Théâtre : Melwida, de Michel Mollard (studio Hébertot)
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C’est un nom oublié, celui d’une femme qui pourtant inspira bien des grands esprits de son temps : Nietzsche (qui lui devra sa rencontre avec Lou Salomé), Wagner, Michelet, Liszt, Hippolyte Taine, Sully Prudhomme et tant d’autres. Parmi lesquels, donc, Romain Rolland. Elle, c’est Malwida von Meysenbug. La profonde et réciproque affection que tous deux se portent, nouée alors qu’il n’est encore qu’un tout jeune agrégé d’histoire, donnera lieu à d’innombrables rencontres, séjours et autres voyages, ainsi qu’à une correspondance très nourrie – plus de mille cinq lettres, dont un florilège fut publié après la mort du prix Nobel. Elle « me fut, écrira-t-il dans ses Mémoires, une seconde mère, qui m’a aimé, que j’ai aimée, d’une affection pleine et profonde. » Aristocrate en rupture de ban, actrice de la révolution de 1848, autrice notamment des Mémoires d’une idéaliste, Malwida von Meysenbug est de ces figures qui semblent personnifier le passage d’un monde à l’autre, cet entredeux qui vit s’effilocher le romantisme du dix-neuvième siècle et naître les révolutions du vingtième, entre aspirations démocratiques, essor du féminisme et effervescences artistiques. Habile à la maïeutique, elle attise chez le jeune homme épris de musique, balbutiant encore dans l’existence, ce qui germe en lui d’exigence esthétique et morale, qu’il déploiera sa vie durant sous la forme d’un idéal pacifiste et universaliste.
Du moins est-ce ainsi que nous le restitue la pièce de Michel Mollard, dans la mise en scène sobre et savamment surannée de François Michonneau (qui avait déjà œuvré à « Dernières notes », relatant la dernière soirée – beethovénienne – de Romain Rolland). Sur la petite scène du Studio Hébertot, se matérialise ainsi la rencontre de ces deux êtres que tant de choses semblent opposer – à commencer par les cinquante années qui les séparent. À la demande de Gabriel Monod (Benoît Dugas), qui fut à l’origine de leur rencontre, le jeune Romain Rolland (Ilyès Bouyenzar) y interprète une cantate de Bach devant – et pour – cette femme dont il ignore encore jusqu’au nom. Le charme prend aussitôt, inspirant à Malwida une foultitude de digressions et de pensées tantôt nostalgiques, tantôt existentielles, toujours ardentes : sous nos yeux naît une amitié. Mais le charme prend aussi dans la salle, troublée par l’expressivité, la candeur et la pétulance de Bérengère Dautun, quatre-vingt-cinq ans et soixante ans de théâtre. C’est bien simple : elle est, sur ces planches, la plus jeune de tous. Tour à tour grave et facétieuse, enthousiaste et pénétrante, clairvoyante et passionnée, l’actrice imprime à la pièce ce qu’il lui faut d’humeur et de mouvement, esquivant ainsi les pièges d’un texte très tenu, héraut d’idéaux dont une bonne partie ont fini par s’absenter du monde. La vigueur de Bérangère Dautun fait d’autant plus contagion que, comme en contrepoint, la belle voix (off) de Jean-Claude Drouot vient nous en faire entendre une autre, dont on finit par se persuader qu’elle pourrait être celle du vieux Romain Rolland lui-même !, et qui achève de nimber la pièce d'un beau halo de gravité.
Malwida, de Michel Mollard - Reprise au Studio Hébertot jusqu'au 16 mars
Les deux pièces de Michel Mollard, Malwida et Dernières notes, sont publiées aux éditions Le Condottière.