Petit traité de misanthropie : un article de Patrick Emourgeon
Cest toujours une joie très grande que de se savoir lu bien après les quelques semaines d'exposition qui suivent la parution d'un roman. Merci, donc, à Patrick Emourgeon d'avoir pris la peine de partager son enthousiasme pour ce roman paru en mai 2011 chez Quidam.
Petit traité de misanthropie
Il y a des mots qui me reviennent à la lecture de Marc Villemain. Des tas de mots et des idées sur l’homme : velléité, acrimonie, misanthrope, cloporte, extinction, laideur, vain, silence, haine… des mots crus que j’aime retrouver dans la littérature du vrai.
Marc Villemain, cet auteur rare, explore l’arrière cour des choses humaines. Déjà dans Et je dirai au monde toute la haine qu’il m’inspire, ce roman prémonitoire, publié en 2007, m’avait bousculé, il y ausculte la montée d’un totalitarisme rampant et la lente démission du politique, testament émouvant d’un élu en exil qui revient sur son passé. Une lecture acérée de la démocratie d’aujourd’hui, de l’extinction des idéaux. Un texte puissant et profond. Totalement d’actualité.
Villemain aime la fin, toutes les fins. Ces rudes moments de sincérité où l’on peut enfin peser la véritable densité des sentiments, creuser jusqu’à la roche la vérité, en extraire les racines et voir l’autre dans sa terrible nudité, à sa taille réelle.
Il aime nous déstabiliser. Un exercice sain dans un monde lisse de certitudes sucrées. Dans un monde aux couleurs fades, il trace à grand trait noir et rouge, les angles d’un siècle déprimé, ce siècle que ce vieux professeur d’université en fin de vie sait qu’il va bientôt devoir quitter, coincé dans un de ces mouroirs modernes.
Le pourceau, le diable et la putain est un livre sur la fin, il consigne le testament de la vie d’un homme, un témoignage sans concession, d’un pur misanthrope à l’ancienne. Dans un style volontairement obséquieux, drôle et tragique, Léandre, de sa faconde professorale, nous raconte sa haine tendre du genre humain.
Les mémoires de ce vieux con assumé bouscule une époque habituée à la tartufferie, aux édulcorants moralistes et télévisuels. Tout y passe : les enfants, les femmes, les étudiants (j’adore !), les curés, le sexe (la découverte de l’orgasme à Madrid, drolissime…) c’est la grand cavalcade, le déballage, une immense et pittoresque brocante où les bons sentiments sont bradés, écrabouillés parfois… Un exercice vivifiant et corrosif qui fait du bien.
Attention, ce vieil homme est un puriste dans son genre, un misanthrope doté d’une certaine classe, il réserve sa férocité aux imbéciles, au mensonge et à la malveillance.
On est loin des petits méchants d’opérette, ces pervers cruels et lâches qui se déguisent en victime dès qu’ils se sentent démasqués, chez cet homme fier et intelligent, derrière sa cruauté, on entend plutôt sourdre son amour déçu de l’humanité, citant Balzac qui en connaît un poil , « tout homme qui, à quarante ans n’est pas misanthrope n’a jamais aimé les hommes. »
Bref, Marc Villemain aime à travers ses personnages questionner avec acidité la place du bien et du mal. Discrètement il nous interroge sur le véritable visage du diable, du pourceau et de la putain dans nos sociétés « modernes ». Il sait qu’ils ne sont jamais vraiment là où on les attend…
Un truculent bouquin et un auteur à découvrir !
Patrick Émourgeon