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Marc Villemain
18 juin 2008

Amour foot & culture

Je ne m'intéresse plus au football, et au sport en général, depuis des années, et cela en dépit de plusieurs années de pratique assidue et du plaisir que son spectacle peut me procurer à l'occasion. Moyennant quoi, la dernière compétition sportive que j'ai regardée à la télévision doit remonter à 1998, soit la coupe du monde de football ; qui plus est, je n'ai plus aujourd'hui de téléviseur. Bref, il paraît qu'il y avait un match hier soir, entre l'Italie et la France, et que la France a perdu. Aucun intérêt. Or les médias ce matin font état de deux petits événements internes suffisamment croustillants.

À l'issue du match perdu, le sélectionneur, Raymond Domenech, aurait demandé au micro sa main à une certaine Estelle Denis. Pour les footeux, après la défaite, c'était bien plus qu'ils ne pouvaient en supporter, un peu comme la goutte qui fait déborder la canette. J'avoue qu'il ne me serait pas venu à l'idée de suggérer en public à Marie qu'elle acceptât de convoler avec moi. Or, si la manière est ce qu'elle est, je veux tout de même prendre ici la défense du sélectionneur malheureux et, par le dicton conséquent, heureux en amour. Car il ne fait, fût-ce en exhibant sa maladresse, que nous rappeler cette évidence telle qu'il peut sembler saugrenu d'avoir à la rappeler : le football n'est qu'un jeu. On perd, on gagne, c'est comme à la bataille ou aux petits chevaux. Ce n'est qu'une distraction, une occasion de détente et de bonne humeur dans un monde hostile et incompréhensible. Que l'homme dont on réclame la tête ce matin en couverture des canards et autres torchons scabreux qui ornent les kiosques (France-Soir), et alors qu'il savait pouvoir s'attendre à recevoir un torrent de boue sur le crâne, ait donné la priorité à son destin amoureux, aux grandes infrastructures des temps humains et à cette superstructure sublime qu'est le mariage, qu'il ait remis à sa place de jeu du cirque le grand spectacle du sport populaire et sponsorisé, voilà qui, peu ou prou, oui, me rassurerait plutôt. 

Le deuxième petit événement interne à cette Bérézina footballistique est moins croustillant, et m'amuse en vérité beaucoup moins. Il tient en une phrase, prononcé ce matin à l'issue du conseil des ministres : cette défaite est "un deuil collectif". Idiot, bien entendu ; mais plus idiot encore, et surtout déprimant, lorsque son auteur n'est pas un supporteur lambda et un tantinet échauffé par l'adrénaline ou le reste, mais bien Christine Albanel, notre ministre de la Culture. 

16 juin 2008

Mort d'Esbjorn Svensson

Esbj_rn_Svensson


J'
apprends que Esbjörn Svensson, le pianiste de e.s.t. (Esbjorn Svensson Trio), vient de périr, à quarante-quatre ans, dans un accident de plongée. Son groupe était un des rares de ce niveau à attirer vers le jazz des oreilles qui y étaient étrangères ou peu familières, sans jamais sacrifier aucune exigence ni sans jamais se lasser d'aucune exploration. On se souviendra d'un jeu très élégant, post-jarrettien dans sa mélancolie aqueuse et son mouvement vers la transe, et bien sûr des brèches qui se seront ouvertes dans le jazz, e.s.t. ayant incorporé l'électronique d'une manière qui ne fût pas d'agrément (tentation à laquelle succomba parfois Miles Davis), mais au contraire constitutive, au même titre que le choix de tel ou tel instrument, d'une esthétique finalement très pure. C'est une perte assez lourde pour le jazz.

13 juin 2008

Manchette

Je garde de Vialatte le souvenir de son aspect à la télévision, voici quelques dimanches, un petit vieillard crapaud, chauve aux paupières plissées, fait  pour la nudité ou le pardessus, habile, neutre et rigolo, avec de la réserve et un regard. Quelque peu satanique. Plaisant à observer et à écouter comme devraient l'être les auteurs de Fantômas.

Jean-Patrick Manchette, Journal du vendredi 14 mars 1969

12 juin 2008

Manchette

Les émeutes de 68 n'étaient pas étudiantes. Un moment, le mauvais côté qui fait avancer les choses a explosé, grâce à quelques voyous. L'émeute matée, le bon côté reprend le dessus, et surtout chez les étudiants, tous cons, accumulant en eux une extraordinaire quantité de tares, du simple fait qu'ils sont des étudiants. La honte devra être rendue plus honteuse encore.
Une majorité d'étudiants vote donc, et nécessairement vote la reprise du travail. Autrement dit,
des petites filles maigrelettes, avec d'amples jupons, et ressemblant par leurs gestes et leur tournure à de petites femmes, sautent à la corde, jouent au cerceau ou se rendent visite en plein air, répétant ainsi la comédie donnée à domicile par leurs parents.
De même, la journée d'action organisée le 12 février par la C.G.T. sera un échec. Toutes les actions lancées par les dirigeants sont destinées à maintenir l'ordre. Il est épineux d'être un dirigeant. Il faut créer sans cesse une demi-réussite assortie d'un échec total, pour conserver son pouvoir.

Jean-Patrick Manchette, Journal du jeudi 30 janvier 1969

11 juin 2008

Manchette

D'une façon vulgaire, on pourrait dire que mon adhésion à la théorie révolutionnaire est accompagnée de l'idée que rien ne m'oblige néanmoins à vivre d'une façon désagréable.

Jean-Patrick Manchette, Journal du vendredi 2 février 1968