Cinéma : The Apprentice, d'Ali Abbasi
Voici un « biopic », disons plutôt quelque chose tirant ou s’amusant avec l’idée de biopic, qui sort du lot. Fin des années 1970, fils de bonne famille et d’un florissant promoteur immobilier, un certain Donald Trump est bien décidé à conquérir le monde. Il y parviendra notamment en se faisant aider (avant de le manipuler) par l’avocat conservateur et entremetteur politique Roy Cohn (incarné par l’exceptionnel Jeremy Strong, révélation de la série « Succession »), celui-là même qui obtiendra la reconnaissance de culpabilité d’Ethel Rosenberg puis deviendra le « conseiller juridique » du sénateur McCarthy. Ce contempteur de l’homosexualité décédera finalement du sida en 1986 – et non du cancer de foie contre lequel il jurait se battre.
D’Ali Abbasi, cinéaste danois d’origine iranienne, je ne connaissais que le troublant et très percutant « Les nuits de Masshad », sorti en 2022 (basé sur des faits réels, le film, évidemment condamné par l’Iran, raconte l’assassinat, au début des années 2000 à Téhéran, de seize prostituées). Il revient donc à l’affiche porteur d’un tout autre projet et d’un tout autre univers : celui de l’arrivisme et d’un certain cynisme américains, ingrédients quasi constitutifs du capitalisme le plus crapuleux. Le grain est légèrement râpeux, poisseux, caractéristique d’une certaine esthétique des seventies, et forme un bien plaisant contraste avec la bande-son disco-clinquante de l’époque.
Plus subtil qu’il y paraît, bien plus élaboré aussi qu’une simple charge contre Donald Trump, qui n’était pas, en soi, le projet d’Abbasi, la grande réussite du film tient d’abord au fait qu’il ne court pas après la ressemblance absolue et esquive le piège du mimétisme formel, erreur de trop de films de cette catégorie. Il s’agit plutôt de fêler la coquille, de Trump sans doute mais plus généralement du trumpisme diffus qui imbibe l’Amérique en tapinois depuis quelques décennies. Et de s’en tenir à un propos qui pourra paraître simple (disons une sorte de généalogie du populisme dans tout ce qu’il peut avoir de retors et de crasse), mais dont on se convainc d’autant plus aisément qu’il constitue le fil rouge de la carrière du futur président américain que, précisément, il n’argue pas d’une véridicité absolue. Il échappe ainsi, ce faisant, au piège dans lequel attire tout commentaire académique, politique ou journalistique. En somme, Abbasi continue de faire du cinéma.
Mais à cette réussite, l’on ne peut évidemment pas ne pas associer Sebastian Stan, surtout connu jusqu’ici pour ses contributions à l’univers Marvel, qui incarne habilement le jeune Trump emprunté et finalement assez sage qui précède sa rencontre avec Roy Cohn, et qui, peu à peu, prend conscience de son appétence pour le pouvoir absolu. Enfin, j’y insiste, Jeremy Strong. Quel plaisir de le retrouver ici dans ce rôle, endossé avec la même morgue et la même hyper-sensibilité savamment tenue en bride qu’on lui connaissait dans son rôle de fils maudit de la série « Succession ». Cet acteur-là, je me le dis souvent, a quelque chose qui n'est pas sans évoquer le génie d’Al Pacino. Besoin d’un argument supplémentaire ? Donald Trump, le vrai Donald Trump est en rogne : « Faux et vulgaire », clame-t-il. Parole d’expert.