Ostinato au Théâtre de la Huchette
Du 26 septembre au 7 décembre 2024
https://www.theatre-huchette.com/ostinato/
Auteur : Marc Villemain
Mise en scène : Dimitri Rataud, assisté d'Emmanuelle Jauffret
Avec : Claude Aufaure, Ludovic Baude, Hélène Cohen
Scénographie : Esthel Eghnart
Régisseur : Yves Thuillier
Lumières : Didier Brun
Graphiste : Cristo Marignier
Attaché de presse : Jean-Philippe Rigaud
Communication : Thomas Baudeau
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LE FILS : Soixante-dix-huit ans, de nos jours, ce n’est pas si vieux.
LE PÈRE : Tu as raison, fils : on est jeune jusqu’à ce qu’on meure.
LE FILS : Toi, tu cherches à me dire quelque chose.
LE PÈRE : Pas le moins du monde. N’aie crainte, je t’épargnerai la complainte du vieillard valétudinaire. D’ailleurs je ne me plains de rien. Au contraire. J’ai eu de la chance, beaucoup de chance.
Voilà plus de vingt ans que je garde par-devers moi, dans le labyrinthe (obscur) de ma psyché (obscure), les hypothétiques projections de chair et de sang des personnages que je m’acharne à créer : je suis romancier. Est-ce du fait que je vieillis (fléau largement répandu et dont souffre d’ailleurs le personnage du père dans « Ostinato ») ou que je m’impatiente (vieillir ne signifie pas s’assagir), toujours est-il que j’ai fini par éprouver le désir féroce de les voir, ces personnages, et de les voir au sens le plus matériel du terme. Car c’est merveilleux, sans doute, de vivre des années durant avec des amis de papier (et qu’importe qu’ils soient beaux ou laids, vertueux ou scandaleusement déviants), mais voilà : l’envie était devenue irrépressible du miracle (et des surprises) de l’incarnation.
J’ai donc eu l’idée de parcourir un nouveau bout de chemin avec certains des personnages de mon dernier roman [Il faut croire au printemps – Éditions Joëlle Losfeld], mais trente ans plus tard, et au théâtre. Avec le désir (sans doute pas toujours conscient) d’explorer l’impossible relation entre un père et son fils, ici lestée d’un tragique mensonge originel que le fils, devenu adulte, est bien décidé à arracher au père. Entre eux, arbitre des élégances et médiatrice de cet espace d’incommunicabilité, une femme – parce qu’il y en a toujours une –, aimée de l’un et de l’autre, et qui probablement les connait mieux qu’ils ne se connaissent eux-mêmes.
Je m’aperçois, bien des années plus tard, que cette question de la relation filiale, relation mêlée de culpabilité, d’anxiété, de sentiments tus, qui plus est exacerbée par la cruelle débandade du temps, affleure dans la plupart de mes livres, même lorsqu’ils semblent « traiter » de tout autre chose. Pétri de non-dits, de pudeurs, de réticences, de frustrations, c’est un type de relation où l’amour, fût-il inconditionnel, ne s’exprime souvent qu’au gré d’événements douloureux ou exceptionnels. Dès lors, le théâtre, qui exige d’aller « à l’os », me tendait les bras, tout indiqué qu’il était pour plonger dans le chaudron de ces passions inexprimées. Dans la vibration d’une voix ou le tremblé d’un geste, dans la langueur d’un silence ou la malice d’une œillade, il permet de laisser entendre ce que le texte seul, sans forcément prendre parti, ne faisait que suggérer. Aussi est-ce pour moi un bonheur exquis de découvrir ce dont sont capables un metteur en scène et des comédiens également admirables, lorsqu’en eux monte le désir d’y injecter un peu de leur propre existence.