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Marc Villemain

5 février 2015

Retour à Strasbourg

 

Après mon passage, en octobre dernier, à la librairie Ehrengarth, me voici donc à emprunter de nouveau les routes du Grand Est, cette fois-ci à l'invitation du Festival Ces Pages d'Amour, lequel festival, organisé par Cathy Michel et l'association BOOK 1, se tient du 10 au 14 février.

 

Entre autres et innombrables réjouissances,  j'y animerai, le jeudi 12, un atelier d'écriture, suivi d'une rencontre avec Isabelle Flaten, dont Les noces incertaines viennent de paraître aux Editions du Réalgar (rencontre à laquelle contribuera également l'écrivain Éric Pessan).

 

Avis, donc, aux amis du Grand Est et aux baroudeurs impénitents !

19 janvier 2015

THÉÂTRE : Voyages avec ma tante, de Graham Greene

 

Enfant, j'étais ce qu'il convient d'appeler un inconditionnel des Frères Jacques. Et c'est bien à eux que, spontanément et contre toute attente, j'ai pensé, dès les premières secondes de cette formidable adaptation des Voyages avec ma tante. Bien sûr ils sont quatre, bien sûr ils portent tous de beaux chapeaux, et de bien beaux costumes, mais il n'y a pas que cela : c'est surtout l'esprit du fameux quatuor vocal que prolonge ce tout aussi irrésistible quartet composé de Claude Aufaure, Jean-Paul Bordes, Dominique Daguier et Pierre-Alain Leleu. L'esprit : la gaieté poétique, le goût de la satire, cette facétie tellement flagrante, tellement viscérale qu'on pourrait la désigner comme une dimension de l'éthique, et ce grain de jeu et de folie où se niche quelque chose d'une éternelle jeunesse, potache, libre, irrévérencieuse. De la même manière que l'on sait, dès le premier paragraphe d'un roman, que l'on a (ou pas) affaire à un authentique écrivain, on sait, dès les premières secondes de cette pièce, que la réussite sera au bout : dans cette seule manière que ces quatre-là ont d'arriver sur scène et de se saluer (“Comment allez-vous ?”), on comprend que c'est gagné, qu'ils n'auront besoin d'aucun préambule pour nous mettre à leur diapason.

 

Claude Aufaure

 

La vie d'Henry Pulling se déroule dans la plus grande sérénité : l'homme jouit de sa juste retraite d'employé de banque sans autre obligation ni tourment que d'avoir à prodiguer des soins à ses dahlias. La crémation de sa mère bouscule pourtant ce paisible édifice, donnant l'occasion (un malheur n'arrive jamais seul) à Tante Augusta de débouler dans sa vie et de la mettre sens dessus dessous. Où l'on retrouve ici un Claude Aufaure évidemment souverain, et décidément très à son aise avec la rombière anglaise - on se souvient de son récent triomphe dans le rôle de Lady Bracknell, le personnage principal de L'importance d'être sérieux, d'Oscar Wilde. Le personnage de Tante Augusta est aussi délicieux que fourbe, aussi autoritaire que larmoyant, et cette impertinente qui minaude plus souvent qu'à son tour n'a jamais rien contre quelques grivoiseries - pour peu que cela fût en dressant l'auriculaire. Aufaure excelle à donner une vitalité de tous les diables à cette vipère sournoise, il est parfait pour pasticher ses simagrées, incomparable pour railler les vraies-fausses misères d'une aristocrate qui a tout du dindon de la farce, et impeccable lorsqu'il s'agit de lui conférer un vernis de moralité, de lui faire pousser des hauts-le-coeur, de s'agacer des autres ou de se morfondre sur son sort.


Mais c'est bien d'un groupe qu'il s'agit, et ce qui frappe, d'emblée, c'est le lien entre ces quatre comédiens, la densité très profonde de leur complicité. Jean-Paul Bordes en teenager indolent et junkie sur une banquette de train ou en baroudeur latino-américain plus ou moins affidé de la CIA (pour le coup, j'ai plutôt pensé à Tintin et les Picaros, où il aurait fait un fameux Général Tapioca) ; Dominique Daguier, très imposant en improbable amant d'Augusta (laquelle est surtout folle d'un certain Visconti, gredin de première) ou dans le rôle de ce domestique noir répondant au nom follement romantique de Wordsworth ; Paul Alain-Leleu en mauvais flic de série B (et en préposé aux bruitages, à l'affection canine et au grincement de perroquet...) : tous sont absolument prodigieux de vitalité, de constance et de nuance, et leur plasticité, leur aisance à passer d'un rôle à l'autre ne peut que soulever l'enthousiasme. Car ne nous y trompons pas : nous avons ici affaire à un théâtre éminemment technique, millimétré, où le comique réside autant dans le détail, la minutie du déplacement, de la pantomime ou de la composition, que dans la vivacité des scènes ou des répliques.

 

Reste que ces quatre comédiens, aussi accomplis soient-ils, auraient bien pu, après tout, ne pas suffire à faire d'une telle réussite un authentique exploit. C'est là qu'il faut souligner le brio et l'intelligence du travail de Nicolas Briançon, qui a su, avec trois bouts de ficelle (en l'occurrence, quatre chaises, un fond de décor épuré et quelques éclairages très malins), donner à la pièce une impétuosité, une fringance absolument remarquables. Et si tout est vif, s'il n'y a ni excès, ni temps morts, l'on ne peut qu'applaudir à cette manière presque maniaque de maîtriser le tempo ; à cette aune, les quelques très brefs interludes dansés, dont certains ne sont pas sans évoquer le music-hall, constituent des respirations pleines d'humeur et de sens : quelques pas, quelques pirouettes, et nous voilà projetés au Paraguay, à Paris, Istanbul, Buenos Aires ou Brighton. L'économie de moyens va de pair avec une profusion de trouvailles, et vraiment c'est un bonheur que de pouvoir applaudir à autant de liberté et d'ingéniosité.

 

Voyages avec ma tante est, de l'aveu même de Graham Greene, un « amusement ». Mais, relève-t-il à la suite de l'appréciation d'un critique, il s'agit aussi d'une façon de « rire au bord du gouffre ». C'est qu'il s'agit bien d'évoquer en riant la vieillesse, la mort et ce que l'on en fait ; à quoi il faut ajouter que l'auteur porte un regard, certes drolatique mais acéré, sur un certain exotisme tendance colonialiste, et sur ces dictatures très latines qui permirent à quelques nervis nazis de se refaire une santé. Et le fait est que, si la pièce est incontestablement une comédie, elle réalise cet autre exploit de nous laisser repartir avec la sensation douce-amère d'une certaine poésie, d'une certaine nostalgie, en tout cas d'une désuétude élégante et légère : le sentiment que, derrière la raillerie, derrière le cocasse et la cabriole, affleure une sorte de compassion pour ces êtres à l'histoire névrotique, qui puisent dans les vertus de l'action, du voyage, du jeu social et même de leurs petites manies, une profonde aspiration à la vie. Ce qu'incarnent à la perfection ces quatres merveilleux comédiens, dont on ne se lasse pas d'applaudir la folle jeunesse.

 

 

Adaptation et mise en scène : Nicolas BRIANÇON (d'après la version scénique de Giles Havergal) * Avec : Claude AUFAURE, Jean-Paul BORDES, Dominique DAGUIER, Pierre-Alain LELEU

10 janvier 2015

7 janvier 2015

 

 

En mon âme si j'en ai une et en conscience assurément, je marcherai dimanche, comme je l'ai fait mercredi, pour simplement participer d'une émotion collective qui, dût-elle paraître puérile aux cyniques et aux revenus-de-tout, n'en est pas moins le terreau où se fabrique un peuple et qui lui permet de se reconnaître comme tel ; pour simplement témoigner, bon an mal an, de mon appartenance à une Idée, belle et complexe, de l'émancipation, de l'individu et de la liberté ; et (parce que tout espoir n'est pas permis) sous la seule banderole des cieux vides et incléments de l'avenir.

13 décembre 2014

Virginie Troussier - Envole-toi Octobre

 

 

À bien des égards, l'on pourrait considérer Envole-toi Octobre, le nouveau texte de Virginie Troussier, comme la suite, ou plutôt l'extension, de Folle d'Absinthe, paru il y a deux ans : mêmes leitmotivs, mêmes obsessions du temps, de la mort, de l'amour fou, du souvenir et des absolus. Qu'est-ce qui, alors, fait qu'Envole-toi Octobre se révèle infiniment plus dur, âpre et touchant ?

 

Passée l'expérience (toujours très singulière, parfois éprouvante) de la première publication, Virginie Troussier a, de toute évidence, beaucoup travaillé. On le constate dès les quelques pages d'ouverture, relues deux fois à la suite tant elles ont, et puissamment, réussi à m'arracher à la terrasse de bar où je me trouvais à les lire, et à me propulser aux côtés de Suzanne, la narratrice, au sommet de ces montagnes dont on sait par ailleurs qu'elles sont une des plus fortes passions de l'auteure (monitrice de ski dans le civil en plus d'être critique littéraire). J'ai su, donc, dès ces premières pages, que ce que j'allais lire là ne s'était pas autorisé la moindre concession, et que Troussier était bien décidée à nous écorcher. Ce qui, mais cela va sans dire, l'a probablement conduite à s'écorcher elle-même ; cela aussi, on le sent, et vivement, au point qu'il est tout de même difficile, en refermant le livre, d'en parler comme d'un "roman" : le "je" de Virginie Troussier est un je qui l'engage presque entièrement. On lui fera volontiers grâce de quelques inventions, raccords et autres mises en scène, nécessaires à la composition d'ensemble, mais c'est peu dire que Virginie, l'auteur, éprouve du mal à se dissimuler derrière Suzanne, le personnage. C'est, bien sûr, ce qui donne à ce texte, très intime, son ombre incessante et palpitante de mélancolie. Aussi bien, il s'agit là d'une écriture étrangement sèche et humide : ce qu'il y a de sec, c'est cette sorte de volonté, très forte, très intransigeante, non seulement de passer la vie au tamis de la littérature, mais de la mettre tout entière à l'épreuve même de l'écriture. D'où cette prose très précise dans son intention, très attachée à la justesse de ce qu'elle veut écrire ou décrire, et tout à la fois traversée de flottements, de méandres : il faut à Virginie Troussier plusieurs adjectifs pour tenter d'approcher au plus près des choses, il lui faut revenir, repréciser, ressasser, pour être bien certaine d'avoir capté ce qui vibrait (c'est d'ailleurs la réserve que j'émettrai, à savoir que la seule chose qui ait peut-être manqué à ce texte, c'est d'un éditeur un peu consciencieux, qui sache convaincre l'auteur de sabrer, de retrancher : la sensation du coup de poing eut été plus vive encore.) Humide, aussi, disais-je, car le personnage de Suzanne déborde de toutes les humeurs possibles : il y a des larmes, des cris, des souffrances, des solitudes, des soliloques, des dépressions, de la pulsion, de l'hystérie, de l'automutilation, de la colère et du mal-être - il y a du coeur : trop de coeur, même, et c'est bien ce qui fait exploser Suzanne, aimant et dévorant la vie au point de ne plus savoir vivre.

 

Tout aussi "symptomatique" me semble être la beauté profonde (et, ici, pleine de tendresse) des pages consacrées au père, et plus encore au grand-père - à ce qui vieillit, en somme. Suzanne voit en ces hommes durs, exigeants, farouchement individualistes, l'exemple à suivre. C'est parce qu'on est dur et exigeant envers soi-même, c'est parce qu'on ne se plaint pas, jamais, de rien, parce qu'on a conscience qu'il faut "brûler pour briller", parce qu'il faut accepter que l'amour soit "une lutte dans la boue et l'or", que l'on vivra, que l'on saura vivre, que l'on méritera du mieux que l'on peut de la vie et de ses trésors. Alors Suzanne aimera tout de la vie, mais à la condition de pouvoir y mettre le feu - ce qui, peut-être, explique ce goût de cendres qu'elle ne parvient jamais à recracher tout à fait. Elle se demande d'où elle vient, de quelle génération, de quel héritage, elle se demande ce qui l'a fait telle qu'elle est - et le regard du grand-père n'est jamais bien loin. "C'est à cela que sert la quête d'origine : elle nous aide à reconnaître ce qui nous a faits tels que la mort nous trouvera", écrit Virginie Troussier, dont on s'étonne en passant, que, si jeune encore, elle s'acharne à vouloir exhausser autant de souvenirs et de sensations. Car le malheur de Suzanne est le malheur de ceux qui ont, non pas trop de passé, mais déjà trop de mémoire. Cette mémoire qui entretient et décuple un romantisme qui confine au mysticisme, un romantisme dont elle ne fait que subir la puissance intrusive, l'envahissement, pour ainsi dire, totalitaire. Mais elle est jeune encore, elle a trente ans - l'âge de l'auteure -, alors, bien sûr, à la fin, on veut bien consentir à un dernier effort, et essayer d'y croire encore. Et puis après, ma foi... "Après on s'éteindra doucement. Les gens, ils prennent tout leur temps pour s'éteindre. Les gens s'éteignent. Ce n'est pas inutile de commencer par brûler."

29 octobre 2014

Frédéric Berthet & Yvan Gradis

 

Histoire de donner un petit écho, même sommaire, à deux lectures récentes - histoire, aussi, de lutter un peu contre une mémoire qui me joue des tours... Quelques mots, donc, de deux livres qui, quoique très distincts dans leurs manières, n'en partagent pas moins de semblables qualités : de la virtuosité, de l'esprit (beaucoup), et une belle causticité.

 

 

Du premier, Frédéric Berthet, nous avons dit déjà, ici et , ce qu'il fallait en penser. L'histoire commence d'ailleurs à lui rendre justice, ce que, pour beaucoup, l'on doit à l'acharnement (éditorial, mais pas seulement) de Norbert Cassegrain, lequel travaille actuellement à une "biographie de l'oeuvre" de Berthet. Le lancement, chez Belfond, de la collection Remake (intitulé dont je ne suis pas très friand, mais qui au moins dit bien de quoi il retourne) tombait à point pour ce texte-ci, Le retour de Bouvard et Pécuchet, écrit en 1996 et qui fut donc, de Berthet, le dernier livre.

 

Un peu plus primesautier, peut-être plus joueur, aussi, que ses précédents. Le retour de Bouvard et Pécuchet porte sur nos années quatre-vingt un regard d'une irrésistible drôlerie. Nos deux personnages, comiques malgré eux, purs produits de cette bêtise ordinaire qui est aussi le propre de chaque époque, avec ses enthousiasmes crédules, ses naïvetés positivistes et ses lubies infantiles, se moulent avec autant de gourmandise que de complaisance dans ce qui faisait alors le suc de cette décennie : il faut les voir se lancer dans la radio libre, la phynance ou l'amour par Minitel, découvrir le jogging et le culte du corps, consacrer la mort des idéologies et se lancer dans l'action locale, s'exercer pour un éventuel passage à la télévision afin de devenir écrivains... Il y a du Monsieur Homais chez Bouvard et Pécuchet, mais il y a aussi, chez ces Bouvard et Pécuchet-là, du Laurel et Hardy. Leur drôlerie très accidentelle permet à Berthet de porter sur le temps un discours dont l'ironie, qui après tout n'est peut-être pas dénuée d'une certaine tendresse, de ces tendresses que l'on peut éprouver au spectacle des vacuités de bonne volonté, rejoint les sarcasmes de Flaubert sur sa propre époque. La forme vive, facétieuse, légère du Retour de Bouvard et Pécuchet ne doit pourtant rien masquer de l'authentique travail de réappropriation entrepris par Berthet, ce que souligne l'excellence du travail éditorial - en fin de volume, on compulsera utilement les Notes & Documents regroupés et annotés, où l'on voit combien Berthet, l'oreille très aguerrie, s'est imprégné des rythmes et de la musicalité de l'écriture flaubertienne. Ce petit volume est donc un régal, et rappellera sans doute quelques souvenirs à ceux qui ont traversé les années quatre-vingt, qui ne manqueront pas alors d'y sourire - fût-ce jaune, comme, semble-t-il, on y sourit dans certains mllieux lorsque le livre parut.

 

 

Du second, Yvan Gradis, auteur de Détruire Notre-Dame, on sait bien sûr qu'il est un publiphobe déboulonneur et conséquent, fondateur de Résistance à l'Agression Publicitaire (RAP). Mais on ne doit surtout plus négliger qu'il est aussi un sacré bon écrivain. Comme à Frédéric Berthet, le monde, la société, son temps, lui semblent surtout objets de circonspection, laquelle, nécessairement, entraîne le rire et la gausserie. Et, chez Gradis, un goût prononcé de la potacherie, du pittoresque et de l'absurde. Mais ne nous laissons pas abuser : le rire, c'est connu, n'est que la forme civilisée que revêt l'hommage de la politesse au désespoir : il est ce petit sacrilège commis à l'endroit de nos valeurs les plus sûres et/ou les plus indiscutées. Moyennant quoi, la relative drôlerie de Détruire Notre-Dame n'amène pas tout à fait le même sourire que chez Berthet, car s'y glisse quelque chose de plus onirique, de plus abstrait ; il y a un ici un peu d'oulipisme, qui désarçonne le sens pour mieux ancrer l'image et la sensation. Voyez cet homme, donc, qui semble ne rien voir de ce que l'humain commun voit : sa réalité à lui est simplement autre, comme transfigurée par une sorte d'aptitude à dévoiler ce qui se cache derrière le visible immédiat. Mais attention, ce n'est pas un jeu, c'est on ne peut plus sérieux : ce n'est pas seulement qu'il voit autrement, c'est qu'il donne à voir ce que l'ordinaire dissimule (sciemment ou pas). Le monde alors prend une toute autre signification : exit le bon gros réel. Erudit, virtuose, écrit dans une langue irréprochable, Détruire Notre-Dame n'en est pas moins parfaitement roboratif : on le dévore davantage qu'on ne le lit, tant il demeure dans le quotidien de cet homme qui tient son journal quelque chose de l'entendement commun. Son univers, aussi absurde voire fantastique qu'il y paraisse, conserve un tour étrangement humain, terrien oserai-je dire, comme un écho lointain aux tribulations de de l'homme moderne. Cette fraîcheur, cette gourmandise à écrire, le plaisir évident que prend Gradis à jouer de la langue, toute cette vivacité, ça fait du bien.

 

Frédéric Berthet, Le retour de Bouvard et Pécuchet - Belfond

Yann Gradis, Détruire Notre-Dame - Pascal Galodé Éditeurs

2 octobre 2014

Passage à Strasbourg (extrait vidéo)

 

Le lecteur trouvera ici un bref extrait vidéo de mon passage, le 26 septembre dernier, à la librairie Ehrengarth de Strasbourg, dans le cadre des "Bibliothèques idéales".

 

Je remercie Cathy Michel, Dominique Ehrengarth et Hervé Weill de leur sens de l'hospitalité et de leur bienveillance.


Extraits, critiques et commande de sur le site des Editions du Sonneur.

28 septembre 2014

La critique littéraire : comment parle-t-on des livres d'hier à aujourd'hui ?

 

 

Le Festival International de Géographie de Saint-Dié-des-Vosges accueille cette semaine les 4èmes rencontres du CNL.

 

C'est dans ce cadre que, le dimanche 5 octobre, je participerai à une table ronde animée par Alexis Lacroix. En compagnie d'Arnaud Laporte, Bertrand Leclair, Michèle Gazier et Pierre Lepape, nous tâcherons de répondre à la question suivante  : La critique littéraire : comment parle-t-on des livres d'hier à aujourd'hui ?

25 septembre 2014

Mousseline et ses doubles : la saga de Lionel-Edouard Martin

 

C'est donc aujourd'hui que paraît, aux Editions du Sonneur, Mousseline et ses doubles, le nouveau roman de Lionel-Edouard Martin. Comme pour Anaïs ou les Gravières, j'ai eu l'honneur d'en diriger le travail d'édition : aussi serait-il assez mal venu que j'en fasse l'article. Je ne peux toutefois qu'instamment inviter les lecteurs (et les critiques) à s'emparer de cette nouvelle oeuvre, qui cette fois-ci revêt la forme d'une sorte de saga familiale et française.

 

L'histoire prend ses racines à la toute fin du XIXe siècle, sur des terres nécessairement poitevines et déjà profondément moissonnées par Lionel-Edouard Martin, pour s'achever dans le Paris d'aujourd'hui. Comme dans Anais, le fil rouge de cette histoire savamment composée est une jeune fille - surnommée, donc, Mousseline. S'échappant de la tutelle du père pour aller rendre visite à son frère qui s'en va combattre en Algérie, Mousseline, coeur simple, va "monter à Paris" ; elle s'y émerveillera de ce que jusqu'alors elle ne pouvait guère qu'imaginer : la foule, les magasins, le métro, les jardins publics, les lumières et les bruits de la ville. Surtout, elle y rencontrera les arts, la littérature et l'amour - la vie. Son coeur de petite provinciale bat la chamade - mais pour bien peu de temps, la vie étant ainsi faite que rien n'y est jamais garanti.

 

Dans le sillage de Mousseline, c'est un peu de l'histoire et de la mentalité françaises que nous revisitons, et il est fort à parier que bien des lecteurs y retrouveront quelques traces de leur propre roman familial. Mais, comme toujours chez Lionel-Edouard Martin, et même si la trame romanesque est ici un peu plus nette et limpide que d'ordinaire, l'histoire n'est jamais qu'un passage obligé pour l'écriture : une écriture à nulle autre pareille, où les à-coups de la respiration viennent se nicher dans une phrase de grande amplitude, où la justesse du mot et la suggestivité de la syntaxe donnent aux images tous leurs échos, toutes leurs résonnances, et où s'entend le rythme ténu mais obsédant d'une gorge qui palpite, d'une voix qui, pour énoncer précisément, n'est jamais loin de trembler. L'écriture romanesque de Lionel-Edouard Martin, dont on sait que la poésie occupe la moitié de l'oeuvre, n'aura peut-être jamais été aussi évocatrice ; populaire et savant, d'une composition dont la minutie n'altère jamais l'intensité de personnages très touchants, ce drame de l'amour en témoigne de manière aussi sensible que magistrale.
 

Pour  feuilleter ou commander le livre, cliquer ici.

19 septembre 2014

Mes vieux au regard fier marcheront jusqu'à Strasbourg

 

Dans le cadre des Bibliothèques idéales, et à l'invitation de la librairie Ehrengarth, je serai à Strasbourg ce vendredi 26 septembre.
 

 

J'aurai tout d'abord le plaisir de rencontrer les lecteurs de Ils marchent le regard fier et de discuter avec eux ; le débat sera animé par Hervé Weill. Dans la foulée, nous irons (tous) à la médiathèque de Neudorf pour (re)voir Le Chat, d'après Georges Simenon (adapté par Pierre Granier-Deferre, avec Simone Signoret et Jean Gabin), et conclure nos échanges.

 

Enfin, c'est lors du même événement que sera officiellement remis, le lendemain à la médiathèque André-Malraux, le Goncourt de la Nouvelle à Nicolas Cavaillès, pour Vie de Monsieur Legat (Éditions du Sonneur).

12 juin 2014

À l'honneur de la revue CHIENDENTS

 

 

CHIENDENTS, une très jolie revue (reliée "à la chinoise"), me fait l'honneur de son 49è numéro, titré L'éloignement du monde.

 

En plus d'un long entretien avec Stéphane Beau, que je remercie très vivement d'avoir eu l'idée et l'envie de ce numéro, Vincent Monadé (président du Centre National du Livre), Jean-Claude Lalumière et Bertrand Redonnet, tous deux écrivains, m'ont fait l'amitié de se livrer à cet exercice toujours difficile, et parfois douloureux, du panégyrique... C'est peu dire que leur témoignage me va droit au coeur.

 

Publié sous le pavillon des éditions du Petit Véhicule, celles ou ceux qui éprouveraient de la curiosité peuvent le commander directement en ligne (7€), ou en téléchargeant ce bulletin_de_commande.

 

Les éditions du Petit Véhicule

23 mai 2014

Editeurs vs auteurs ?

 

C'est un texte un peu différent - un peu plus long, aussi - que je propose aujourd'hui au titre des chroniques moratoires du Salon littéraire.

 

Au début, il y est question du livre que Rodolphe Barry vient de faire paraître (Devenir Carver, chez Finitude), ainsi que des relations entre Raymond Carver et son éditeur Gordon Lish. Et puis, forcément, après, ça dérive un peu...

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Quand on est écrivain et éditeur, ce que je m’efforce d’être sans trop d’indignité, on ne peut que se laisser aller à la lecture de Devenir Carver, roman biographique de Rodolphe Barry récemment paru chez Finitude. Il ne s’agit pas, pour l’écrivain en moi, d’y quérir un quelconque modèle existentiel (aucune vie ne remplace une autre), mais au moins, peut-être, de chercher à extraire d’entre les lignes une sorte de dénominateur commun, d’apparentement. Quant à l’éditeur qui lui aussi sévit en moi, il lui est difficile, à l’évocation de Raymond Carver, de ne pas songer à Gordon Lish, qui comme chacun sait fut au centre d’une polémique pas tout à fait éteinte : cet « editor » a t-il outrepassé les droits que lui conférait sa fonction en épurant (d’aucuns disent : en charcutant) les nouvelles de Carver, ou son travail a t-il permis à Carver d’accéder au succès ? À cette question aussi embarrassée qu’équivoque, j’apporterai ma traditionnelle réponse de lointain Normand : les deux, mon général. D’ailleurs, Carver se plaignait autant de Lish qu’il l’encensait, souffrait autant de voir son écriture mise en pièces qu’il admirait son intelligence de la phrase – car être un editor, c’est être, avant toute chose, un lecteur : il s’agit d’abord de faire fonctionner son oreille. Il faut toutefois, pour comprendre ce hiatus, savoir que Gordon Lish amputa parfois jusqu’à 80 % de leur contenu certaines des nouvelles de Carver – lequel y gagnera, bien malgré lui, la médaille de « pape du minimalisme ». Ces épisodes, plus complexes qu’il y paraît, et parfois déchirants, sont largement (et bien) évoqués dans Devenir Carver. Lequel est écrit avec beaucoup de clarté, de simplicité, au point d’ailleurs que l’expression pâtit parfois d’une once de naïveté, mais le moins que l’on puisse dire est que Barry manifeste une sensibilité on ne peut plus admirative pour l’auteur des Trois roses jaunes et de Parlez-moi d’amour (originairement baptisé Débutants Beginners –,  mais le titre déplaisait à qui vous savez).

 

Bref, l’intention de ce billet n’est pas de parler de Raymond Carver, mais (vous me voyez venir) de toucher un petit mot de l’éditeur et de sa fonction.

 

Commençons par ce qui, peut-être, intellectuellement, est le moins stimulant : les maisons d’édition. D’elles, on pourrait dire qu’elles sont au monde des lettres ce que le Parlement est à la vie institutionnelle démocratique : un corps intermédiaire, un garde-fou, une instance de canalisation de la démocratie directe (le compte d’auteur, l’auto-édition, l’auto-publication.) Assurément, les vieilles dames représentatives ont besoin d’être parfois un peu bousculées, et il est assez sain que des « forces vives » moquent un peu leurs permanentes bleutées et leur souliers vernis, toujours est-il que je reste parlementariste, arguant du fait qu’on ne peut être à la fois juge et partie et qu’une communauté n’est correctement et dignement représentée que parce que ses membres ne parlent pas au nom des parties, mais du tout (et ne me dites pas que c’est là un idéal : je le sais.) On accusera les maisons d’édition de chercher le profit systématique, d’être des instances de « standardisation » ou de « formatage » de la création littéraire, de gruger les auteurs et pire encore : si la critique n’est pas toujours infondée (cela va sans dire mais toujours mieux en le disant), elle pêche tout de même, focalisée qu’elle est sur le haut du gratin, par une certaine indolence : un peu comme si l’on montrait du doigt tous les footballeurs du monde au prétexte que Messi le bien nommé a gagné cette année 41 millions d’euros. Bref, la réalité de l’édition est tout autre, mais j’ai la flemme d’en faire ici la démonstration : cela n’a pas beaucoup d’intérêt, et, de toute façon, il y en aura toujours pour râler.

 

Plus intéressant : le travail de l’éditeur (de l’editor, si vous préférez), dont l’œil est rivé sur le texte. Au nom de quoi, demandera-t-on ? Quelle est sa légitimité ? Quelle œuvre à ce point inoubliable a t-il lui-même commis pour se prévaloir d’une telle compétence, d’un tel savoir-faire ? Bonnes questions. Que bien des auteurs se posent eux-mêmes, fût-ce en rongeant leur frein (scrogneugneu, il commence à m’emmerder celui-là à vouloir me faire changer ce mot, à ne pas aimer cet adverbe ou à s’obstiner à poser un point-virgule là où je veux un point, non mais pour qui il se prend.) D’aucuns sont enchantés d’avoir affaire à cet omniscient personnage, d’autres ne le supportent pas. Certains m’ont virilement claqué la porte au nez après que j’ai suggéré de remanier le premier paragraphe de leur manuscrit ; d’autres m’ont su gré de leur avoir indiqué avec précision (et un peu de délicatesse) les raisons que j’avais eues de le leur refuser (je n’ai aucun mérite à le faire : je ne sais pas écrire de lettre-type). L’éditeur, je le dis souvent, est le meilleur ami de l’auteur. Il est même la seule personne au monde en qui l’auteur devrait faire confiance (mais ce n’est pas toujours facile, je ne suis pas trop mal placé pour le savoir). Il y a deux raisons au moins à cela. La première est qu’il est un professionnel : pas de quartier, pas de sentiments. Contrairement à votre petit(e) ami(e) ou à votre meilleur copain, soyez certain que votre éditeur ne confond pas le linge de cuisine et les sorties de bain : critiques et compliments sont exprimés avec une égale sincérité. Ce qui, psychologiquement, est décisif : l’auteur sait à quoi s’en tenir. Bien sûr, il ne faut pas être systématique : les choses, et c’est humain, peuvent être un peu plus tordues, mais, globalement, c’est la vérité. La seconde raison, c’est que l’auteur est à la fois le meilleur et le plus mauvais, si je puis dire, lecteur de lui-même. S’il savait se lire, s’il savait, spontanément, instinctivement, mettre toute la distance nécessaire entre lui-même et son écriture, alors, dans un paradoxe qui n’est qu’apparent, il lui manquerait quelque chose : à l’authentique écrivain échappe ce qui doit échapper, et qui le constitue comme écrivain ; c’est dans cette absence, dans ce qu’il reste d’inconscient ou de pulsionnel à son œuvre que l’on peut aussi juger de son génie propre. Pour y revenir, c’est d’ailleurs tout le problème posé par le couple antonyme Carver/Lish, frères ennemis s’il en est : Lish retranche là où Carver ajoutait. Or ce qu’il en soustrait, ce ne sont pas seulement des mots, mais cela même qui fonde l’écriture et l’être littéraire de Carver – ce pourquoi Carver en souffrit tout en l’acceptant, puisqu’il reconnaissait de la pertinence aux observations de Lish.

 

C’est officiel : l’éditeur n’a pas la cote. Ce serait tellement bien, tellement plus simple, de pouvoir s’en passer. Et puis, quel gain d’argent : car oui, tout, dans le mouvement qui bouscule l’édition depuis quelques années, tient à l’argent. Les éditeurs ne peuvent plus guère survivre qu’en rationalisant les coûts, en y mettant de leur poche et en allumant des cierges pour qu’enfin le ciel déverse sa manne, tandis que bien des auteurs, en cela parfaitement contemporains de leur temps, se révèlent comme de parfaits petits experts des clauses commerciales et des stratégies d’exploitation. Il en est qui, à peine parue leur première grande œuvre, courent porter leur petite contribution à la SACD (s’imaginant peut-être que Spielberg finira bien, ô miracle, par venir s’intéresser à eux). L’économie du numérique elle-même n’a, à l’allumage, d’autre mobile que mercantile : elle suit en cela le cours historique et pour ainsi dire normal du monde, ni plus ni moins. On pourra bien, ensuite, discutailler voire s’étriper pour savoir si c’est mieux ou moins bien, oubliant simplement que, tous, nous ne faisons que nous adapter du mieux qu’il nous est possible à une donne économique qui fait de nous des nains et dont nous sommes, que nous le voulions ou pas, les serviteurs.

 

Pessimisme ? Non : pour être pessimiste, encore faut-il avoir été optimiste. Peu importe, au fond, ce qui se trame : il faut bien que les choses aient une fin, il faut bien que la roue achève sa révolution. En revanche, l’infrastructure étant ce qu’elle est, cela nous fournit une bonne et supplémentaire raison d’œuvrer avec cœur : aimer le travail bien fait, prendre le temps des choses, retrouver le goût de les entendre, de les observer, éditer comme le menuisier chérit sa table ou le potier son vase : sans lubie conquérante ni rêve d’expansion, mais avec l’amour de sa matière. Et, ce faisant, s’arrondir bassement le dos, laisser baver l’engeance mauvaise et se contenter de faire son boulot : se mettre au service des auteurs – mais, plus sûrement encore, de leurs œuvres.

 

Lire la chronique dans le Salon littéraire

2 mai 2014

Mais qu'est-ce que ça dit ?

 

Dans la chronique moratoire donnée ce vendredi au Salon littéraire, il est question - ou semble être question - d'art, de pensée et d'enthymème...

 

 

Mais qu’est-ce que ça dit ?

 

On connaît ce mot de David Lynch, dans L’Express du 24 mars 1996 : « Je ne vois pas pourquoi les gens attendent d’une œuvre d’art qu’elle veuille dire quelque chose alors qu’ils acceptent que leur vie à eux ne rime à rien. » Bien sûr, on pourrait se satisfaire de lire cela comme une manifestation sauvage de méchanceté gratuite (quasi tautologie), mais on peut aussi décider (ce serait plus juste) d’y voir comme une déclaration d’intention, vive sans doute, rude concédons-le, d’ordre artistique et philosophique. Car il y a, dans cette forme renversée d’enthymème (je désespérais de pouvoir un jour utiliser ce mot), deux choses au moins : primo, que l’art n’a pas vocation à délivrer du sens, secundo que la vie humaine n’a pas de sens en soi – rigoureuse définition de l’athéisme. Soit deux des grands thèmes, autant dire deux scies, qui excitent les débats humains depuis des lustres. Débats qui d’ailleurs valent leur pesant autant que d’être posés.

 

Que la vie ne rime à rien, voilà qui me convient : charge à l’art de mettre tout cela en rimes. J’entends bien que Bach, qui n’est tout de même pas le moins génial de nos génies, trouvait une bonne part de son inspiration en Dieu ; reste que l’on peut bien la trouver, la dite inspiration, dans le rien. Cela donne Beckett, ce qui n’est pas mal non plus – ou Cioran, côté spiritualisme contrarié. Moralité, l’enthymème (bis) lynchien est imparable : puisque nul ne peut prouver que la vie a un sens – ou pas –, il nous est de fait impossible d’exiger d’une œuvre d’art qu’elle dise quelque chose. Ce qui n’induit pas qu’elle n’ait pas de sens : toute œuvre a, si ce n’est un sens, au moins du sens. Contrairement à la méchanceté (donc), une œuvre n’est jamais totalement gratuite : sauf à sombrer dans la pacotille, l’onanisme ou la décoration d’intérieur, elle porte une vision a minima, vision dont on ne saurait au demeurant attendre ou exiger de son auteur qu’il sache la penser ou en tirer argument dogmatique. Où la dite œuvre revêt un sens, c’est qu’elle ne saurait être seule expression de soi, mais sublimation de cette expression. C’est une des plaies de notre époque que de toujours vouloir confondre l’expression artistique avec une sorte de nécessité cathartique, voire éjaculatrice. Non, il faut remettre un peu de raison là-dedans, un peu de pensée. Et accepter que penser n’induit pas que ce que l’on pense a du sens.

La preuve.

 

Ah, je me suis bien amusé, aujourd’hui.

11 avril 2014

Larqué, Rocheteau, Christian Bobin et la démocratie

 

Sixième chronique moratoire aujourd'hui sur Le Salon Littéraire, entre choses fort graves et facétie - n'allons pas toujours chercher un sens à tout : il arrive qu'il se dérobe à moi-même...

 

 

 

Larqué, Rocheteau, Christian Bobin et la démocratie

 

Lorsqu’on se prend de passion pour la littérature, on est, en général, assez jeune ; certains font même preuve d’une belle précocité, tombant dedans à cet âge où, personnellement, je m’enflammais surtout pour les coups-francs de Jean-Michel Larqué et les dégagements sur l’aile droite de Dominique Rocheteau. Nonobstant, que la chose se produisit lors de notre prime enfance ou un peu plus tard, nul d’entre nous ne connaîtra plus jamais la fièvre de ces lectures originelles, n’éprouvera plus tout à fait cette même et exacte sensation d’abandon qui nous tirait hors des rails, nous calfeutrait du monde autant qu’elle nous y jetait, nous enfonçait en nous-mêmes en nous procurant la sensation d’une sorte d’allègement intérieur – une fièvre, oui, qui d’ailleurs n’est pas tant liée à la qualité du livre que nous lisions qu’à la révélation d’un monde à part, monde légèrement parallèle à l’instant, légèrement abstrait du présent. Science-fiction ou roman réaliste, qu’importe : découvrir les livres, c’est toujours – et pour toujours – changer sa vie. Ce dont on pourrait d’ailleurs inférer que, quel que soit son âge, un lecteur est toujours un être pour qui exister au monde ne saurait à soi seul suffire.

 

Je me souviens d’un mot de Christian Bobin, lu il y a fort longtemps – c’est tiré de La folle allure : « Je passe toujours du lit à l’encre, c’est pareil, cela donne même repos. » Le repos : c’est bien en quoi consiste aussi la lecture : non pas au sens d’une indolence, d’un ensommeillement ou d’une veille qui désarme, mais au sens d’un repos du monde, lequel monde il s’agit bien, alors, d’exiler un peu. Mais pourquoi, demandera l’innocent, vouloir exiler le monde ? Et comment, surrenchérira le moraliste, peut-on seulement le vouloir ? À cela j’apporte toujours l’immuable réponse, immuable comme le sont le halo irisé de la lune et le mouvement des astres : nul homme ne peut aimer les hommes si ceux-là ne lui laissent pas de répit solitaire, nul homme ne peut aimer le monde s’il ne lui laisse pas aussi la possibilité d’un refuge – un asile pour sa psyché, une oasis pour sa pensée contemplative. Autant dire : le luxe. Il n’empêche. Des acteurs, des volontaires, des obstinés, des sisyphes, des mercenaires même, le monde n’en manque pas. Presque, on en viendrait à se dire qu’il y en a trop : trop de candidats, trop d’impétrants, trop d’aspirants à — et sommes-nous seulement bien certains que le monde ait grand-chose à gagner à faire de chacun l’auxiliaire de son mouvement ? Tenez, c’est une question posée aux démocrates, quelque chose comme :

- « Que diriez-vous si l’on prouvait que la démocratie induisait le développement exponentiel du chaos : resteriez-vous démocrates ?

- Si vous en apportez la preuve, faut voir », pourraient-il alors répondre car le démocrate est honnête.

- « La preuve ? Vous l’avez sous les yeux : regardez le monde. »
 


Cela dit, Jean-Michel Larqué et Dominique Rocheteau, eux aussi, ont fini par écrire des livres. Non mais.

7 avril 2014

Christophe - Intime au théâtre Antoine

 

Ma femme me faisait récemment remarquer que je paraissais enclin, au fil des ans, à des formes de minimalisme que j'aurais volontiers, jusqu'à présent, plutôt négligées, voire rejetées. J'ai naturellement pris avec force humour cette très affectueuse observation relative à ce qui m'arrive et qui, en effet, est assez inexorable (à savoir, que, oui, je vieillis – un peu...). Puis j'ai volontiers reconnu que, tombant jusqu'alors et plutôt facilement dans les pièges du symphonisme le plus tonitruant, j'avais, ces derniers temps, fini par en rabattre un peu. Il n'y pas si longtemps, je suis d'ailleurs allé applaudir Vincent Delerm, chose qui, il y a quelques années à peine, m'eût probablement conduit à me planquer dans une grotte pour ne plus en sortir (et puis finalement, bien sûr, ce fut très bien, et même mieux que cela.)

 

Avec Christophe, c'est encore autre chose : là, j'ai clairement franchi un palier. De l'accusation de bobo, voilà que j'encoure désormais celle de ringard (tendance rococo). Car Christophe, pour ceux de ma génération, ce n'était tout au plus qu'Aline (ce truc vieux comme le monde dont se servaient quelques grisonnants à tempes lustrées pour, les soirs de 14 juillet, taquiner la jeunesse — et les jeunettes.) Mais il faut être juste : le problème n'était pas Aline. Le problème, c'était la forme que prenait l'engouement suscité par Aline, on n’en pouvait plus, d'elle, elle était ici, elle était là, elle était partout, et toujours cette façon un peu allumeuse de nous ramener du côté des surprise-parties. Non, Aline n'y est pour rien, la pauvre, Aline est belle, toutes les chansons d’ailleurs le sont, ou toutes peuvent l'être : ce n'est, le plus souvent, qu'une question d'implication et d'interprétation. Et puis Christophe a changé : lui aussi, c'est heureux, a vieilli. On a fini par comprendre que le faiseur de tubes n'en était pas un, qu'il valait bien mieux que cela. Du reste, je ne connais pas d'autres exemples de blondinet à midinettes qui ait, de son vivant, fini par devenir un artiste culte, une de nos grandes figures parallèles.

 

C'est peu dire, donc, qu’on ne va plus écouter Christophe de la même manière. Naguère, on y allait avec l'envie de donner un peu de corps à ces airs qui nous taraudaient l'oreille (Aline, justement, mais aussi Les marionnettes, Les mots bleus, Le paradis perdu, Petite fille du soleil, La dolce vita, autant de chansons que Christophe a radicalement revisitées, épurées, leur trame harmonique ne tenant plus guère qu'à cette manière si particulière qu'il a de les chanter, de les ralentir, de les sussurer en dehors du temps - je pense parfois, en l'écoutant, en écoutant le Christophe d'aujourd'hui, aux figures molles d'un Salvador Dali.) Bref, dorénavant, on va le voir parce que l'histoire a montré un autre personnage, un être à part, fragile, décalé, d'une grande liberté d'attitude, évoluant dans des univers qui n'appartiennent guère qu'à lui, nébuleux, en partie inaccessibles - d'où, sans doute, et au-delà de leur relation personnelle, le lien avec Bashung. Tout, visuellement, est déjà inscrit : dans un décor qui pourrait faire penser à celui d'une discothèque des années 80 autant qu'à une scène de jazz d'avant-garde, Christophe, verres teintés, bas du jean's enfoncé dans les santiags, tignasse de chanteur de glam-rock suédois et veste de représentant de commerce, lève son verre de whisky et trinque à la santé du public - on l'imagine bien, tiens, poser sa voix sur tel ou tel vers de Houellebecq : ce faisant, je n'ai pas le moindre doute quant à la leçon d'esthétique qu'il donnerait à un Jean-Louis Aubert. Ses gestes, comme son débit, sont secs, brisés, hachés, intempestifs - son petit côté Françoise Sagan. Il ressemble autant à un pilier de comptoir de nos dancings d'antan qu'à un de ces vieux bluesmen qui écument les routes. Un côté roots, c'est ça ; mais tout en douceur et sentiments. Car c'est un sentimental, Christophe, ça oui, pas collectionneur pour rien. Il parle de lui, souvent, dans ses chansons, dans ce qu'il dit entre ses chansons, mais c'est toujours avec une espèce d'ironie fatiguée, mélange d'orgueil et de dépréciation de soi, d'àquoibonisme et d'humour potache. On sent chez lui quelque chose qui a toujours trait à la maladresse, et c'est cette fragilité, dont certainement il est le premier conscient, qui lui fait chanter si bien ces ritournelles que tant d'autres gâcheraient à trop vouloir en tirer le suint. Christophe n'est pas un instrumentiste (même s'il touche à tout : piano, synthés, guitare, harmonica...), c'est un artiste. Autrement dit et d'abord, une personnalité sensible au timbre et à la sonorité des choses, et d'abord à celles qu'il porte en lui, qui le tirent vers une espèce de bonheur gris ; c'est de là qu'il tire le caractère atmosphérique, presque psychédélique par moments, qui prédomine aujourd'hui dans sa musique.

 

 

Je ne crois pas que l'on puisse dire de Christophe qu'il est un nostalgique : pour l'être, il faut avoir enterré le passé. Or il paraît tout vivre au présent, ce qui fut hier ne lui semblant pas moins actuel - il parle d'ailleurs du blues des années trente comme de quelque chose qui lui est extrêmement contemporain. Et comme il n'a pas d'oeillères, comme il sait qu'être un homme de goût consiste à s'ouvrir à tous les goûts, les ambiances en lui s'empilent et se chevauchent ; il procède par collages et lignes directrices - lignes rouges même, lignes d'obsession, si bien que la transe n'est jamais bien loin : ce ne sont jamais que diverses manières d'aller puiser et dire les mêmes choses. Ambiance synthétiseur, réverbérations et lumières roses ; ambiance guitare électrique années 60 (sur laquelle il donne une interprétation de La non-demande en mariage - Brassens - qui cesse d'être déroutante dès lors qu'on perçoit combien elle lui est propre) ; ambiance piano enfin, bien sûr, où il me semble trouver son équilibre le plus touchant, son entière harmonie ; où il montre que c'est précisément sa fragilité qui lui donne toute sa puissance.

 

La terre a donc penché, ce soir au théâtre Antoine - dommage, soit dit en passant, que les lumières aient été sitôt rallumées, que les spectateurs eux-mêmes, la musique se dispersant comme par volutes, aient considéré que c'était fini puisque Christophe n'était plus là, abandonnant la scène aux synthétiseurs et la laissant dans une ambiance de fin du monde. Enfin, rien de grave, puisque le dernier des Bevilacqua l'a annoncé hier soir : en janvier 2015, chez Capitol, paraîtront quinze nouvelles chansons - ce sera une chouette manière de lever le coude et de trinquer à ses soixante-dix ans. 

31 mars 2014

Christian Guay-Poliquin - Le fil des kilomètres

 

 

 

N'allez pas vous figurer quelque copinage ou autre renvoi d'ascenseur : le nom de Christian Guay-Poliquin ne me disait rien jusqu'au jour où j'appris que celui-ci avait évoqué largement un de mes livres (Et je dirai au monde toute la haine qu'il m'inspire) dans un travail intitulé "Mémoire et survie du politique dans la fiction d'anticipation contemporaine" (université du Québec à Montréal), dont j'ai déjà fait état ici. Naturellement, suite à cette publication, je suis entré en contact avec lui, et c'est ainsi que j'ai pu lire Le fil des kilomètres, qui, autant le dire sans plus tarder, m'a littéralement bluffé : paru au mois de novembre dernier aux Éditions La Peuplade (Québec), ce premier roman, d'une étonnante maturité, est tout à fait remarquable.

 

Je mesure mieux, désormais, ce qui avait conduit Christian Guay-Poliquin à entreprendre ce travail universitaire, tant il déploye dans ce roman les thèmes qui le sous-tendaient (le retour, la survie, la solitude) et dont je vois bien qu'ils sont chez lui taraudés par une forme latente, et poétique, de pessimisme. Le prétexte du roman est tout simple - et c'est pourquoi il est bon : une inexplicable panne d'électricité plonge une ville dans le noir, acculant les hommes à réinventer leur vie et à se passer de ce qui jusqu'alors semblait aller de soi (difficile, bien sûr, ne pas songer au Cormac Mc Carthy magistral de La Route, mais Guay-Poliquin suit ici sa propre voie.) L'usine est à l'arrêt ; un homme, ouvrier mécanicien, rentre chez lui ; il vit seul, chichement, ne possède rien, si ce n'est une vieille bagnole, un chat dont il n'a que faire et un frigidaire avec quelques bières. Il n'est pas vieux, mais usé déjà par le travail et la vie dure. Dehors, tout s'est arrêté : nous ne pouvons plus imaginer notre monde sans électricité. Son père habite à des milliers de kilomètres de là, ils n'ont plus guère de relations, presque plus de contact ; mais son père, cette nuit-là, lui téléphone, un appel un peu délirant, peut-être pathologique, on ne sait pas bien. L'homme est envahi par quelque chose qu'il ne mesure pas tout à fait, quelque chose qui, en lui, pèse et soupèse l'existence : il prend sa voiture, il s'en va retrouver son père. L'histoire se déroule presque intégralement sur la route, au fil des kilomètres on comprend que c'est le pays tout entier qui est plongé dans le noir. Une femme, puis un autre homme, feront irruption, mais sans que cela suffise à apaiser l'obsession de cet homme à retrouver son père, ni à modifier en quoi que ce soit sa sensation dévorante, toute-puissante, de solitude.

 

C'est un roman envoûtant, composé avec beaucoup de maîtrise, et il n'est pas facile de le lâcher - même si sa chute, celle-ci ou une autre, ne saurait vraiment surprendre. Pourtant Christian Guay-Poliquin n'use qu'avec la plus grande parcimonie des petites ficelles du suspens. Il prend son temps (la route est longue), montre la grisaille, le début de chaos dans lequel autour de lui tout finit par sombrer, s'attache à tout ce qui se trouble en l'homme qui bascule, l'homme acculé à arpenter ses propres labyrinthes. Il y a dans ce texte quelque chose qui rappelle le nature writing américain, avec ce lyrisme aux aguêts sous la sécheresse, cet arrière-plan mythique. Les images sont belles, marquantes, acérées, souvent originales. La tonalité est presque aussi obsédante que la quête du personnage, quelque chose d'ailleurs n'est pas loin de faire songer à une transe. On frôle le road movie. Mais on ne fait que le frôler, car c'est bien mieux que cela : c'est de la littérature.

 

Christian Guay-Poliquin, Le fil des kilomètres - Éditions La Peuplade
Le livre est paru en France, chez Phebus

29 mars 2014

Bernard Lavilliers à l'Olympia (extraits)

 

Bien sûr, je me souviens de mon premier concert de Lavilliers : 1986, la deuxième édition des Francofolies, à La Rochelle ; l'album Voleur de Feu venait à peine de paraître. Outre le tubesque Noir et Blanc, il y avait un morceau que j'adorais : Gentilhommes de fortune, que Lavilliers et ses musiciens jouaient sur scène pour la première fois ce soir-là ; ils avaient un peu cafouillé ; Lavilliers avait regardé ses musiciens, s'était marré, puis avait décidé de tout reprendre à zéro. Et c'était très bien comme ça. On le trouvait trop ceci, trop cela ; on moquait son latinisme à bagouses, sa musculature, son ouvriérisme, ses histoires de marins solitaires et de pirates au grand coeur - sa grande gueule, quoi. Moi je m'en foutais, j'y voyais autre chose. Une histoire, une sensibilité en marche, traversée de joie vivante et d'une forme de vague à l'âme à la fois mâle et poétique. J'aimais cette énergie assez viscérale à vivre, à s'exhiber, cette implication mêlée de gravité. Je me souviens aussi qu'il avait chambré les policiers qui, sur les remparts du port, place Saint-Jean-d'Acre, paraissaient un peu à cran. Ca nous avait fait rire, il y avait encore dans l'air un parfum de provocation joueuse, de liberté potache, on levait nos canettes de bière à la santé des forces de l'ordre. Je me souviens que j'avais fait du stop pour aller l'écouter ; je reconnaissais en lui quelque chose qui m'appartenait, au moins un peu - disons que j'en étais à cet âge où on s'identifie.

 

Ce soir, trente ans plus tard ou presque, à l'Olympia, nous sommes loin de tout ça. D'abord, c'est l'Olympia : une salle assez sage, régulée, surveillée, et puis nous avons tous vieilli. Ce qui n'empêchera pas Lavilliers de mettre tout le monde debout, en bas dans la fosse, en haut dans les gradins, entre les travées, et de faire danser son monde. Lavilliers va puiser un peu partout, le dernier album bien sûr est plutôt à l'honneur - le très efficace Scorpion ; Vivre encore, un peu plus grave ; Baron Samedi, Jack, Y a pas qu'à New York, Tête chargée, le joli et langoureux Rest' Là Mayola. D'autres titres, pas bien vieux encore : Je cours, Solitaire, L'exilé ; ça chaloupe sur Marin, sur Voyageur. Et puis Les mains d'or, hymne ouvrier s'il en est, dédié aux salariés de Florange, réunit tout le monde ; Lavilliers égratigne Mittal, les socialistes ont les oreilles qui sifflent : "Ils ont essayé ; ils essayent beaucoup, les socialistes..." Pas de jaloux, Sarkozy en prendra pour son grade : Les aventures extraordinaire d'un billet de banque, qui date de 1974, s'y prête à merveille.

 

Car oui, que voulez-vous, on ne se refait pas, un public reste un public : il a à l'oreille ce qui l'a accompagné jusque-là. Lavilliers ressort Stand the ghetto, le presque hard-rockeux Traffic, qui m'a rappelé quelques souvenirs (Que veux-tu que je sois / dans cette société-là / Un ange ou un cobra / Un tueur ou un rat), et Pigalle la Blanche, et La salsa, et Noir et Blanc. Et même, non sans humour, Idée noire, ce tube un peu racoleur qu'il concéda, en 1983, avec Nicoletta. Le public est à contribution sur On the road again, Lavilliers seul à la guitare, rend hommage à Paco de Lucia. Et Betty, bien sûr, une de ses plus belles chansons ; et puis, Lavilliers seul à la guitare, le Lavilliers qui prend son temps, qui retrouve ses accents intimes, c'est aussi comme ça qu'on l'aime, et tel qu'on se souviendra de lui.

 

Bien sûr, ce n'est pas le Lavilliers de la grande époque - mais que regrettons-nous, disant cela : un certain Lavilliers, ou une certaine époque ? Le Lavilliers un peu crâneur, anar en cuir ne détestant pas cabotiner, ou ce temps où la musique portait une sensibilité brute, indomptable, rétive aux formats, aux attentes, charriant, de loin en loin, une sorte de rébellion instinctive ? Car lui au fond ne semble guère avoir vieilli, il a même bellement mûri, il est beau, élégant, dominateur, et toujours dans ce regard cette part un peu diabolique de rire et de tragique, de sagesse et de malice. Formidablement entouré par ses musiciens du "conservatoire marginal supérieur" (...), et de sa voix inchangée, il continue de fonctionner à l'instinct, à la sueur, il va tranquillement chercher son public, mais sans rien forcer, amorçant quelques pas sur une salsa ou se retirant un peu en lui-même pour chanter Betty : bref, il n'a pas changé, lui.

 

Bernard Lavilliers - Olympia, 28/03/14 - Quelques extraits

 

28 mars 2014

Du triomphe de Bruce Lee par temps d'élections

 

Une nouvelle chronique moratoire est en ligne dans le Salon littéraire.

Sous prétexte d'élections, il y est un peu question du dernier livre de Camille de Toledo (à moins que cela ne soit l'inverse et que, sous prétexte de parler de Toledo, etc.).

 

 

Du triomphe de Bruce Lee par temps d’élections

 

Ce qui nous est difficile, c’est de franchir le temps : notre temps d’homme, et notre temps d’homme parmi les hommes. Nous avons été fabriqués davantage que nous ne fabriquons – et combien de fois vécus avant de vivre. Notre temps d’homme, c’est le temps de notre humanimalité : je suis un animal, mais je ne suis pas animal. Comme lui j’éprouve le déclin de mes cellules, le désarmement de mes membres, l’affaissement de ma disponibilité au monde, mais moi, j’en souffre moralement. Notre temps d’homme parmi les hommes obéit aux mêmes lois : les civilisations, n’est-ce pas, sont mortelles, et nous ne l’acceptons guère plus facilement que le délabrement méthodique de notre être individuel. En politique où, tout de même, on se paye parfois de mots, cela fait des ravages : il y a ceux qui ne se relèvent pas de l’extinction du passé, il y a ceux pour qui le présent est le temps en soi, pour qui le passé n’est rien puisqu’il n’est guère que le présent des morts, il y a ceux qui n’ont que le futur dans le viseur, même si jamais personne ne saura de quoi demain est fait.

 

Si j’en parle aujourd’hui, ce n’est pas pour y aller de mon petit couplet métaphysique dans cette quinzaine électorale (quoique), mais pour évoquer, même allusivement, le dernier et très beau livre de Camille de Toledo : Oublier trahir puis disparaître. Toledo tient à bout d’écriture cette humanité plongée dans le vivant : ici, ce père qui entend le vieillard en lui, qui, parce qu’il a un peu vécu, voudrait pouvoir armer celui qui vivra (« Parce qu’il faut être père pour naître une seconde fois. Parce que nous n’avons jamais eu autant besoin de ça : une filiation, quelque chose qui nous relie au temps et à l’oubli. ») ; là, ce siècle qui, parce qu’il ne sait pas plus se dépatouiller de l’histoire que s’apercevoir dans le miroir du lendemain, s’en remet tout entier à l’agir des hommes (« quitter enfin mon siècle : un siècle grave, puis ricanant, lesté de vieilles mémoires »), et ne trouve d’autres ressources que de se livrer à la prière – peut-être espérant y trouver la « force capable de retenir cette orgie de sucre et d’amnésie. » Lancer des passerelles, non tant d’ailleurs entre les hommes qui, au fond, n’en veulent jamais vraiment, mais au moins entre leurs époques ; jeter des ponts et des mondes entre l’homme d’hier, celui d’aujourd’hui et celui de demain, parce c’est le même – ce mot, si joli, de Toledo : « La vieillesse est un peuple. »

 

Faire tenir les hommes ensemble, voilà qui relève du politique ; les relier, voilà qui tient du spirituel. Les faire tenir ensemble (c’est-à-dire éviter la guerre civile) : pour peu qu’il ne nourrisse pas l’illusion de réussir (et qu’il cesse de nous en nourrir), le politique peut suffire. Pour les relier, et les relier sans dieu, on a cru à ce qui, malgré tout, restera comme le plus beau dessein de l’homme, sa tentative la plus ambitieuse : on lui a donné le nom de Culture – la majuscule comme une ultime réminiscence de la Kultur. Au fil du temps, et malgré les œuvres, et malgré le génie humain, il nous faut bien mettre genou à terre et constater que cela n’y suffit pas : que la Culture aussi, on l’oublie. Qu’elle est capable (ce qui n’est pas rien) de témoigner du monde, pas d’en éclairer la marche. Et on se retrouve un jour à Mostar, où Bruce Lee a remplacé Europe.

23 mars 2014

Le couple : quelles nouvelles ?

 

 

Nouvelles du couple (sous la direction de Samuel Dock) - Editions France-Empire - Mars 2014

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Samuel Dock a eu la  gentillesse de me convier à participer, sous sa direction, à un joli projet littéraire paru aux Éditions France Empire sous le titre Nouvelles du couple : l'exploration du couple — et, à travers lui, de l'amour bien sûr. Existe-t-il thème plus rebattu ?, il est loisible d'en douter. C'est ce qui en fait le sel : il ne s'agit en effet pas tant de dire du neuf que de trouver sa propre manière de le dire.

 

Liste des auteurs : Alain Vircondelet, Valérie Bonnier, Samuel Dock, Jérôme-Arnaud Wagner, Hafid Aggoune, Marc Villemain, Marie Plessis, Erwin Zirmi, Bérénice Foussard-Nakache, Rebecca Wengrow, Stéphaniel Le Bail, Lélie Clavérie, Olivier Fernoy.

 

20 mars 2014

François Blistène - Le passé imposé

 

Quelques nouvelles de François Blistène, dont paraît, ce jeudi 20 mars aux Editions du Sonneur, le deuxième roman : Le passé imposé j'ai donc à nouveau la chance, comme cela fut le cas avec Moi, ma vie, son oeuvre, d'en être l'éditeur.

 

Ceux qui avaient lu ce premier texte retrouveront dans Le passé imposé ce que probablement ils avaient aimé : la verve, la causticité, cette manière un peu potache de mettre les pieds dans le plat et, bien sûr, ce talent qu'a François Blistène, en apparence fort simple mais qui n'est pas donné à tout le monde, de raconter une histoire.

 

Pour le reste, nous sommes assez loin des univers de Moi, ma vie, son oeuvre, qui faisait la part belle au petit monde de la peinture et à ses affres - et à certaines idées assez peu recommandables que cela faisait germer dans la tête de son protagoniste. La tonalité, quoique toujours parsemée de saillies facétieuses, voire fantasques, est ici un tantinet plus grave, puisqu'il est question d'éducation, de transmission, de paternité, de liberté individuelle, autrement dit, de valeurs. Que l'on ne se méprenne pas : François Blistène n'a pas viré sa cuti, il n'a pas plus retourné sa veste que changé de casquette : tout n'est jamais que prétexte à ausculter l'humaine engeance. Aussi bien, si l'on riait assez franchement en lisant son premier roman, l'on rit toujours, certes, mais un peu plus jaune tout de même. En montrant l'ineptie qui consiste à vouloir protéger à tout prix la jeunesse contre ce que le monde a de plus sot, François Blistène, s'il encourage l'individu à se libérer des innombrables carcans qui mettent la liberté à l'épreuve, n'en témoigne pas moins des limites d'une société acquise à toutes les futilités consuméristes possibles et imaginables, et très peu à ce qui pourrait l'embellir et la rendre un peu moins frivole. Moraliste, François Blistène ? N'exagérons pas. Car ce qu'il raconte ici (la découverte de la vie - et de Paris - par trois jeunes gens fuyant la geôle paternelle) n'induit aucune espèce de jugement de valeur : il se passe simplement ce qui doit se passer. De son écriture vive et accidentée, pleine de rebonds, d'images et de formules, d'excentricité aussi, Blistène jubile surtout à nous montrer de quoi nous sommes faits : de préjugés autant que d'inconscience, de peurs farouches autant que d'aspirations à la joie.

 

 

 

QUATRIEME DE COUVERTURE Solitaire abhorrant le monde moderne, Philippe Pontagnier s’acharne à isoler ses enfants dans une maison où leur seul contact avec les humains est un certain Kuntz, homme étrange censé parfaire leur éducation. Lorsque les trois adolescents parviennent à s’échapper, ils ne connaissent guère du monde que ce que leur père et leur précepteur, ainsi que quelques livres bien choisis, leur en ont appris. Déambulant dans Paris, ils vont donc, chacun à leur manière, tâcher d’en déchiffrer les mœurs et de s’y faire une place. Une rencontre sera décisive : celle d’un certain Monsieur Mystère, magicien de son état, auprès duquel ils vont se prendre au jeu de la vie. Mais c’est sans compter sur la soif de vengeance du Père : l’ogre rôde, et le destin est tenace.

 

 

François Blistène, Le passé imposé - Éditions du Sonneur

 

18 mars 2014

Jacques Josse - Liscorno

 

 

C'est, encore une fois, un bien beau livre que nous donne à lire Jacques Josse, sans fard ni manières, à l'écriture tout à la fois discrète et évocatrice, précise, choisie : en somme, un livre d'authentique littérature - ô combien, la littérature étant tout ce à quoi se nourrit Liscorno, récit d'hommage, tombeau des grands inspirateurs. La littérature, donc, et tout autant la vie, puisque aussi bien les deux ont (doivent avoir) partie liée. On aime tel livre, tel auteur, aussi parce qu'on l'a lu à cet âge-là, en ce lieu-ci, et parce que les circonstances ne sont jamais étrangères à cette sorte d'effet de sidération qu'une lecture peut susciter.

 

Cette fois, Jacques Josse nous fait revenir aux origines. Nous ne sommes pas encore à Rennes ou à Saint-Brieuc, qu'il évoquera souvent dans ses textes. Nous sommes à Liscorno, en Bretagne certes, mais en Bretagne intérieure, rude et paysanne. Liscorno, donc, "village bâti en terrasses, à flanc de coteau, comptant trois à quatre dizaines de maisons et plusieurs bâtiments de ferme", où Josse débarque à l'âge de cinq ans, au beau milieu de l'été 1958. Alors il raconte cette arrivée, en quelques mots très purs, les souvenirs qu'il en a, les quelques images qui lui reviennent ; avant d'aller s'enfermer dans cette "mansarde qui allait peu à peu se muer en invisible (et minuscule) port d'attache", d'où il enprendra d'explorer le monde et les livres.

 

Il sera question, au fil des jours et des pages, de Tristan Corbière, de Raymond Carver, de London, de Kerouac, de Ginsberg, des fortes têtes de la Beat Generation et de quelques autres, poètes avant tout, les Yves Martin, Armand Robin, Gary Snyder... Illustres ou pas, peu importe à Jaques Josse qui, n'écoutant que son coeur et les recommandations de ceux qu'il lit, s'en va à la rencontre de ces écrivains qui sont autant de monstres ; auprès d'eux il va apprendre à se trouver, à trouver en lui la bonne manière d'être au monde, et déterminer à jamais son paysage, son esthétique littéraires. Ses lectures donnent d'ailleurs parfois l'impression qu'elles le sauvent - mais de quoi ? Il lit dans sa mansarde, quand il ne traîne pas au café du village à observer ces hommes durs à la peine, trimballant leurs vies laborieuses et leurs trognes esquintées. Il y a quelque chose chez ceux-là, d'ailleurs, qui m'a fait songer aux personnages de ce roman splendide, passé complètement inaperçu (peut-être du fait de la mort prématurée de son auteur) : Dernière station, d'Ollivier Curel — dont je parle ici. Ce sont les mêmes gueules cassées, inatteignables, recluses, ni désespérées, ni espérantes : indifférentes à toute projection de soi en dehors de cet ici et de ce maintenant - et sans doute faut-il, pour espérer comme pour désespérer, avoir ne serait-ce qu'une raison de penser qu'autre chose soit seulement concevable. Et si Jacques Josse évoque avec beaucoup de sensibilité ce qu'ont représenté pour lui (et représentent encore) ces lectures, je le trouve parfois plus juste encore, plus parfaitement juste, lorsque passe dans son récit un de ces hommes de peu, un de ces vieux marins à l'âme ravinée qui lèvent leur coude au zinc en noyant leur regard dans le miroir - avant d'aller pisser dehors contre un pommier.

 

Jacques Josse, Liscorno - Éditions Apogée

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