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Marc Villemain
20 décembre 2012

Valery Larbaud - Allen

 

« Eh oui : nous sommes, aujourd'hui, au nombre des heureux de ce monde ; l'ami qui nous conduit est un des jeunes hommes les plus riches de Paris, et nous avons des pardessus épatants et des tas de trucs et d'accessoires de grand lusque, et mieux encore : en large et en long, toute la France. » Voilà qui reflète bien l'état d'esprit de ces cinq amis traversant la France pour s'en aller rejoindre ce que l'un d'entre eux nomme son « Duché » , périmètre bien français situé en plein coeur du Bourbonnais - dont est originaire, on le sait, Valery Larbaud ; le livre est d'ailleurs dédié à sa mère et « à notre Pays natal. »

 

Hommage au Bourbonnais autant qu'éloge du voyage et conversation sur nos « provinces françaises », Allen est un petit bijou d'esprit, de vivacité, de profondeur dandyesque autant que de légèreté grand-bourgeoises. Champêtre et parisien, Larbaud livre en peu de pages (et commente remarquablement, en fin d'ouvrage) une sorte de condensé de l'esprit français, traversant l'histoire et la géographie comme autant d'expressions possibles de notre entendement et de nos moeurs.

 

Ces cinq-là conversent donc en voiture, cheveu au vent et verbe batailleur, se risquant à quelques pointes pour mieux ralentir et s'extasier devant l'antique beauté des choses, souriant d'eux-mêmes, de ce qu'il y a en eux de provincial lorsqu'ils sont à Paris et de parisien lorsqu'ils sont dans « les provinces ». Il y a dans ce périple enchanteur quelque chose d'extraordinairement libre, et précurseur, peut-être, d'un certain esprit libertaire. L'on s'émeut du baiser qu'une jeune fille d'un quelconque pensionnat lance en catimini sur le passage de la voiture (« un de ces jeunes lis français, haut sur tige et bien blanc, avec un air un peu sainte Jeanne d'Arc, un peu sainte Nitouche »), et l'on se prend à rêver, en précurseurs du tag, de réveiller ces petite villes endormies : « et quand je suis dans une de ces villes, je me sens tout disposé à la taquiner, à lui faire des farces telles que : redorer les pointes des grilles de la sous-préfecture, mettre des poissons rouges dans les bassins des jardins publics, peindre sur les rideaux de fer des boutiques des emblèmes appropriés au commerce qu'on y fait ou des paysages ou des combinaisons et des rayurdes de couleurs vives ou tendres, pour que les rues des dimanches et des jours fériés soient moins tristes. » Audacieux (qu'on en juge par les dialogues) et remarquablement composé, ce petit texte de Larbaud, mine de rien, manifeste de manière incroyablement érudite et vivante tout un pan de ce que l'on pourrait désigner comme un idéal civilisationnel. L'on y passe d'un entrain presque potache à une douce et tendre mélancolie, celle qui met dans la bouche de Valery Larbaud ce beau mot de retirance, lequel, mieux qu'une retraite, dit bien ce à quoi, de tous temps, aspire l'homme d'art et de pensée.

 

Allen, Valery Larbaud - Éditions Sillage
Première édition : Gallimard, 1929

Commentaires
L
merci ! oh merci mon dieu ( petit " d ", petit " d " .. ) pour ce texte si court qui contient tout Larbaud, ce gosse-de-riche qui n'a jamais rien fichu d' autre que de nous rendre heureux pour la vie, par la seule magie de son nom toquant à notre carreau ! bien sûr que l'on devrait lire et relire cet ami chaque dimanche soir pour finir la semaine en bons termes ... ( Fermina, Eliane, Rachel, Soeur Pamphile, la grande époque ... ) quel tendre coeur , comme sont devenues rares et précieuses d' aussi délicates visions !..<br /> <br /> oui, ils ont presque tous disparu ces écrivains d' avant " Apostrophes " qui savaient s'élever hors d' atteinte de toute pollution en des temps...si charbonneux pourtant ...<br /> <br /> Je ne vois guère que R. Gomez de la Serna, dans ses " lettres aux hirondelles ", pour<br /> <br /> rivaliser .. ou alors vous-même, Marc Villemain, quand vous lâcherez les ronchons et les cloportes pour aborder ( ? ) ce registre là ...... ???
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