonnargent, mon coreligionnaire du blog L'Anagnoste, et moi-même.

Voici donc la trace filmée de cette rencontre. Cela vaut ce que cela vaut : c'est l'été, les esprits papillonnent, à côté de nous un producteur de vin installe son stand... Paroles impromptues, donc, mais excellent souvenir.


Entretien croisé Marc Villemain-Eric Bonnargent

24 avril 2007

Gouverner, c'est effacer


Le dimanche 24 septembre 2000, le monde politique et médiatique est en émoi : Dominique Strauss-Kahn aurait été en possession de la "cassette Méry", du nom de ce promoteur immobilier, décédé quelques mois plus tôt, qui, dans une cassette vidéo, confessait tout ce qu'il savait du financement du RPR. La cassette est depuis passée à la postérité, et on dit qu'elle faillit faire chuter la république : il y avait du boulangisme dans l'air. Dominique Strauss-Kahn, alors ministre de l'Economie et des Finances, vit un grand nombre de ses amis socialistes prendre la tangente et quitter le navire, fût-ce à reculons. L'une de ces dits amis, aujourd'hui candidate à la présidence, réagit immédiatement en alléguant que, "en politique, on est là pour servir, pas pour se servir". D'autres faisaient état de leur "nausée", dénonçaient les "turpitudes" du camarade DSK, l'accusaient de "polluer la vie publique", philosophaient en considérant que "les gens bêtes ont des réflexes quand les gens intelligents ont tendance à faire les malins", d'aucuns allant jusqu'à évoquer la Haute-Cour de Justice. Foin de présomption d'innocence, foin du moindre début d'enquête, courage fuyons, et sauvons nos têtes. Nous fûmes quelques-uns, à la demande de Dominique Strauss-Kahn, à tenir la liste noire de ces amis défectueux. Et puis le temps passa, la "nausée" s'estompa, les amis revinrent, le plus souvent la queue entre les jambes, et la "vie politique" reprit ses droits. Dominique Strauss-Kahn, pour continuer, devait passer l'éponge, effacer.

Depuis avant-hier, nous sommes entrés dans le deuxième temps de l'élection présidentielle. J'allais dire du deuxième round, tant la confrontation politique a désormais des allures de compétition sportive, tropisme largement relayé par des médias qui ne considèrent plus la dispute entre Royal et Sarkozy que comme une "finale". Mais passons. Deux mois durant, les principaux appareils politiques se sont coalisés contre François Bayrou en faisant preuve à son égard de mépris, quand ce n'est pas d'arrogance. L'un parlait de lui comme de "la caricature du cynisme et de l'opportunisme", l'une déclarait qu'il était "une forme d'imposture" - elle lui a laissé hier un message sur son téléphone portable "par simple politesse", quand l'autre tentait de le joindre pour le féliciter de son bon score. Soudain, comme par enchantement, François Bayrou, qualifié deux mois durant d'homme de droite ou d'homme de gauche, c'est selon, se retrouve dans la position de celui avec qui on pourrait, sans déplaisir, "construire des convergences autour d'une volonté de rénovation". La démarche est "sans arrière-pensée et sans a priori", mais cela va de soi.

N'épiloguons pas davantage, et ne nous faisons pas plus naïfs que nous le sommes. Je ne m'attendais pas à autre chose. N'empêche : quoique prévu, ce revirement, que dis-je, ce reniement, cette cabriole, cette palinodie, sont pour le moins renversants, et non dénués d'indignité. Mais quelle importance, puisque le politique, très largement secondé par le zapping médiatique, peut amplement compter sur l'oubli, le bon peuple se trouvant noyé sous la masse des informations, des commentaires et des ouvertures de JT. Celui dont on a dit, non sans aplomb, et avec l'autorité de l'argument définitif, qu'il ne pouvait pas être un allié puisqu'il avait toujours été "de droite", se retrouve le lendemain dans le rôle désirable du magnifique allié qui "partage nos valeurs" ("pas toutes", concède toutefois Jean-Pierre Chevènement). Parce qu'il l'avait exprimé quelques jours trop tôt, Jack Lang a, de manière sibylline, suggéré l'exclusion de Michel Rocard.

Mon souci de ne pas laisser la France entre les mains de Nicolas Sarkozy me conduira à un vote sans surprise. Mais tout de même, les militant socialistes ne se sentent-ils pas injuriés ? Comment s'y retrouvent-ils, ceux qui ont tenu la ligne pendant deux mois (à gauche toute ! Bayrou/UMP même combat !), et qui doivent maintenant, sur les marchés, à la sortie des métros, au zinc des bistrots de France, expliquer désormais que Bayrou et la gauche, c'est (quasiment) la même chose ? Que nos programmes sont très proches ? Que nos valeurs sont communes ? Que nous avons la même vision des questions sociales ? Environnementales ? Européennes ? Comment vont-ils faire ? Ils vont effacer. A leur charge, ensuite, d'accepter que leurs paroles d'hier ne les engageaient guère, qu'elles n'étaient que spectacle, élément du jeu, folklore. C'est la triste leçon que connaît tout militant : s'il veut gouverner, il lui faut accepter d'effacer - ce qu'il fut, ce qu'il dit, ce qu'il professa, ce qu'il fit semblant d'être.

5 juillet 2007

Pierre Jourde, la fin

Suite et fin de "l'affaire Pierre Jourde" (évoquée sur ce blog le 22 juin dernier), avec la décision du tribunal correctionnel d'Aurillac de finalement condamner les cinq habitants de Lussaud, trois femmes et deux hommes, tous agriculteurs, à deux mois de prison avec sursis et 500 € d'amende pour le plus âgé d'entre eux (72 ans). Ce à quoi il faut ajouter 4 200 € de dommages intérêts pour le préjudice moral, et 2 400 pour le préjudice matériel. Signalons également que le plus âgé des prévenus fut frappé par Pierre Jourde, en effet très largement en état de légitime défense, qu'il passa plusieurs heures dans le coma, que ses blessures nécessiteront dix-neuf point de suture et provoqueront une perte d'acuité visuelle. Rappelons enfin que, initialement, le Parquet avait requis six mois avec sursis contre l'ensemble des prévenus.

D'aucuns se satisferont de cette clémence relative, arguant de l'inévitable exposition de l'écrivain lorsqu'il dresse des portraits peu flatteurs de gens qu'il connaît, qui par ailleurs ne semblaient lui manifester jusqu'alors que de la sympathie, à tout le moins une indifférence bienveillante, et dont on ne peut exiger qu'ils admettent spontanément les lois du genre romanesque. D'autres considèreront au contraire le grotesque de ce jugement, qui dégrade le principe de liberté artistique et romanesque en fait divers, et se seraient sans doute contentés d'une admonestation et d'une bonne frousse au tribunal, leçon de chose à l'appui. Pour ma part, immédiatement, je serais enclin à penser un peu tout cela à la fois : c'est dire mon embarras. Enclin à penser, en effet, que nul ne peut impunément frapper un homme, menacer sa famille et lancer des insultes à caractère raciste à des enfants, et que, en l'espèce, l'art du roman exige de la société et de ses membres qu'ils acceptent de laisser toute sa liberté à l'écrivain ; mais enclin aussi à penser qu'il y a un côté un peu ridicule, de la part dudit écrivain, à ne pas se contenter d'un jugement qui, quoiqu'il en dise, établit une culpabilité - seule chose qu'il soit légitimement en droit d'attendre d'une décision de justice. Car la déclaration de Pierre Jourde à l'issue du jugement, manifestement surpris que soit évoquée une "décision d'apaisement", et considérant que "ce jugement est très indulgent par rapport aux faits", me met mal à l'aise. Je ne me réjouis pas, en effet, d'entendre de la bouche de cet écrivain, toujours partant pour dénoncer les pouvoirs institués et toujours en tête des cortèges qui stigmatisent les puissants, que la justice n'a pas frappé assez lourdement. On aimerait d'ailleurs, au passage, savoir l'idée qu'il se faisait d'un jugement qui lui aurait semblé juste, et quelle décision de justice l'aurait agréé. L'ère de répression tous azimuts que nous traversons nous fait regretter cette confusion, devenue hélas ordinaire, entre l'établissement d'une culpabilité et l'alourdissement exponentiel des sanctions afférentes. Un moraliste se serait pleinement satisfait que la culpabilité soit publiquement reconnue, et aurait tout aussi publiquement demandé que l'on passe l'éponge, gageant que l'attitude du seigneur peut aussi constituer la plus noble et la plus opérationnelle des leçons de civisme.

25 septembre 2008

L'intérêt de vivre

Je suis souvent frappé par l'importance que prennent dans nos existences immédiates le plus infime des événements, le plus anodin des gestes, la plus pauvre des paroles. Nous ne sommes jamais en mesure, au moment où la chose se produit, d'en relativiser la cause et l'effet, de la situer dans une perspective cosmogonique. Je me dis que cette forme douce et intégrée de l'hystérie résulte d'une inadéquation paradoxale à la vie qui est sans doute constitutive de ce qui nous rend humains. Naturellement, nous ne nous le disons jamais ainsi, pas plus que nous n'acceptons d'en accepter l'idée pour nous-mêmes : la chose serait insupportable, et la vie proprement invivable : en avoir conscience, ou simplement s'en faire la remarque, reviendrait à compromettre la vie même, qui n'est possible qu'à la condition d'y trouver intérêt. Or à quoi peut-on trouver intérêt ? A un être que l'on distingue d'amour, aux sentiments généraux que nous éprouvons, à l'effort de vivre selon quelques préceptes supérieurs, aux choses de l'esprit, autrement dit à ce que nous activons en nous pour dépasser l'être vivant des origines que nous continuons d'être aussi de manière indéfectible. Ainsi toute notre dignité consiste donc en la pensée, comme le résumait Pascal ; sans doute alors faut-il vivre en acceptant que l'acte de penser induit de vivre dans le pourtour magnificent de la mort qui nous couronne.

23 novembre 2006

Houellebecq national

Dans mes diverses notes, je tombe sur ce mot de Jacques Julliard, paru dans le Nouvel Observateur - nous sommes en février 2002, la campagne électorale présidentielle bat son plein : La rencontre de Michel Houellebecq et de Jean-Pierre Chevènement dans la salle des pas perdus du souverainisme vaut bien celle d'un parapluie et d'une machine à coudre sur une table de dissection. Il fallait la trouver, celle-là...

16 octobre 2006

Les uns et l'autre

Le statut bâtard du blog, qui joue de l'ambiguïté entre la fausse sincérité du journal intime et l'engagement d'une parole qui vole aux quatre vents, permet de dire sur soi des choses parfois impossibles à dire à l'autre - spécialement l'autre dont on sait qu'on a l'oreille, peut-être le cœur.

Nous parlons pour tous, et tous peuvent nous entendre, mais nous n'écrivons au fond qu'à ce seul autre.

5 septembre 2011

Une critique de Murielle-Lucie Clément (Aventure littéraire)


Murielle Lucie Clément vient de publier, dans le magazine Aventure littéraire, une belle et élogieuse critique du Pourceau, le Diable et la Putain.

Quatre-vingt-quinze pages de ronchonnements, de pitreries et de réflexions. Le Pourceau, le Diable et la Putain de Marc Villemain conduit son lecteur dans les méandres du cerveau d’un homme qui, à l’inverse de son auteur, n’a rien, mais alors rien d’un humaniste. Rien donc d’autobiographique dans cet opuscule, cette grande nouvelle à la Prospère Mérimée en plus acharné mais tout autant intemporelle. Cela dit, Marc Villemain, c’est tout de même la recherche de l’excellence que le lecteur averti peut distinguer à chaque phrase pour peu qu’il se mette à l’écoute du texte.

Il y a les pavés de neuf cent pages et plus et il y a les grands livres dont le poids ne se compte pas en pages, mais en contenu. Le livre de Villemain est de ceux-là. Oui, on imagine très bien quel opéra Bizet aurait pu faire de ce Pourceau, de ce Diable et de cette Putain. Oui, mieux peut-être, ce qu’en aurait fait un Alban Berg car en lisant le phrasé souple, musical, de Villemain on se laisse porter par une mélodie subtile tout en profondeur et, paradoxalement, tout en légèreté intense. Il est vrai que Villemain nous avait déjà habitué à cette écriture de haute voltige avec son superbe roman Et je dirai au monde toute la haine qu’il m’inspire, paru chez Maren Sell et ses nouvelles réunies dans Et que morts s’ensuivent au Seuil.

Léandre d’Arleboist, un vieillard misanthrope, auteur d’un ouvrage, Le Misanthropisme est un humanisme, mène son dernier combat dans un hospice, un mouroir, face à Géraldine Bouvier, l’infirmière et la putain du titre et son fils, le Pourceau. Léandre est octogénaire, grabataire et, plus que tout, acariâtre et vitupérant, fielleux contre la terre entière. Mais Léandre est lucide peut-être avant tout :

     Mais me voici parvenu à cet âge où l’amertume vaporise le souvenir de ces fleurettes, à la façon des cheveux blancs qui colonisent mon crâne. Ce n’est d’ailleurs pas un âge spécialement ingrat (on s’y prépare) mais, pour un homme de mon espèce, façonné dans l’auréole glapissante de la gente féminine, il s’agit de transmuer l’adoration quotidienne de la chair en une application chaque jour renouvelée à la jubilation des choses de l’esprit. Entreprise d’autant plus laborieuse que si un travail méthodique permet d’occulter ce que l’existence a pu receler d’un peu déplaisant, la mémoire sensorielle semble devoir rejaillir, plus vive et plus aimable, à mesure que la perspective des lombrics se fait plus écumeuse.

Dans Le Pourceau, le Diable et la Putain, Villemain transmet un monde par l’écrit, un monde à nul autre pareil, subjectif, certes, mais ô combien réel dans sa fictivité étincelante d’une vérité romanesque au mentir vrai.

 

2 novembre 2006

Je passe

Enfant, je posais des questions : je voulais comprendre le monde - j'étais un enfant.
Adolescent, je l'avais compris : j'ai voulu le changer - j'étais un adolescent.
Au sortir de l'adolescence, j'ai hésité : le changer, oui, pourquoi pas, il est trop laid ; mais je voulais aussi, et tout autant, y goûter : cela fit de moi, peu ou prou, un socialiste.
Jeune adulte, je me suis fait honte ; il me fallait trancher : j'ai amorcé un mouvement de recul, de retrait - mais discret.
Adulte, les premières fatigues venant, j'ai commenté le monde - aidé en cela par la foule de ceux qui s'obstinent (à échouer) à le changer.
Premiers pas dans le vieillissement ; je commentais le monde avec colère : je le commente avec lassitude - avec réticence.

Plus tard, vieux et malade. Le monde n'est plus en moi. Je ne lui demande rien. Facile : il n'attend rien de moi.
Elle et moi - souvenirs et clins d'œil.
Et le marbre.

D'autres continueront. Mais ce sera plus dur.

14 novembre 2006

Journal du 27 juillet 1994


Je continue de feuilleter ces vieux journaux intimes - avant, donc, de les jeter les uns après les autres.
Cette note.

     Dans la nuit. Insomnie. J'écris. Il faut parvenir à habiter la solitude, l'habiter tout entière, dans sa totalité pleine ; se coller à ses parois. Imaginer une pièce carrée, vide, complètement vide et nue, sans autre matière que le vide et la pénombre - ou au contraire une clarté trop grande, trop lumineuse : elle est là, la solitude est là. Il faut s'y engouffrer, ne pas lui laisser, à elle, ce plaisir de nous engouffrer, elle ne demande que ça. Il ne faut pas se laisser habiter, mais l'habiter, elle. Et si possible avec joie.

15 novembre 2006

Journal du 22 juillet 1995


J'étais jeune encore ; immature, plutôt. Je n'allais pas facilement sur la tombe de mon père - je n'y allais que parce que je m'y sentais obligé, c'est ainsi. Cette fois-là, j'avais vraiment envie d'y aller. Y songeant, je notais alors ceci, cette phrase étrange, obstinément adolescente : J'ai dû réprimer un mouvement comme un relent que l'on retient en société, le signe de croix qui grondait en moi.

17 novembre 2006

Journal du 6 février 1996


Je fouille et farfouille toujours dans mes vieux journaux, non sans quelque malaise. J'en conserve certains états, certains mots - à fins d'archivage, c'est certain, mais aussi parce que, pour certains d'entre eux, et sans nécessairement le partager, comme c'est le cas ci-dessous, j'en comprends encore l'esprit.

     On demande trop à la vie. Elle n'est qu'un processus. Nous nous agitons : en vain. Seule l'extase intérieure, seul le côtoiement passager de la folie, peuvent, à cette vie qui s'impose, ajouter quelque sens et beauté. Qu'importe de vivre s'il n'y a pas d'œuvre à la clé ? Vingt-sept ans, et pas l'ombre d'un commencement d'œuvre en vue.

1 décembre 2006

Balthus underground

Les regards dans le matin du métro comme un tableau de Balthus, quand aucun visage ne se croise et qu'aucun oeil ne se toise. Nous tous, absorbés dans la mécanique vitale ; autant d'énergie employée à la conservation d'un job qui, pour la plupart, rétrécit le monde et ne sert qu'à remplir l'auge - mais qui pourrait se plaindre ?

6 décembre 2006

Question sans réponse

Que faire dans un pays, et pour ce pays, quand plus de 40 % des sondés, selon les premières enquêtes, estiment que la nouvelle loi sur la délinquance promue par Nicolas Sarkozy (la loi, pas la délinquance...) ne va pas assez loin ? cela signifie-t-il que ce pays est mûr pour passer à un autre système - reléguant aux âges d'or ce qui fit son ferment démocratique et civilisationnel ?

3 janvier 2007

Les acteurs


Disons les choses simplement. L'éclosion et le lent enracinement de l'aspiration démocratique, densifiée à l'extrême lorsque les idéologies prométhéennes prirent le relais, ont donné à l'individu le sentiment de sa puissance en tant qu'acteur de l'histoire. De ce sentiment, nous ne nousdéferons pas facilement - suivant le principe de l'avantage acquis. De grands acteurs existent pourtant ; ils sont pour la plupart connus, quelles qu'aient été par ailleurs les conséquences de leurs actions. Mais ils sont peu nombreux, galvaudés parfois, récupérés toujours, méconnus le plus souvent. Le gros des troupes humaines, ceux-là mêmes qui forment les bataillons de la démocratie, est exclu de cette geste de l'action : nous ne sommes en réalité que des spectateurs, dans le meilleur des cas des témoins - mais des témoins voués au mutisme.

Le franchissement arithmétique des années, chaque 1er janvier, est un artifice calendaire, ludique et symbolique qui ne saurait détourner de cette lucidité : nos vœux, pour la plus grande part d'entre eux, demeureront pieux. Et le plus vraisemblable est que notre avidité à nous sentir acteurs de l'histoire ne conduise guère qu'à aggraver les choses. Je comprends qu'on puisse s'en attrister.

2 avril 2007

La perle du jour


Elle revient à Nicolas Sarkozy, déclarant ce matin : "En ce qui me concerne, je ne suis ni énarque ni agrégé, ça me permet de ne pas être démagogique". Je traduis : "Je n'ai ni formation, ni culture, donc je suis proche des réalités." Ou encore :" Plus vous en savez, moins vous en savez."
Le bon peuple appréciera ce bel élan lyrique qui, en effet, n'a rigoureusement rien de démagogique.
t

13 avril 2007

Enfin !

Enfin une parole forte et sensée dans cette détestable campagne électorale : celle de Michel Rocard, dans Le Monde, appelant à un accord, sans plus attendre, entre Ségolène Royal et François Bayrou.

Une victoire de Nicolas Sarkozy, sur les thèmes et propositions de Jean-Marie Le Pen, comme tout semble devoir l'annoncer, nous n'aurons plus, en effet, "aucune excuse".

25 avril 2007

Le pouvoir rend fou


Je m'étais pourtant juré de ne pas y revenir, et de ne plus évoquer cette campagne...

Hier en fin d'après-midi, vers 18 heures, Jean-Luc Mélenchon fait savoir qu'il quittera le parti socialiste en cas d'alliance avec l'UDF. Trois heures plus tard à peu près, lors d'un meeting à Montpellier, Ségolène Royal invite les électeurs de François Bayrou à construire autour d'elle une France "arc-en-ciel", avant de déclarer aux journalistes que, "bien sûr", elle prévoit d'intégrer des ministres UDF dans son futur gouvernement. Dans la salle du meeting, discret mais accompagné de quelques amis, Georges Frèche rayonne, bien que dénoncé comme raciste et conséquemment exclu du parti socialiste trois mois auparavant. L'impératif de cohérence n'étant que de peu d'importance dans cette campagne électorale, Ségolène Royal, acclamée pour son ouverture au centre qualifiée quarante-huit heures plus tôt "d'immorale" par Jack Lang (qui y voyait de quoi justifier l'exclusion de Michel Rocard), "d'inadmissible" par Pierre Mauroy, de "mystification" par Lionel Jospin, et "d'alliance de circonstance" par François Hollande, déclenchait concurremment une standing ovation en remerciant "du fond du coeur" l'extrême-gauche, et spécialement Arlette Laguillier. Comprenne qui pourra.

Admettons que j'admire la performance, pour faire plaisir aux petits Machiavel qui pullulent dans les réunions de section. Mais comment peut-on proclamer l'urgence de la rénovation politique et injurier de la sorte plusieurs millions d'électeurs ? Ceux qui ont voté pour Ségolène Royal, arguant à qui mieux-mieux que François Bayrou était "de droite" et qu'à ce titre jamais aucune alliance ne serait envisageable ? (et comment font-ils, au passage, victimes d'aveuglement, de schizophrénie ou de cynisme, pour, dans le même temps, applaudir à "l'ouverture" au centre et acclamer Arlette Laguillier ?). Ceux encore qui ont voté pour François Bayrou, que l'on a montrés du doigt comme "complices de Sarkozy" et qui se découvrent aujourd'hui tant de nouveaux amis, qui tous assurent partager exactement les mêmes valeurs qu'eux ? Et comment feront-ils pour voter, ceux qui refusaient d'avoir à choisir entre Bayrou et Sarkozy, maintenant que Royal a promis des ministres bayrouistes ?

Au-delà de la très relative crédibilité et authenticité de cette démarche d'ouverture, ce qui frappe est donc et d'abord sa parfaite indécence. Or cette indécence a une origine : ce qui meut le parti socialiste, au fond, et nonobstant la sincérité initiale des engagements individuels, c'est la seule conquête du pouvoir. Le PS, depuis 1981, ne se vit plus que comme un parti de gouvernement - il n'est d'ailleurs pas un parti d'élus pour rien. Seule importe la victoire de leur étiquette - et tant pis si le sens y perd des plumes, si la doctrine change au gré du vent ou des humeurs, s'il faut tordre le cou à Jaurès, aux électeurs ou aux engagements de campagne, ou s'il faut ajourner encore le questionnement sur le monde, et sur soi.

9 mai 2007

(Petite) ville Lumière

J'ai passé bien du temps (trop, sans doute) à faire état de mes agacements politiques récents. La France a ce qu'elle mérite autant que ce qu'elle a voulu ; nous verrons bien, avec le temps, ce qu'il faudra penser de tout cela. Pour l'heure, notre nouveau président, non encore nommé, est en vacances luxueuses pour une soixantaine d'heures. Sans doute y avait-il plus adroit, et de meilleur goût, mais je ne vois pas là motif à une quelconque "montée au créneau". Les Français, d'ailleurs, s'en foutent - et même, à mon avis, lui donnent peu ou prou raison. Que le premier réflexe de la gauche (qui, en matière de faste et de somptuosité, n'est pas spécialement innocente) soit de retrouver ses traditionnels accents d'indignation morale nous donne une idée du chemin à parcourir. L'heure est donc à l'objurgation : l'analyse et le questionnement, préalables à toute refondation digne de ce nom, peuvent bien attendre encore un peu.

Tous, nous retrouvons un peu notre chez-nous. Le tumulte et la frénésie militante, avec ou sans carte politique, s'apaisent peu à peu. Les conversations en famille, les polémiques enflammées, les diatribes au zinc et les ferveurs spontanées s'espacent. L'exagération de soi, l'ampleur des certitudes, la boursouflure des opinions, les dispositions belliqueuses, parfois excommunicatrices, laissent place à une forme de distanciation quotidienne qui est aussi, disons-le, une manière de se situer dans le champ démocratique, voire de l'accepter. La France, son hymne, ses drapeaux, son imaginaire et ses slogans, rentrent au bercail des intimités - pour y sommeiller, et sans doute mûrir jusqu'aux prochaines échéances.

En écho, même très lointain, à cette séquence politique, je me suis fait l'autre jour cette réflexion que les grandes cités urbaines, que l'idée de la ville même, depuis toujours vecteurs, et vecteurs presque uniques, de la civilisation, sont devenues, au temps mondial du capitalisme, de dangereuses machines à destructurer les ontologies, à assécher les coeurs et à désorienter les projections de soi. Peut-être m'objectera-t-on que je me fais cette réflexion au moment où moi-même je me prépare à la perspective de quitter la ville : à cette aune, ma  réflexion n'aurait donc rien de conceptuel ou d'universel, et ne serait que le fruit de ma propre trajectoire. Possible. N'empêche : la ville a changé. Celle qui permettait hier que se nouent des solidarités de voisinage fomente aujourd'hui d'innombrables querelles dans nos tribunaux surchargés ; celle qui obligeait, par gestion bien comprise de l'espace, aux politesses et à la courtoisie que créent les cultures, échauffent désormais les esprits et les mots jusqu'à susciter des haines instinctives ; celle dont on pouvait vanter les promesses du brassage compartimente aujourd'hui comme jamais ; celle qui excitait les arts et les artistes charrie désormais la plus grande vulgarité consumériste ; celle qui offrait à l'individu l'incroyable luxe de se sentir seul dans la foule tout en demeurant solidaire de sa marche l'accule maintenant à regarder ses pieds dans la rue et à se terrer pour échapper aux regards - qui, tous, jaugent, jugent, et souvent condamnent.

Face à ce mouvement, que je crois régressif et par ailleurs bien loin d'être accompli, la France des villages et des petites villes, si elle accepte de considérer que la frontière du monde ne s'arrête pas à la clôture de son champ ou de son usine locale, pourrait bien incarner le lieu où non seulement l'individu peut se retrouver, mais où la collectivité peut apprendre à réapprendre les règles du savoir-vivre - et donc du savoir-vivre ensemble. Car je ne perçois rien du mouvement qui saura endiguer l'incroyable, l'indescriptible mouvement autodestructeur de la grande ville. Vient un temps où le retrait sur soi, qui n'est pas à confondre avec le repli, constitue une excellente manière de retrouver ce qu'il est d'usage d'appeler nos "fondamentaux". La mode, qu'attisent des bobos encore tout étonnés que la rude vaillance de la blogosphère n'ait pas suffi à couronner leur championne, est encore à la croyance en une ville riche de sa diversité, de ses chics friches industrielles, de son allure vive, jeune, puérilement provocatrice, de son frémissement permanent - comme on le dirait d'un coup d'état. Cet idéal, car c'en fut un, et des plus nobles, je crains qu'il ne soit devenu illusion, et, pour certains, simple idéologie. La réalité est peut-être que la ville a échoué, ou est en train d'échouer, non parce qu'elle porterait l'échec en elle-même comme le ciel les ténèbres, mais qu'elle est aujourd'hui l'accélérateur de tous les processus de destruction de ce qui, jusqu'à présent, faisait tenir les hommes ensemble. Ce qui était moderne hier, et qui, légitimement, jouissait de l'aura de ce statut, tend à se dégrader en processus crépusculaire. Autant dire en extincteur de Lumières.

13 juin 2007

Je suis un maillon de la chaîne


Je ne vois pas mieux qu'attendre son rendez-vous dans la salle d'attente d'une maison d'édition parisienne pour réaliser l'extrême humilité du statut d'écrivain. On y est toujours mécaniquement accueilli, sans égards ni regards, et on a toujours l'impression de gêner ceux qui travaillent à quelque tâche obscure et primordiale, empiler, tamponner et classer par genre les derniers manuscrits reçus, photocopier les documents comptables, mettre à jour les fichiers, préparer les réponses-types, distribuer dans les cases l'agenda de la maison, réserver une salle pour un cocktail avec un groupe "partenaire", annuler ou reporter un rendez-vous avec un auteur. On y est toujours assis dans un petit coin où ne reposent généralement guère plus de deux fauteuils (ici, un seul), à côté du pré-programme de la rentrée et des vieux magazines qui s'empoussièrent sur une table basse Ikéa. On s'y sent comme chez notre dentiste, et finalement c'est presque apaisant, ça nous remet à notre place. Il est rare, de nos jours, que les murs d'une maison d'édition transpirent la littérature. L'écrivain n'y est rien, juste un élément du dispositif. Un maillon de la chaîne.

26 février 2008

Mon désolationnisme

J'avoue n'avoir jamais été particulièrement fier de mon pays. Je l'ai toujours aimé, parce que l'homme est ainsi fait que quelque chose en lui le voue à aimer de manière plus ou moins inconditionnelle ce qui l'a fait advenir, le lieu et le temps où il a pris vie, mais, aussi loin que je puisse remonter dans ma génération, il s'avère que les motifs de fierté patriotique sont pour ainsi dire inexistants. Je sais qu'il est tentant de préférer ce que l'on connait moins, qu'on ne déteste jamais autant que ce que l'on connaît le mieux, que la pensée magique peut prendre la forme aguicheuse d'une tentation de l'ailleurs : à cette aune, je me défie donc de mes propres impressions. Mais de la France, je suis surtout fier de ce qui ne lui appartient pas en propre, en tout cas malgré elle (sa géographie), ou de ce qui témoigne d'un ancien génie qui a déserté (sa culture et son histoire.) Aussi le sentiment d'appartenance peut-il ne pas se doubler d'un sentiment d'adhésion : je sens que j'appartiens à un pays, je sais que je n'y adhère pas. Il ne s'agit pas d'un rejet de principe, et certainement pas d'un rejet en bloc, mais de l'enracinement progressif d'une inconsolable tristesse devant le spectacle, non pas forcément du "déclin", mais d'une vigoureuse progression vers la déchéance.

Cette impression s'est bien sûr accrue avec l'élection de Nicolas Sarkozy, qu'accompagnent de concert le cynisme pornographique d'une droite qui peut en effet se targuer d'être décomplexée, et la bêtise d'une gauche dont les "nouveaux militants" ne trouvent rien de mieux à proposer qu'une charité de proximité teintée de fascination pour tout ce qui, de près ou de loin, ressemble à du moderne. Elle prend toutefois ses racines bien avant ce funeste événement - sans que je puisse d'ailleurs la fonder avec précision dans l'histoire. Ceux de mon âge ont hérité d'un pays, voire, en partie, d'un continent, qui s'était peu ou prou libéré des carcans les plus tangibles de l'ancienne morale. De cela, nos parents sont sans doute assez fiers et, même si le bouillonnement caractéristique des années 70 a aussi produit ce lot d'inepties et de désinvolture dont nos "bobos" sont les héritiers directs, leur relative fierté est en partie compréhensible. Elle l'est d'autant, et surtout, que nous-mêmes, leurs enfants, ne trouveront rien de mieux à transmettre au futur qu'un pays devenu carcéral, truffé d'instincts, sans mémoire ni dessein, dont la sentimentalité bigote côtoie sans contradiction apparente une aspiration profonde (et de moins en moins secrète) à l'ordre et à la délation, un pays où le conservatisme peut prendre les atours avantageux de la jeunesse, de la gaieté, de la fête et du lien social.

Face à cela, trois attitudes possibles.
La première : ne pas abdiquer. Continuer la lutte. Plaider les racines de l'ancien monde sans jamais oublier ce qu'il contenait d'inique et d'effrayant, entailler le réel, résister afin que l'activisme et le bougisme ne défassent complètement ce qui nous fit.
La seconde : s'assurer qu'on passera entre les gouttes, rejoindre la social-démocratie, de droite ou de gauche, entretenir le mouvement ou son illusion vers un meilleur possible, une dignité à portée de main, un sens que l'on pourrait recouvrer.
La troisième : tourner le dos, rentrer chez soi, attendre que tout finisse car toute chose finit par finir, préférer le poids de sa culpabilité à l'échec programmé de sa bonne volonté, nettoyer son terrier et espérer que tout cela ne soit pas trop indigne.

Plus jeune, je me serais érigé en juge de ces trois attitudes : il n'y a pas de pire procureur qu'une jeunesse pleine d'idéal. Aujourd'hui, et très probablement demain, il me paraît évident, naturel et souhaitable, que chacun puisse se déterminer aussi librement qu'il en sera capable. Et advienne que pourra.

 

26 octobre 2006

La phrase existe-t-elle ?

J'entendais l'autre jour ce cabotin de Jean d'O(rmesson) expliquer que son mot préféré, ou plutôt ses deux mots préférés ("mais ce sont les mêmes") étaient "Dieu et (ou est) amour". Je ne suis en vérité pas convaincu qu'il le pensât réellement, mais enfin disons qu'on ne pouvait pas s'attendre à autre chose de sa part.

L'anecdote eut pourtant ceci d'intéressant pour moi qu'elle m'inspira une réflexion dont je sens bien qu'elle irradie depuis longtemps, mais que je ne m'étais finalement jamais faite avec une telle acuité : si j'exerce mon métier d'écrivain, c'est que je cherche la phrase qui dira l'existence - toute l'existence ; qui saura en dire la seule chose qu'il faut en savoir. La phrase, car bien sûr il n'y en a qu'une - puisqu'elle dira tout. Comment expliquer qu'une telle chimère, que l'on pourrait assez facilement apparenter à la quête du Graal, puisse prendre corps ? et comment expliquer qu'elle se pose sans doute à tous les écrivains ?

8 novembre 2006

Se préparer à se souvenir

Ces souvenirs, ou ces rêves de souvenirs ? Mais tous les souvenirs sont des rêves et certains moments de nos vies ont été en leur occurrence même si envahis par le rêve qu'à se souvenir d'eux c'est l'essentiel de notre passé mais aussi de notre désir, de notre avenir, qui se découvre.

Yves Bonnefoy
Dans un débris de miroirs - Editions Galilée

Il est difficile de démêler ce que nous conserverons, du souvenir d'un lieu ou des souvenirs que nous nous y sommes forgés. Les souvenirs sont comme des visages adverses qui se renvoient à la face leurs rides, leurs matérialités propres et leurs évanescences - rien n'est inoxydable. Et nous ne savons plus très bien, au fond, ce que ce souvenir-ci doit à cet autre-là - et réciproquement. Peut-être est-ce l'avancée dans l'âge qui me fait ainsi accorder davantage d'attention aux lieux que je traverse - comme si ce qui, auparavant, n'était au mieux qu'un décor de l'existence, prenait avec le temps les contours d'un aspect même (d'un lieu) de l'existence. Ou peut-être, au contraire, est-ce l'attention nouvelle que je m'efforce d'appliquer aux choses que je vis qui, en vieillissant, me fait accorder davantage d'importance au décor qui les a vu naître. Aussi, moi qui ai toujours traversé les choses et le temps avec une espèce de détachement un peu irresponsable - fût-ce pour mieux les refouler - je me surprends aujourd'hui à envisager ce que je regretterai d'une ville que j'aime (Paris) et que, pourtant, j'envisage de quitter.

Comme nous aimons nous préparer aux plaisir que nous projetons, comme nous jouissons par anticipation de ce qui est prévu qu'il advienne, il est possible de se préparer à se souvenir. Ce n'est pas une construction intellectuelle, c'est une sensation éprouvée. Tout d'abord parce que se préparer au souvenir, c'est se préparer à accepter de partir - ce n'est pas si évident, quand la ville s'appelle Paris, qu'on y a sa vie depuis plus de dix ans et que, quoiqu'en disent les sots, c'est aussi à Paris que se façonne et se fabrique ce qui, non seulement est contemporain du temps, mais ce qui attend notre temps. Ensuite parce qu'on ne quitte jamais un lieu avec l'absolue conviction d'avoir raison de le faire - comme on dit, on sait ce qu'on gagne, pas ce qu'on perd : on ne fait qu'entrevoir, et espérer. Enfin parce qu'accepter de considérer ce qu'on a sous les yeux comme du souvenir en cours de fabrication permet aussi de l'accepter comme souvenir, donc comme partie intégrante de soi - donc comme objet dont il est enfin possible de jouir tout en commençant à s'en détacher.

Et puis disons-le : Paris a changé. D'aucuns - ils ont l'énergie, l'ambition, la légèreté - s'en réjouissent ; d'autres - j'en suis parfois - s'en attristent. A bien des égards, la ville ne semble plus qu'un prétexte à l'expérimentation de fonctionnalités que l'on dit modernes et au façonnage de désirs que l'on espère nouveaux. Epicentre de la clinquance et gigantesque chaudron à fabriquer de l'exclusion, elle met tout le monde dans l'embarras : ceux qui s'en sortent parce que le spectacle de ceux qui ne s'en sortent pas vient gripper leur satisfaction de s'en être sortis ; ceux qui ne s'en sortent pas parce que le miroir que leur tend la ville anéantit jusqu'à leur dernier espoir. La ville lumière est devenue l'ombre d'elle-même : elle créé de l'événement là où il y avait de la culture ; elle mercantilise là où il y avait de la passion ; elle esthétise là où il y avait de la sueur. Elle compta pourtant, cette ville-là comme d'autres, au nombre des berceaux de l'humanité : c'est dans la ville que l'individu apprit à exister dans la communauté, c'est dans la ville que les communautés apprirent à composer avec les individualités qui s'y retrouvaient : je ne suis plus certain, aujourd'hui, de la pérennité de cette belle et moderne équation, du moins tant que triomphera le fantasme de la futuropolis - normalisation, hygiène et sécurité.

Que trouverai-je là bas - où je serai ?  Non pas l'envers du décor, non pas, même, son exact renversement, mais une terre où il faudra sans doute repartir de zéro, reconstruire l'humanité, et, finalement, recommencer le geste qu'ont dû faire les premiers hommes - les premiers urbains.

9 juillet 2008

Libération ou divine surprise ?

La libération d'Ingrid Bétancourt n'est pas un sujet, c'est entendu. Tout au plus peut-on s'agacer du spectacle auquel elle donne lieu, qui voit communier dans un même élan caritatif tous ceux que, d'ordinaire, rien ne parvient jamais à mettre d'accord. Mais il est connu que les gaulois querelleurs raffolent des trêves patriotiques. Quant à celle ou celui qui tenterait d'exister à travers cet événement dans notre paysage politique un peu dérisoire, il ou elle ne fera que se ridiculiser davantage - mais il est vrai qu'on peut en prendre l'habitude.

Mon propos, très bref, sera digressif. Je m'étonne simplement que la foi religieuse d'Ingrid Bétancourt, foi à laquelle nul ne peut rien trouver à redire, qui ne me gêne d'aucune manière et que je respecte d'instinct, ait trouvé matière à s'exprimer dans les enceintes du Parlement. En effet, la croix qu'elle arbore sur sa poitrine constitue ce que, naguère, le législateur désigna comme "signe religieux ostentatoire", et qu'à ce titre il bannit des édifices publics. Ce n'est pas la croix en elle-même qui me gêne, mais son exposition, ce qu'elle signifie et charrie. S'il arrive que quelques urticaires laïcistes peuvent, à moi aussi, me donner l'envie de me gratter, tant ils sont épidermiques et machinaux, m'irritent tout autant les petites libertés que la République prend avec les lois qu'elle a votées - et, en l'espèce, avec quelle solennité. Autrement dit, le bonheur de la nation n'aurait pas été moins total et moins sincère si nous n'avions pas à le mettre sur le compte de l'intervention divine, et si ladite intervention n'avait pas fait l'objet d'une publicité un peu grossière dans les lieux mêmes qui sont censés l'interdire. Dieu soit loué, Ingrid Bétancourt n'est ni scientologue, ni musulmane, ni juive, ni témoin de Jéhovah.

17 septembre 2008

Au bout du trait


Plus nous avançons dans la vie, plus le paysage, derrière nous, s'épure. Ce n'est pas moins riche, mais c'est plus net. Les contours de nos actes, les lignes du temps s'affinent, jusqu'à se résoudre en quelques territoires distincts, même s'ils se chevauchent. Nous en distinguons de mieux en mieux, ou de moins en m
oins mal, le continuum latent, là où nous n'entrevoyions que désordre et basculements. Restera ce trait, sinueux, chaotique, perclus d'aléas, non exempt d'idiotie ou d'hystérie, mais au moins ce trait-là, nous saurons qu'il nous appartient en propre, que c'est à nous, à nous seuls, qu'il sera revenu de le tracer. Nous nous demanderons alors ce que nous avons tracé. Tout en sachant bien que le destin d'un trait est d'être effacé. 

18 septembre 2008

Exquise esquive


Plus jeune, il nous semblerait intolérable, même scandaleux, d'être pascalien : nous voulons croire que nous agissons selon la morale et que nos actes dessinent une destinée. Une fois qu'on a compris que l'affairement et le remuement obéissent davantage à un désir d'esquive qu'à une intention singulière, l'on peut enfin s'accepter, et regarder l'infini venir.

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