Marie Van Moere - Petite louve
Il se trouve que j'ai eu à connaître une des versions de travail de Petite louve, roman brutal, roboratif, d'une énergie un peu folle - et en vérité assez rare en France : manière de dire qu'il ne m'aurait pas déplu de pouvoir en être l'éditeur. C'est un texte qui, dès son ouverture, m'a sauté à la gueule sans que je puisse tout à fait en comprendre les raisons. Car, mieux qu'une Fred Vargas trash, Marie Van Moere signe, avec ce premier roman noir aux allures de road-movie, un texte dont on se dit qu'un Tarantino, s'il avait été corse, n'aurait pas craché sur la science des dialogues, la mise en scène de la cruauté et l'amoralité consciente.
L'idée de vendetta pourrait assez bien résumer ce dont il est question : Agathe, médecin à Marseille, ne vit plus que pour se venger du viol de sa fille adolescente par un jeune gitan, Toni Vorstein. Rien ne résiste à cette soif de vengeance - donc à cette douleur : ni son métier, ni son couple. Agathe et "la petite" prennent la route, s'improvisent tueurs impitoyables, (re)découvrant sur le tas les réflexes de l'animal traquant et se sachant traqué. Elles poursuivent leur chemin sans se retourner - leur chemin, c'est-à-dire le fil rouge de leur destin. Entre les cadavres qui jonchent les routes ou les hôtels, les paysages défilent, ceux d'un Sud qui a parfois quelque chose de mystérieusement extraterritorial. Mais on ne se venge pas impunément des Vorstein, qui eux-mêmes vont chercher à venger leur fils et frère (c'est bien naturel) et, ce faisant, à laver l'honneur du clan. Autant dire que le happy end n'est pas au menu.
Van Moere ne se paye pas de mots. Elle n'a pas au langage de rapport “intellectuel”, mais une relation viscérale, primale. Elle conte, raconte, éprouvant un plaisir manifeste à tenir le lecteur par ce qu'il a de plus intime (que l'on m'autorise cette périphrase : elle ne déteste pas les images viriles.) Son phrasé, délibérément sec et râpeux, très cinématographique, n'exclut toutefois pas une certaine minutie dans les moments plus lents où, traversant des paysages qu'elle connaît bien, l'auteure sait maintenir le suspense tout en s'amusant à le tenir en bride. C'est d'autant plus réussi que cela n'empêche pas une certaine émotion de sourdre - d'autant plus troublante qu'elle est contenue.
Car, brutale, l'histoire n’en est pas moins touchante. Certes, tout y passe : torture, assassinat, viol, inceste, prostitution, drogue, nécrophilie, mais c’est toujours précis, subtil, et étrangement féminin : je ne suis pas certain qu'un homme eût pu écrire une telle chose sans sombrer dans une certaine complaisance. Ici, non : les pires scènes demeurent adossées à une intention que l’on devine d’un autre ordre. Dans la brutalité, dans la manière de l'amener (et d'en sortir), dans l’apparente et fausse gratuité des scènes gore, quelque chose nous ramène inlassablement à une dimension fondamentalement très humaine. En gros, c’est un peu de notre métaphysique commune qui est désossée. C’est aussi ce que j’ai aimé dans ce texte : qu’entre les lignes s'y lisent des dimensions à la fois plus universelles et personnelles - relatives à l’adolescence, au passage de la quarantaine, à l’anorexie, au rapport mère/fille, au couple ou à l’angoisse de l’intégrité corporelle. Bref, lisant Petite louve, j'ai retrouvé des sensations un peu oubliées, celles que me procuraient par exemple (cela fait un certain temps que je ne l'ai pas lu) les thrillers de Jeffery Deaver : de quoi être bluffé.