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Marc Villemain
26 septembre 2008

Rolf Dieter Brinkmann

Suis-je un écrivain ? Pas un écrivain ? – Et ce doute qui tempête en moi depuis un certain temps, continuer ou ne pas continuer – avec ma répugnance et mon dégoût pour l’opiniâtreté des autres écrivains qui continuent sans réfléchir sitôt qu’ils ont attrapé ne serait-ce que la pointe d’une idée, d’une inspiration ou même quand ils n’ont plus d’idées du tout, plus d’imagination, ils continuent, sans réfléchir, s’en s’embarrasser, sans douter, et moi, est-ce que je continue, de quelle façon ?

Rolf Dieter Brinkmann, Rome, regards

16 février 2009

Et que morts s'ensuivent : David Vincent, librairie Mollat

La grande librairie bordelaise Mollat vient de commettre sur son blog, Ces mots-là, c'est Mollat, une critique ma foi plutôt très élogieuse de mon recueil de nouvelles.

L'article se conclut ainsi :

Cruel comme un Barbey, élégant comme un d'Aurevilly, Villemain ne fait pas dans le Grand Guignol ni dans le spectaculaire, il contient la rage qui anime sa plume sans cette compassion morbide dont toute une partie de la profession littéraire nous accable, sans cette gentille cruauté qui ne nous fait même plus sourire. Il y aurait beaucoup à dire sur ces nouvelles qu'un rapide coup d'œil comme celui-ci trahit. Retenons surtout que
Et que morts s'ensuivent signe avec éclat l'arrivée dans le genre de la nouvelle d'un nouveau cador.

Vous pouvez consulter l'intégralité de l'article en cliquant sur Mollat (fichier au format pdf) ; ou encore en vous rendant sur le blog de la librairie Mollat, ici.

14 mars 2008

Signe d'élection

Analysant la stratégie et la répartition du pouvoir au sein d'un groupe de chimpanzés, l'éthologue et primatologue Frans de Waal emprunte à la théorie des coalitions l'idée selon laquelle, en fonction de la situation, la force entraîne la faiblesse, ou au contraire la faiblesse se révèle une force. Paradoxes aux termes desquels "l'acteur le plus puissant est souvent l'allié politique le moins attirant" ou, à situation inversée, "les acteurs mineurs peuvent se positionner à un point d'intersection qui leur offre un grand avantage."

La transcription aux sociétés humaines et à leur mode de résolution des conflits politiques "triangulaires" est on ne peut plus parlante - cf. l'actualité politique de cette semaine et de ce week-end : "Les coalitions sont rarement plus importantes que lorsqu'elles sont nécessaires pour gagner, en vertu de quoi les deux plus grands partis n'éprouvent aucun désir de gouverner ensemble. Tous deux courtiseront le petit parti, lui conférant un pouvoir disproportionné."

Frans de Wall, Le singe en nous - Éditions Fayard 2005

28 mars 2008

BENAMOUraché de lui-même

Citer suffit, parfois, tant le suc de certains mots tient surtout au statut de leur émetteur : "Je suis victime d'une cabale d'intellectuels mondains, cette gauche caviar qui n'a pas supporté mon soutien à Nicolas Sarkozy." (Georges-Marc Benamou, à propos de sa nomination contestée, et finalement avortée, à la tête de la Villa Médicis.)

29 mai 2008

A qui profite le procès ?

A quoi donc aura servi le procès de Michel Fourniret ? Sans doute à pas grand-chose, et d'autant moins que le verdict ne ménageait aucune espèce de suspense, la peine de mort étant abolie depuis plus de vingt-cinq ans.

Pour les familles des victimes, qui d'ailleurs l'admettent, seul le spectacle du procès, qui leur permit de crier leur chagrin au monde et ce faisant d'en partager le poids, aura apporté un peu d'onguent thérapeutique, ce qui n'est pas rien. Mais si l'on avait attendu quoi que ce soit du procès en lui-même, les parties civiles eurent pu accéder sans mal à la demande de Michel Fourniret d'un procès à huis clos ; cela aurait d'ailleurs probablement davantage servi les grands préceptes de la justice, mais alors il est vrai que les différents acteurs, sans parler des médias, auraient été très déçus (à cette aune, je trouve une nouvelle occasion de me réjouir de ne pas posséder de téléviseur, tant je n'ai aucune difficulté à imaginer l'ouverture gratinée des journaux du soir.) Le procès aura aussi été utile à l'avocat général, qui, aussi bien, voire mieux que s'il avait été allongé sur le divan d'un professionnel, aura pu se délivrer des quelques images persistantes de l'enfance qui hantent encore son inconscient, monstres, diable à deux faces, araignées et autres gluances. Quant à l'avocat de Michel Fourniret, dont il est vrai que la position était assez inconfortable, son client ne manifestant guère d'intérêt pour sa propre défense, eh bien sa plaidoirie, non contente de n'avoir servi à rien (mais il s'en doutait), n'aura fait qu'ancrer l'image au bas mot déjà désastreuse de son client : je n'aimerais pas, moi, être défendu par un avocat qui conclurait de ma personne qu'elle "appartient à notre humanité, hélas". Contresens historique et philosophique au demeurant assez grotesque : comme si l'humanité induisait la vertu.
Enfin, l'on ne saurait disconvenir que cet épisode de la justice en quenouilles aura fait les choux gras de l'inconscient présidentiel, lui aussi (tiens donc) peuplé de "monstres".

Conclusion elliptique et générale :
- nul ne semble n'avoir rien compris de Michel Fourniret et de son épouse complice (les psychiatres se montrant sur ce terrain d'un conservatisme et d'un conformisme assez exemplaires) ;
- la communauté nationale se trouve provisoirement ressoudée, chacun trouvant à se réjouir d'une sentence que nul n'aura à coeur de discuter, par crainte de passer pour laxiste ou indécent ;
- la justice a perdu quelques-uns de ses atours de rationalité au passage, le président du tribunal ne trouvant rien à redire aux roses déposées devant elles par les familles des victimes, pas plus qu'à leur départ du tribunal dès que ce fut à la défense de prendre la parole ;
- le mouvement répressif général, ici comblé, se trouve conforté ;
- la question des soins et du suivi psychiatrique est totalement passée à la trappe ;
- le fonctionnement de la justice, à mille égards insatisfaisant mais dont on se plaît tant à débattre, non seulement ne s'est pas amélioré, mais aura plutôt régressé.

Autant de raisons qui justifient notre contentement de savoir ce procès enfin clos.

4 janvier 2008

Une bonne année ? Une année moins mauvaise

Plusieurs lecteurs me présentent aimablement leurs voeux pour l'année qui commence. Tous me font part de leur souhait qu'elle soit une année plus faste pour les arts et la culture, pour la justice, pour les pauvres et les immigrés, pour le devenir de la France, du monde, et de la France dans le monde, une année qui, je cite l'un d'entre eux, verrait se réaliser "un certain redressement de l'esprit". Las ! chers lecteurs, de tout cela - des chimères au fond, des voeux pieux - il faut sans tarder faire le deuil. Car le mouvement d'abêtissement vulgaire et général auquel nous assistons depuis un certain nombre d'années (mais depuis quand exactement ? jusqu'où devons-nous, pouvons-nous, faire remonter notre agacement très réactionnaire ?) n'est pas encore arrivé à son terme, loin s'en faut. Ledit redressement, s'il doit se produire, constituera une révolution lente, une mutation sourde, une trajectoire davantage qu'un acte ou un événement.

Que les fruits de mai 68 n'aient pas toujours été les meilleurs, que cette révolte un peu protéiforme ait accouché d'excès ou de concepts discutables, nul ne le conteste plus, pas même les meilleurs des soixante-huitards. N'empêche, on se prend à rêver d'un mai 2008 - qui aurait comme avantage collatéral de nous épargner le marketing éditorial qui s'annonce en coulisses, au prétexte de la quarantaine atteinte. A l'époque, le mouvement serait né d'une libidineuse histoire de dortoirs, filles et garçons rêvant d'amours moins platoniques ; quarante ans plus tard, le mouvement pourrait (aurait pu) naître de fumeurs indociles, allergiques à une société qui, au nom de l'hystérie hygiéniste et du vivre-ensemble, multiplie les interdits et les bannissements ; ou de ces gueux modernes, dépossédés de leurs papiers et plus encore de tout le reste, qui tentent, vaille que vaille, de nous alerter sur les reniements au pays des droits de l'homme, et subsidiairement sur leurs conditions de vie en prison ou dans les centres de rétention ; ou d'une gauche qui se serait enfin décidée à ne plus s'aveugler sur les vertus supposées naturelles du peuple ; ou de parents et de professeurs las de voir leurs bambins sapés de marques et ne rêvant que de business - show ou pas ; ou, pourquoi pas, de médias que leur propre fascination pour l'enveloppe dégoulinante des jours  aurait fini par écœurer ; ou de vieillards blessés de voir la jeunesse investie de toutes les promesses, quand eux-mêmes se trouvent chargés de nos tares et de nos retards. Rien à attendre en revanche de nos bobos,  ces gentils qui ne pensent qu'à conserver le monde en l'état tout en se donnant l'impression de le rajeunir. Je songe ici à J.G. Ballard, Millenium People, à cette révolte de la bourgeoisie contre elle-même, que contribua à fomenter un problème de ramassage des ordures. C'est plus profond qu'il y paraît. Et allez savoir jusqu'à quel point cela est visionnaire.

Les choses ne sont pas destinées à rester immuables. Les "ruptures" se feront, se font déjà, derrière nous, dans cette part de l'histoire humaine qui demeurera toujours invisible aux caméras, aux éditorialistes comme à la doxa. Elles se décident déjà, dans les soubresauts de la nature bien sûr, mais aussi dans une certaine frénésie capitaliste qui, comme on put le dire de la technique, obéit d'avantage à un processus lancé à toute vitesse qu'au projet d'une collectivité d'individus. C'est à tout cela que les sociétés tentent vainement de s'adapter : nulle "renaissance", pour citer l'allusion pompeuse, et trompeuse, que fit récemment Nicolas Sarkozy à ce beau mot, n'est programmée : notre mort seule l'est, mais c'est une mort lente, brouillonne, qui suit son bonhomme de chemin, c'est notre mort comme réceptacle dynamique d'une culture en mouvement - c'est-à-dire pleinement consciente de ne pouvoir innover qu'en ayant eu préalablement quelque chose à conserver. Au lieu de quoi, nous devrons nous farcir, cette année encore, l'arrivisme post-moderne de la Belle et la Bête, du président et de sa première dame disneyworldisée, le triomphe du cinéma petit-bourgeois, des arts plastiques scatologiques, du spontanéisme pictural, de la variété bien-pensante, de la littérature égotiste, le triomphe enfin de cette démocratie devenue académie de stars.

Chacun ses repères. Chacun, selon son histoire, sa culture, sa famille, son tempérament, ses failles, trouvera dans telle ou telle actualité le levain de son attitude et de sa pensée. Tout critère est recevable, aucun n'est illégitime. Et il en est tant. Il faut choisir, donc, aussi arbitraire que cela fût. Aussi, lorsqu'un président de la République, qui occupe et sature un espace public d'une manière jusqu'alors inédite en France, au point de faire de l'indécence une valeur moderne et de l'hypocrisie une vertu contemporaine, peut se payer le luxe de louer la "réserve" et la "discrétion" d'un de nos plus grands écrivains, Julien Gracq, disparu la veille, sans soulever le moindre éclat, alors c'est que notre société n'a jamais été aussi mûre pour le charlatanisme.

Certains jours (mais ils sont de moins en moins rares), il apparaît que c'est dans le silence du retrait que se fomente la rébellion la plus intense, celle dont les coups déstabiliseront avec le plus d'ardeur le fonctionnement d'une société qui se vante de vouloir être participative mais qui, au fond d'elle-même, n'aspire qu'à la conformité plastique, qu'à un ordre qui finira, n'en doutons pas, par rendre l'air irrespirable - sans que les fumeurs y soient pour grand-chose.

A tous, donc, je souhaite une moins mauvaise année...

28 octobre 2006

La mort est dans le décor

Elle ne se moque que de sa mort ; je crois même qu'elle l'attend - que parfois elle la désire. Elle ne tient, ou plutôt ne convient à vivre que pour nous, pour une poignée dont elle devine, même si cela lui est informulable, ou pénible, que notre existence, notre existence à nous, perdrait sans elle beaucoup de son sens, et de son sel. Notre aptitude à vivre, à rire, semble ne pouvoir se déployer que dans l'auréole de son existence très gracieuse, même si l'existence pour elle n'induit et ne charrie aucun bonheur ni félicité - comme si la mélancolie qui s'empara d'elle dès l'enfance et la poursuit jusqu'au plus haut de ses jours nous obligeait à surjouer notre rôle dans notre propre bonheur.

12 décembre 2006

Porte close

Merci à lignes de fuite d'avoir déniché le texte, magnifique, de la conférence prononcée par Orhan Pamuk le 7 décembre dernier, lors de la remise de son prix Nobel. Non sans quelque bonne raison, j'en retiens le même extrait, tout en vous invitant instamment à lire le texte intégral sur le site de la Fondation Nobel.

"Pour devenir écrivain, il faut avoir, avant la patience et le goût des privations, un instinct de fuir la foule, la société, la vie ordinaire, les choses quotidiennes partagées par tout le monde, et de s'enfermer dans une chambre. Nous, écrivains, avons besoin de la patience et de l'espérance pour rechercher les fondements, en nous-mêmes, du monde que nous créons, mais le besoin de nous enfermer dans une chambre, une chambre pleine de livres, est la première chose qui nous motive. Celui qui marque le début de la littérature moderne, le premier grand exemple d'écrivain libre et de lecteur affranchi des contraintes et des préjugés, qui a le premier discuté les mots des autres sans rien écouter que sa propre conscience, qui a fondé son monde sur son dialogue avec les autres livres, est évidemment Montaigne. Montaigne est un des écrivains à la lecture desquels mon père revenait sans cesse et m'incitait toujours. Je veux me considérer comme appartenant à cette tradition d'écrivains qui, que ce soit en Orient ou en Occident, se démarquent de la société, quelle qu'elle soit, où ils vivent, pour s'enfermer dans une chambre pleine de livres. Pour moi, l'homme dans sa bibliothèque est le lieu où se fonde la vraie littérature."

28 septembre 2006

Les 3 P de Moix

Partouz, Podium, Panthéon : il a fallu le succès pour que Yann Moix déserte, non la littérature, mais son ambition introspective et visionnaire. Tout le bien que je pensais de cet auteur lorsqu'il publia ses premiers romans (Jubilation vers le ciel, Les cimetières sont des champs de fleurs) se heurte désormais au personnage qu'il s'est construit. Sans doute y a-t-il du marketing là-dedans (l'icône de l'écrivain houspillant, râleur, asocial et arrogant), mais je regrette surtout que la société ait triomphé de lui au point de vampiriser son écriture et sa vision du monde. Retournement somme toute assez classique : le tenant de la rébellion individuelle devenu simple miroir de son temps - grossier, prévisible, clinquant. Moyennant quoi, il suffit de feuilleter distraitement Panthéon pour voir à l'œuvre un étrange processus : un écrivain qui désapprend à écrire en écrivant.

9 octobre 2006

Sa mort sera la mienne

Il y a la mort concrète, tangible et intangible - celle du corps enraidi sur son lit ou emmarbré sous sa terre : tristesse et solitude accompagnent ceux qui restent.

Mais il y a la mort de l'aimée, qu'on anticipe, plus que tout redoutée parce qu'on ne sait pas ce qu'elle cache, ce qui se dissimule derrière elle et s'apprête à nous sauter à la gorge, ni ce qu'on en fera, ni surtout ce qu'elle fera de nous : une mort autrement plus angoissante que l'autre réelle - et autrement plus angoissante que la nôtre propre puisque, morts à notre tour, nous n'éprouverons plus ni la souffrance ni la désolation. Il faut aimer l'autre comme personne, et comme jamais, pour éprouver un tel sentiment de panique. Pour peu que sa disparition devienne sujet de la conversation, ou, pire, pour peu qu'elle s'attache par indices sur le visage ou la chair de l'aimée, alors c'est le bloc de notre vie qui se retrouve pris au piège, condamné à un guêt de tous les instants. Alors l'idée se joue de nos états et fait alterner sans règle ni méthode l'espoir, fou, d'un ajournement infini du sort, et la crainte de le voir nous tomber dessus, imprévisible, toujours imprévisible - on a beau s'y préparer rien n'y fait, rien ne change rien à la brutalité de ce qui arrivera, à l'hébétude qui sera notre état. Il faut avoir résolu son existence en un seul être pour éprouver la profonde acuité de cette panique, pour accepter que notre vie, notre vie à nous, et quelle que soit la manière, s'arrêtera là parce que l'autre est parti ; pour accepter que fonde sur nous le poids du malheur, ce malheur qu'on apprend à reconnaître à force de s'y préparer, à force, finalement, d'y consentir - non dans un mouvement de consentement, mais dans ce geste de recul où la fatalité s'est nichée et qu'on appelle le renoncement. Nous habitons ce malheur alors même qu'il n'existe pas encore, qu'il n'est qu'une certitude ajournée, à chaque instant ajournée, et pour cette raison malgré tout présente, pleine à nous-mêmes dans la plénitude de son être-là.

Cette aimée n'existe pas pour tout le monde, il ne faut pas se raconter d'histoires : tout le monde n'y a pas accès. Peut-être parce que nous ne pouvons pas tous avoir notre double, notre commun génome, que nous ne pouvons pas tous avoir sur terre celle qui est à la fois notre origine et notre destination. C'est source de tristesse pour l'idée que nous nous faisons de la vie humaine. Et source de joie unique, exclusive, pour nous autres qui l'avons rencontrée. Mon dieu, que ferai-je ? Que serai-je ?

14 octobre 2006

Regarde-moi !

Jardins du Luxembourg. Les enfants ne cessent d'interpeller leurs parents pour leur montrer se dont ils se sentent fiers : Papa, regarde ! Maman, regarde ! (tout juste sont-ils parvenus à se suspendre à une corde ou à glisser sur un toboggan sans se ramasser). Et nous ? Nous devenus des grands, en aurons-nous jamais fini de vouloir prouver à nos parents ce dont nous sommes fiers - ou simplement pas trop honteux ? Qu'il ne soit plus là n'y change rien : je m'entends parfois, comme dans un murmure, lui lancer, à mon tour : Papa, regarde !


 

7 novembre 2006

Les cahiers au feu


Avant de me débarrasser une fois pour toutes de mes journaux intimes - les vrais, ceux que l'on écrit à un âge où l'on ne se supporte pas plus soi-même qu'on ne supporte ce qui nous entoure - je ne peux évidemment pas m'empêcher de les parcourir, ne serait-ce que pour m'assurer qu'il n'y aurait pas là, allez savoir, un souvenir, une anecdote, un bon mot pourquoi pas, qui pourraient m'être utiles. Eh bien non ! Comme prévu : peu de choses - rien. Sauf lorsque j'y suis authentique - ce qui est rare. Alors, ça et là, perce quelque éclair de lucidité douloureuse - ainsi cette note du 15 mai 1993 :
     
     "Deux heures du matin - Lecture du Journal de Kafka. C'est à désespérer d'écrire. Serait-ce alors la vanité qui me susurre d'essayer quand même ?".

9 novembre 2006

Charles Nodier forever ?


A l'adolescence, les phrases que l'on note dans nos petits carnets sont toujours un peu les mêmes, puisque c'est l'âge où s'agrègent et se compilent les réflexions les plus improbables et les pensées les plus contradictoires.

Ainsi notais-je, dans mes carnets du 20 août 1993, ce mot de Charles Nodier, que j'étais allé dénicher, allez comprendre, dans le Larousse mensuel illustré de 1920 : "À vingt ans, j'ai épuisé la lie de toutes les douleurs et, après m'être consumé dans des espérances inutiles, je me suis aperçu, à vingt ans, que le bonheur n'était pas fait pour moi". 

14 novembre 2006

Sensuel Stendhal

Très joli, ce trait, au chapitre VII du Rouge et le Noir : Comme il faisait chaud, son bras était tout à fait nu sous son châle, et le mouvement de Julien, en portant la main à ses lèvres, l'avait entièrement découvert. Au bout de quelques instants, elle se gronda elle-même, il lui sembla qu'elle n'avait pas été assez rapidement indignée.

26 janvier 2007

Ne rien laisser


Viennent un moment, un âge, une condition, où l'on accueille naturellement ses contradictions, ses failles et sa banalité. On le fait sans honte de soi : le héros en nous est mort et enterré. On ne sauvera pas le monde. On ne laissera rien derrière nous. On aura tergiversé entre ambitions et lassitudes, slalomé entre lâchetés et velléités, sombré d'éclats en démissions : cela s'appelle faire de son mieux. Le monde nous montrera du doigt : c'est qu'il est mal de se résigner, c'est l'indice d'une faiblesse, d'un égoïsme
peut-être. Autour de nous des êtres souffrent, des peuples meurent et des civilisations s'éteignent : nous y répondons par la magie. Les sociétés croient s'organiser en rendant coup pour coup aux désordres - mais sont-elles vraiment dupes ? Elles promeuvent comme jamais l'impératif de communicabilité, y consacrent, même, beaucoup d'argent (public), mais nous avons égaré jusqu'aux règles de la conversation. Ce moment que j'évoque, ce moment où l'individu se sent comme libéré du monde sans être sourd à sa tragédie, et en en portant, même, sa part propre, déroute la communauté. Aussi a-t-on rarement assisté à autant de stigmatisations, d'anathèmes, d'exclusions, dans un pays où chaque citoyen est devenu le procureur de l'autre. C'est un sacré sentiment de plénitude luxueuse que de pouvoir tourner le dos au monde sans que rien ni personne ne nous convainquent d'y faire face - puisque quand nous y faisons face, seul l'échec nous fait écho. Et il est réconfortant de songer que nous n'aurons rien laissé qui justifiât que l'on soit regretté.

7 février 2007

Du début à la fin, et nous au milieu


Plus nous en savons du monde, moins nous le connaissons. L'assertion est brutale, mais l'impression plus forte que jamais. Mieux nous sommes informés, plus opaque nous apparaît le sens de l'aventure humaine. Chaque jour nous lisons et détruisons la presse de la veille : l'ennui n'est pas que nous oublions ce que l'on y a appris, mais qu'aucun esprit humain n'est en capacité de mettre autant d'informations en correspondance. L'intelligence du monde nous échappait hier par défaut de connaissances, elle nous fuit aujourd'hui par trop-plein d'informations. Dans les deux cas, c'est l'action des hommes qui en pâtit, au mieux assez vaine, au pire catastrophique. De ce hiatus, je ne sors pas. Il y a des êtres qui ont vu la naissance du monde, qui ont appris à le créer, et d'autres qui en verront la fin, sans doute dans de grandes souffrances. Nous, nous sommes entre les deux. C'est une très longue période, qui aura recouvert l'histoire de l'humanité. Mais nul ne peut douter que cette histoire est bornée.

21 mars 2007

Darfour : meeting à la Mutualité

L'engagement humanitaire est ce qui reste de l'idéologie quand la politique a failli - ou de la politique quand l'idéologie a failli ; ce qui ne signifie évidemment pas que "l'humanitaire" soit exempt de considérations politiques ou idéologiques, tant s'en faut. Cette antienne, qui n'est pas récente, est probablement assez juste, et formulée, c'est selon, avec bienveillance, résignation ou dénigrement. Pour ma part, je m'y rallie et m'y suis rallié de bonne grâce il y a assez longtemps déjà : il faut être rudement sûr de soi et de sa pensée, rudement sûr de la pertinence des clivages traditionnels, rudement sûr, encore, de la réalité du pouvoir dit politique, pour ne pas admettre les limites de l'engagement classique (généralement bipolaire). Nul ne pouvant raisonnablement suivre le rythme de la complexification exponentielle du monde, et le politique ne pouvant pas davantage échapper à cette règle, ne nous restent que quelques fondamentaux, dont il est certes facile de sourire mais dont on voit mal comment l'on pourrait leur dénier ce statut : à défaut de sauver le monde, donc, veiller à ce que le martyre des humains ne se perpétue pas dans le plus complet silence, dans le meilleur des cas contribuer à en sauver quelques-uns. Nous en étions là déjà au moment de la Bosnie et du Rwanda : la donne ne se pose pas en d'autres termes pour le Darfour.

Le citoyen lambda que je suis a depuis longtemps déserté les lieux et instances du militantisme pour, globalement, se replier. Je vote, je m'informe, je ne refuse pas la discussion, parfois je pétitionne, j'écris : voilà, peu ou prou, ce qu'il subsiste de mon passé militant, un vague sens du devoir. Sans doute nul ne peut déserter sans quelque accès de mauvaise conscience (et il est vrai que les militants sont assez doués pour lester de culpabilité les esprits moins engagés), mais on s'en arrange au fond assez bien. Restent donc "les grandes causes", et ce qui se produit au Darfour, génocide, crime contre l'humanité ou quelque autre appellation qu'on voudra bien lui donner, en est évidemment une. Que l'on me permette toutefois cette digression : le récent déni de génocide en Bosnie, officialisé dans un arrêt de la Cour de Justice Internationale, n'est pas pour rassurer quant à la capacité du droit à qualifier les crimes. A l'heure où la France est plus isolée que jamais du monde et de l'Europe, au moment aussi où seul semble la passionner son devenir hexagonal (comme s'il était indépendant du reste du monde), et alors que le temps électoral que nous traversons n'a sans doute que rarement connu une telle insignifiance, le meeting organisé par le collectif Urgence Darfour, SOS Darfur et Bernard-Henri Lévy aura au moins permis de faire entendre une autre ambition, et d'engager quelques-uns des candidats à l'élection présidentielle. C'est pourquoi j'y étais, pour faire masse, l'hystérie médiatique et la sottise communiquante n'étant sensibles qu'au bruit de la foule.

28 mars 2007

Habillé pour la vie


Il se laisse facilement, tranquillement, presque douillettement envelopper par la fatigue de vivre. Il lui suffit, alors qu'il s'éveille, de regarder et d'écouter alentour. Il sait que l'acharnement à vivre n'est plus compatible avec la mission d'exister.

Dit avec davantage de talent - celui de Louis Calaferte (Situation - Carnets XIII - 1991) : "Clairement concevoir l'essentiel de la vie - s'y tenir."

24 mai 2007

La solitude


On aime la solitude pour autant qu'elle ne nous laisse pas seuls avec nous-mêmes, pour autant qu'on la laisse libre d'en fréquenter d'autres et d'être entendue, parfois reçue par elles. On l'aime quand elle est une manière, la meilleure pour nous, pour notre besoin d'espace et de distance, d'accompagner le cours du monde. Elle nous abat dans l'instant même où nous n'entrapercevons plus notre silhouette dans le lointain.

19 septembre 2007

Encore un matin


Une certaine manière de marcher, très lente, surtout au matin, dans la rue, ne jamais regarder devant soi mais au loin, vers et par-delà l'horizon, parfois vers la cime des arbres ou les fenêtres des derniers étages, ou carrément les yeux sur les godasses, et toujours en rasant les murs, surtout en rasant les murs, dans tous les sens du terme, et toujours très lent, laisser passer les gens, les vieilles et les enfants, les enceintes et les sœurs, les p'tits loulous et les bobos, même les animaux parfois, par politesse oui peut-être mais surtout pour ne pas déranger, pour ne pas être vu, marcher et s'effacer, et claudiquer presque, à force de lenteur, et retarder l'éveil à la foule, au monde, laisser passer surtout, s'incliner, dare-dare déposer les armes. 

26 septembre 2007

Très anglophile francophonie


En octobre 2000, le "Protocole de Londres" a scellé un accord entre les pays membres de l'Office Européen des Brevets. Pour faire vite, cet accord supprime l'obligation de traduire en français les brevets européens ; or il se trouve que le gouvernement français, par les voix mêlées de Valérie Pécresse, Hervé Novelli et Jean-Pierre Jouyet, a récemment annoncé son intention de le ratifier. Aux voix de ces trois ministres, joueurs de fluteaux responsables
 de la Recherche, des Entreprises et du Commerce extérieur et des Affaires Européennes, il n'aurait pas été totalement indécent d'adjoindre celle du Secrétaire d'Etat à la Francophonie, l'ancien socialiste Jean-Marie Bockel. Inutile, toutefois : celui-ci est un chaud partisan de l'accord. Aussi le haut responsable francophone qu'il est peut écrire sans le moindre trouble que "le statut du français s'en trouve(ra) clairement renforcé", la novlangue institutionnelle l'autorisant à affirmer que cet accord "permet d'affirmer une francophonie vivante qui (...) porte notre esprit d'entreprendre." (Le Monde, 21 septembre 2007).

Déroutants, imprévisibles, grands farceurs devant l'éternel, les partisans de l'accord argueront du passéisme, de l'archaïsme et autre nostalgisme de ses opposants : c'est qu'ils ont fière allure, ces affairés qui virevoltent sur le vent de l'histoire. Mais j'oublie que ce gouvernement fut ardemment désiré par le peuple, et qu'à ce titre il peut tout se permettre - jusqu'aux plus profondes contradictions : la création d'un ministère de l'Identité nationale d'un côté, la vente à l'encan de la langue française de l'autre. Européen, et anglophile à bien des égards, l'écrivain que je suis continuera donc de voir sa langue se dégrader dans le long processus des incultures et des incuries technocratiques, avec l'enthousiaste soutien de ceux qui ont mené campagne sur le thème de la nation retrouvée.

28 avril 2008

L'exemple allemand

En France, nous ne voulons toujours pas entendre parler de la réédition des pamphlets de Céline - que les petits cochons antisémites se refilent donc sous le manteau d'Internet ; en Allemagne, le Conseil central des juifs vient de se prononcer pour celle de Mein Kampf : c'est toute la différence entre une nation soucieuse de transmettre l'histoire et une société désireuse de la taire.

14 mai 2008

Syllogismes de l'hébétude


-
Quel animal aimeriez-vous être ?

- Sans doute quelque chose entre le chimpanzé et le bonobo. Malheureusement, ça s'appelle un homme.
 

*

- (Bis) Quel animal aimeriez-vous être ?
- Peut-être un bigorneau. Arrimé à mon rocher et pelotonné en spirale dans ma coquille, je jetterais un œil au dehors par moments très brefs en soulevant le petit opercule qui me protège des embruns, désireux seulement d'attendre que l'on me pique et me dévore gentiment.

*

Nous autres ? Corps et humeurs, société et psychologie. Ces choses les moins intéressantes au monde, et qui le font tenir.

*

Tout écrivain l'éprouve : le sentiment de sa profonde bêtise lorsqu'il parle, son impression d'incomparable intelligence dès qu'il se met à gribouiller. On pardonne d'autant mieux aux grands silencieux : ils ne mettent pas une stratégie à l'épreuve, ils se soumettent, pour survivre, à la rude vérité.

*

Tout individu a devant lui deux voies : faire le vide ou le trop-plein. Pour une très grande part, il n'est pas responsable de son choix ; pour ce qui lui revient, et c'est fort congru, ce ne sont que les variantes d'un même cheminement vers l'impossible, deux modes d'accès à l'erreur. Il faut avoir éprouvé les deux pour le savoir. Parole de bigorneau.

22 mai 2008

Manchette

Il faut m'astreindre à n'écrire ici que lorsque je suis de bonne humeur, et surtout pas quand je me crois malheureux. Le chagrin rend stupide. Il ne faut pas écrire de stupidités.

Jean-Patrick Manchette, Journal du 29 décembre 1966

C'est là une injonction fréquente dans tout journal naissant ; il est rare qu'on s'y tienne. Mais il est très intéressant de noter cette récurrence, cette obligation que l'on se donne à se défier de ses humeurs ; non par optimisme, cela n'a rien à voir, mais par crainte que l'humeur éloigne de l'art, qu'elle soit, d'une certaine manière, antithétique à la démarche d'écriture. Quand je me crois malheureux, écrit Manchette, qui, dès la première page de son premier journal, et alors qu'il n'a que vingt-quatre ans, nous dit déjà que seuls les faits le mobiliseront, que tout examen ou raisonnement psychologique demeure tributaire de l'interprétation, donc de l'erreur.

12 juin 2008

Manchette

Les émeutes de 68 n'étaient pas étudiantes. Un moment, le mauvais côté qui fait avancer les choses a explosé, grâce à quelques voyous. L'émeute matée, le bon côté reprend le dessus, et surtout chez les étudiants, tous cons, accumulant en eux une extraordinaire quantité de tares, du simple fait qu'ils sont des étudiants. La honte devra être rendue plus honteuse encore.
Une majorité d'étudiants vote donc, et nécessairement vote la reprise du travail. Autrement dit,
des petites filles maigrelettes, avec d'amples jupons, et ressemblant par leurs gestes et leur tournure à de petites femmes, sautent à la corde, jouent au cerceau ou se rendent visite en plein air, répétant ainsi la comédie donnée à domicile par leurs parents.
De même, la journée d'action organisée le 12 février par la C.G.T. sera un échec. Toutes les actions lancées par les dirigeants sont destinées à maintenir l'ordre. Il est épineux d'être un dirigeant. Il faut créer sans cesse une demi-réussite assortie d'un échec total, pour conserver son pouvoir.

Jean-Patrick Manchette, Journal du jeudi 30 janvier 1969

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