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Marc Villemain
25 septembre 2007

André Gorz et D.

André Gorz et Dorine


Le suicide d'André Gorz et de son épouse Dorine résonne en chacun de celles et ceux qui ont appris à considérer l'existence comme une ponctuation absolue, et à l'aimer pour cela. Il n'est pas besoin d'avoir connu ou lu André Gorz pour que nous saisisse la beauté terrifiante de cette vision : un homme et une femme, deux octogénaires amoureux, étendus morts l'un à côté de l'autre, ayant seulement pris soin de placarder sur la porte de leur maison un mot à l'attention des gendarmes et de rédiger un adieu à des amis. C'est une image comme en aiment les romantiques, mais le romantisme s'épuise vite dans son incarnation, et ne nous reste au bout de cette vision que la souffrance qu'elle charrie ; alors nous effleurons avec peine ce qui conduisit l'un et l'autre à l'impérieuse nécessité de la délivrance.

Ceux qui ont lu Lettre à D. ne pourront le relire sans trouble : le livre annonçait l'acte ("Nous aimerions chacun ne pas survivre à la mort de l'autre.") Or c'est précisément parce qu'il fut écrit avant d'être accompli que la radicalité du geste, geste de vie et d'amour, paraît plus grande encore : quelle force d'âme dut être la leur, à eux qui mirent en acte les conséquences de leur amour ! S'ensuit la question que se poseront les amoureux authentiques : connaîtrons-nous telle extrémité ? Saurons-nous en faire un événement à l'intérieur même de notre vie ? En serons-nous capables ?

 

Commentaires
B
très émouvant.<br /> <br /> <br /> <br /> Jérôme B (geronimo)
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P
Oui le questionnement n’est-il pas celui de savoir jusqu’où l’amour pour l’autre<br /> doit s’arrêter ?<br /> Soit de savoir si on peut se rapprocher indéfiniment de l’autre pour arriver à une<br /> Fusion dans un amour dénué d’intérêt personnel, ou de savoir si le couple est un simple<br /> Assemblage mécanique pour satisfaire simplement ce que la nature a prévu pour nous :<br /> Une engeance…<br /> Pouvons-nous dépasser la Nature et notre condition animale ? Pour nous inscrire dans <br /> une empathie totale et une fusion de la pensée avec l’autre ?
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M
Il me semble que "Lettre à D.", le dernier livre d'André Gorz et le seul qui ne fût pas un essai, dit les choses de manière très nette : survivre à l'autre, à cette autre, n'était pas même imaginable. Tout ce que vous dites des multiples scénarii qui peuvent conduire un individu, à un certain moment de son existence, pour des raisons aussi complexes et touffues que l'âge, son âge propre et celui de l'autre, l'espérance théorique de vie, la peur de la solitude, et tant d'autres choses encore, tout cela est vrai. Mais "Lettre à D." est dénué d'ambiguité, et remet les pendules de cet amour à l'heure - loin de toute idée de fusion, au demeurant.<br /> <br /> Il ne s'agissait pour moi, ni d'insister sur l'aura romantique du couple et de ce geste, ni d'en tirer je ne sais quelles conclusions universelles et non-singulières, mais simplement de dire ce que, en tout couple, un tel événement peut susciter. Au final, chacun demeure désemparé, et nous sommes tous bien impuissants à tirer pour soi des conclusions pratiques d'une telle disparition, pût-t-elle sembler exemplaire.
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P
Il faut toujours considérer une situation sur le plan individuel avant de la considérer sur le plan symbolique, même si la symbolique agit sur nous. <br /> Le couple était octogénaire et n’avait plus beaucoup d’espérance de vie. Il y avait donc une logique à se supprimer ensemble. A quoi sert en effet de vivre seulement quelques années après la mort de l’autre, alors qu’il ne reste que quelques années de vie à celui qui survit ?<br /> Mais si par exemple il y avait eu entre eux 20 ans d’écart par exemple, laissant à l’un des deux la possibilité de vivre encore 20 ans, le couple se serait-il supprimé ? L’idée de l’amour romantique par excellence aurait-elle pu alors exister ?<br /> Et puis est-ce un acte de fidélité, un acte d’amour, ou un acte pour éviter la douleur d’être seul que de se suicider ensemble ? ou une composante de deux ou de trois des propositions précédentes ?<br /> Ou est-ce un acte de désespoir, voire de peur de se retrouver seul ?<br /> Pour cela il faudrait probablement lire tous les livres du couple. Et encore.<br /> Mais le problème Symbolique reste : le couple est-il un seul individu ou non ? Et si oui rendant chacun solidaire de l’autre sans fin. Ou sommes-nous seulement l’addition de deux individualités avec deux destins différents ?<br /> Il est possible que cela soit un choix personnel. Il est possible que l’on fasse un choix d’aller indéfiniment vers l’autre à tel point qu’il n’y ait plus de frontières entre l’un et l’autre. Cela est-il seulement possible ?<br /> Ce couple d’octogénaires a t-il réussi la fusion totale des deux individus du couple ? A tel point d’imaginer la seule fin possible du suicide collectif ?<br /> Une telle empathie entre un home et une femme est-elle possible ?<br /> Un tel amour est-il possible ?
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M
Vous avez sans doute raison sur l'usage du mot "extrémité. Je laissais toutefois entendre ce que vous dites en évoquant un événement "à l'intérieur même" de la vie.
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