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Marc Villemain

22 mai 2007

Mourir, oui. Mais comment ?


Comme tout un chacun, il peut arriver que je pense à ma mort. Les moments perdus peuvent servir à cela. Il n'y a rien là de spécialement lugubre, plutôt quelque chose d'assez factuel. Simplement m'en représenté-je les lieux et conditions possibles. Sans doute n'est-ce pas véritablement moi qui y pense, mais elle qui me fait penser d'y penser. La nuance est importante : elle signifie autant qu'on se prépare à la mort qu'elle-même suggère que l'on s'y prépare. C'est comme dans une vie de couple : ça marche à deux.

Hormis l'imprévisible accident de la route (je n'ai pas de voiture), chute de vélo (que je ne pratique pas), ou coup de poignard dans une ruelle sombre (que je fréquente peu), l'infinité des manières de mourir peut sembler assez théorique. Aussi le plus probable, quoique loin d'être certain, est que nous mourions (est que je meure) d'usure, de fatigue ou de maladie. Ainsi me vois-je assez bien mourir, après une course effrénée avec mon chien sur les falaises d'Etretat, d'une petite défaillance du coeur ; le temps que les sauveteurs arrivent et qu'ils me transportent jusqu'à l'hôpital de Fécamp ou du Havre, le mal aura peut-être fait son boulot. Je peux aussi mourir du fait de poumons négligents ; la chose se produira alors dans un lit d'hôpital, après avoir pris le temps qu'il lui aura fallu ; mais je pourrais tout aussi bien mourir d'un mal à ce jour non encore diagnostiqué. Je pourrais aussi tomber dans l'escalier, sous le poids des cartons de livres (il faudra à ce propos, Marie, que nous réfléchissions assez précisément à la question du stockage). Ou, mais cela paraît peu vraisemblable en Normandie, parce que la sole n'était pas assez fraîche. Evidemment, ma statue se trouverait confortée si je pouvais trépasser à ma table de travail, rompu de m'être acharné plusieurs jours et nuits durant sur le grand livre qui bouleversera la littérature mondiale. Cette perspective est toutefois assez peu réaliste.

Il serait difficile de nier la part de vraisemblance de ces multiples projections. Pourtant, il est à parier que la mort trouve quelque ruse qui en vienne à bout. Le travail de préparation n'en aura pas été vain pour autant, les circonstances d'un décès n'ayant d'intérêt que dans le fantasme et le processus à l'oeuvre aboutissant de toute manière à la même chute. Ce qui est étrange, si l'on parvient à sortir des représentations doloristes ou tragiques de ce mauvais moment, c'est qu'on peut aisément en percevoir les vertus presque lénifiantes. Passer de l'état d'extrême vivant à celui d'absolu néant n'est pas une énigme, comme certains esprits romantiques pourraient le concevoir, mais un fait imperturbable - qualité qui lui donne précisément cet aspect ou cette dimension de grand apaisement. Un peu à l'image du calme serein qui semble régner à la surface de la lune.

Ensuite, il y a ce que l'on pourrait souhaiter. Aussi l'idéal, pour mourir dans quelque dignité, serait de le faire à la manière de ces animaux dont on dit qu'ils sentent venir la chose et, quelques jours ou semaines avant le gong, se défont de leur monde, lui tournent instinctivement le dos et s'en vont chercher l'arbre ou le coin de terre où ils expireront, seuls. C'est une très belle image de la mort, une de celles, en tout cas, qui s'approchent au plus juste de la communication qui s'est peu à peu établie entre elle et ce qu'il faut bien finir par désigner comme sa victime. Seulement voilà. S'il semble bien que cette représentation me corresponde relativement, si elle peut répondre à la part de fantasme que je ne peux réfréner à ce sujet, elle demeure insatisfaisante à ce stade. Car je voudrais à la fois pouvoir mourir seul et dans les bras de celle que j'aime. J'ai la solution du problème, et je l'ai trouvée dans la vie : un couple, un amour, c'est une solitude à deux. Ces deux solitudes aimantes n'en faisant plus qu'une, je pourrai alors mourir sans déranger mon monde, sans avoir à en essuyer le regard, et dans la compagnie la plus chère qui me soit. S'il ne s'agissait hélas d'en éprouver la fin, ce serait presque une image du bonheur.

9 mai 2007

(Petite) ville Lumière

J'ai passé bien du temps (trop, sans doute) à faire état de mes agacements politiques récents. La France a ce qu'elle mérite autant que ce qu'elle a voulu ; nous verrons bien, avec le temps, ce qu'il faudra penser de tout cela. Pour l'heure, notre nouveau président, non encore nommé, est en vacances luxueuses pour une soixantaine d'heures. Sans doute y avait-il plus adroit, et de meilleur goût, mais je ne vois pas là motif à une quelconque "montée au créneau". Les Français, d'ailleurs, s'en foutent - et même, à mon avis, lui donnent peu ou prou raison. Que le premier réflexe de la gauche (qui, en matière de faste et de somptuosité, n'est pas spécialement innocente) soit de retrouver ses traditionnels accents d'indignation morale nous donne une idée du chemin à parcourir. L'heure est donc à l'objurgation : l'analyse et le questionnement, préalables à toute refondation digne de ce nom, peuvent bien attendre encore un peu.

Tous, nous retrouvons un peu notre chez-nous. Le tumulte et la frénésie militante, avec ou sans carte politique, s'apaisent peu à peu. Les conversations en famille, les polémiques enflammées, les diatribes au zinc et les ferveurs spontanées s'espacent. L'exagération de soi, l'ampleur des certitudes, la boursouflure des opinions, les dispositions belliqueuses, parfois excommunicatrices, laissent place à une forme de distanciation quotidienne qui est aussi, disons-le, une manière de se situer dans le champ démocratique, voire de l'accepter. La France, son hymne, ses drapeaux, son imaginaire et ses slogans, rentrent au bercail des intimités - pour y sommeiller, et sans doute mûrir jusqu'aux prochaines échéances.

En écho, même très lointain, à cette séquence politique, je me suis fait l'autre jour cette réflexion que les grandes cités urbaines, que l'idée de la ville même, depuis toujours vecteurs, et vecteurs presque uniques, de la civilisation, sont devenues, au temps mondial du capitalisme, de dangereuses machines à destructurer les ontologies, à assécher les coeurs et à désorienter les projections de soi. Peut-être m'objectera-t-on que je me fais cette réflexion au moment où moi-même je me prépare à la perspective de quitter la ville : à cette aune, ma  réflexion n'aurait donc rien de conceptuel ou d'universel, et ne serait que le fruit de ma propre trajectoire. Possible. N'empêche : la ville a changé. Celle qui permettait hier que se nouent des solidarités de voisinage fomente aujourd'hui d'innombrables querelles dans nos tribunaux surchargés ; celle qui obligeait, par gestion bien comprise de l'espace, aux politesses et à la courtoisie que créent les cultures, échauffent désormais les esprits et les mots jusqu'à susciter des haines instinctives ; celle dont on pouvait vanter les promesses du brassage compartimente aujourd'hui comme jamais ; celle qui excitait les arts et les artistes charrie désormais la plus grande vulgarité consumériste ; celle qui offrait à l'individu l'incroyable luxe de se sentir seul dans la foule tout en demeurant solidaire de sa marche l'accule maintenant à regarder ses pieds dans la rue et à se terrer pour échapper aux regards - qui, tous, jaugent, jugent, et souvent condamnent.

Face à ce mouvement, que je crois régressif et par ailleurs bien loin d'être accompli, la France des villages et des petites villes, si elle accepte de considérer que la frontière du monde ne s'arrête pas à la clôture de son champ ou de son usine locale, pourrait bien incarner le lieu où non seulement l'individu peut se retrouver, mais où la collectivité peut apprendre à réapprendre les règles du savoir-vivre - et donc du savoir-vivre ensemble. Car je ne perçois rien du mouvement qui saura endiguer l'incroyable, l'indescriptible mouvement autodestructeur de la grande ville. Vient un temps où le retrait sur soi, qui n'est pas à confondre avec le repli, constitue une excellente manière de retrouver ce qu'il est d'usage d'appeler nos "fondamentaux". La mode, qu'attisent des bobos encore tout étonnés que la rude vaillance de la blogosphère n'ait pas suffi à couronner leur championne, est encore à la croyance en une ville riche de sa diversité, de ses chics friches industrielles, de son allure vive, jeune, puérilement provocatrice, de son frémissement permanent - comme on le dirait d'un coup d'état. Cet idéal, car c'en fut un, et des plus nobles, je crains qu'il ne soit devenu illusion, et, pour certains, simple idéologie. La réalité est peut-être que la ville a échoué, ou est en train d'échouer, non parce qu'elle porterait l'échec en elle-même comme le ciel les ténèbres, mais qu'elle est aujourd'hui l'accélérateur de tous les processus de destruction de ce qui, jusqu'à présent, faisait tenir les hommes ensemble. Ce qui était moderne hier, et qui, légitimement, jouissait de l'aura de ce statut, tend à se dégrader en processus crépusculaire. Autant dire en extincteur de Lumières.

26 avril 2007

THEATRE : Michaël Lonsdale et Patrick Scheyder - Le rêve

Micha_l_LonsdaleAprès tout, nous ne pouvons nous en prendre qu'à nous-mêmes (enfin, surtout à moi...) : plutôt que de laisser notre oreille sagement collée à France Inter afin d'y entendre les premiers résultats et tirer in vivo les enseignements du premier tour des présidentielles, nous avons choisi de faire preuve d'une coupable distance et de ne pas accorder une miette aux fauves. Il y aurait donc une justice en ce bas monde politique : elle fut payée au prix fort. Nous avons bien ri, toutefois, et ce fut irrépressible (n'est-ce pas, M. ?), ce soir du 22 avril...

Que voulez-vous : j'adore Michaël Lonsdale. Ses airs d'affreux mystique, ses oeillades de loup-garou, sa dégaine célinienne, absente au monde, lointainement féroce, ce géant démantibulé qui, n'était son masque de bon grand-père un peu las de la vie, ferait trembler n'importe quel enfant. J'avoue pourtant que, ce soir, le mouvement instinctif et premier de l'admiration a trouvé à qui parler. D'accord, j'aurais dû me méfier du titre : "Le rêve - Un spectacle musique, théâtre et création végétale". J'ai préféré y voir de l'ironie - et c'en fut bien dépourvu. Et puis on nous promettait des lectures de Musset, de Sand, de Breton, d'Artaud, Apollinaire - et de Duras ! alors j'ai pensé à vous... Et des poèmes de Tardieu, souvenir de mon oral du bac, il y a... si longtemps. Je ne connaissais pas le pianiste, Patrick Scheyder, mais on annonçait Schubert, Liszt, Chopin - pauvre Chopin, liquéfié en sirop sous la pédale. J'avais pensé que... eh bien j'avais mal pensé ; c'était nul, voilà tout. Ce n'est pas très gentil de le dire ainsi (je vous ai dit : j'adore Lonsdale), mais c'est la vérité, c'est pas facile.

Patrick_ScheyderOn l'a vu arriver de loin, de la terrasse du café où nous attendions notre heure (et elle viendra), un peu hagard, traînant son pas monacal sur le bitume des hommes. Eh bien c'est ainsi qu'il s'est présenté, trente minutes plus tard, dans son habit de ville, le pantalon taché, les godasses un peu minables. En fait, il n'était pas sur scène - et nous non plus. Il n'a fait que faire ce qu'il fait sans doute chez lui, lire à voix haute quelques textes qu'il aime - et dont il s'est dit, ici, qu'ils avaient peut-être, à bien y regarder, peu ou prou, un lointain rapport avec le rêve. Lecture improbable d'ailleurs, hésitante, incertaine, oublieuse, butant sur les mots, interrompant les phrases ; lecture inutile. Et l'air inspiré du pianiste, derrière, cheveux longs sur calvitie, l'oeil surjouant sa poésie éthérée, posture lourde, théâtrale, fausse inspiration. Ah, quel dommage ! Avec ce physique, cette voix de flûte des cavernes, ce mysticisme hagard et prophétique qu'il balade avec son ombre, Lonsdale avait tout ce qu'il faut pour redonner à ces textes leur profondeur historique, leur éclat littéraire. Il ne parvint, hélas, qu'à nous faire rire sous cape. Vous, réprimant à grand peine votre pépiement atterré, moi prenant l'air affecté de celui que ne veut en rien troubler l'artiste, et lui, donc, assis sur sa chaise, inaccessible, spasmodique, nous soutirant par moments un peu de notre instinctive compassion. Bon, moi je le trouve touchant malgré tout : j'ai entendu le chant d'un cygne. Mais j'avoue que cela ne fait un spectacle.

Au moins il faisait bon, sur la petite scène du théâtre noir, les gerbes d'arômes et de roses jonchant le sol - et pour certaines défraîchissant ou s'écroulant lentement. Lonsdale se lève, contourne le piano, se glisse derrière lui, on n'aperçoit plus que le haut de son buste, et sa grosse tête perdue dans les feuillages (la mise en scène "végétale"). Lentement, très lentement, mais il est sans doute authentique, tant nous n'existons pas pour lui ce soir, tant il n'est que ce qu'il est, il lève le bras droit, tend la main vers la feuillaison, entreprend de caresser une pauvre et vieille feuille jaunie, à la humer, peut-être cherchant lui-même à rejoindre la nature. Tout est stoïque chez lui, sans expression, abattu ou mort. Et puis, tout à coup, une petite saillie, une humeur, un petit hochet suraigu, une tirade de faussaire, une réminiscence fluette. C'est drôle, excessif, puis ça retombe. La litanie reprend. Retour à l'extinction, du visage, des traits, de la voix, abattement, et à nouveau, voûté sous la voûture des feuillages. Le spectacle prend fin, Lonsdale retrouve le sourire, et on retrouve, nous, le bon vieux grand-père un peu las de la vie, une malice enfantine toutefois, et il nous sourit vraiment, et devant lui on passe à la queue leu-leu, et il nous offre, à chacun, à tous, en plus du petit mot aimable, une rose, un arôme, un sourire. Tout le monde s'en va. Je pense qu'il ne se change pas, il repart, lui aussi, comme il est venu j'imagine, il est sorti de chez lui, c'est déjà beaucoup. Et il emmène avec lui l'indicible, l'indiscernable, cette tête étrange faite d'étrangetés visionnaires ou mystiques - il y a, je persiste à le penser, du Artaud dans ce cerveau. Et nous, nous partons retrouver la terre des hommes. Qui a gagné, au fait ?

25 avril 2007

Le pouvoir rend fou


Je m'étais pourtant juré de ne pas y revenir, et de ne plus évoquer cette campagne...

Hier en fin d'après-midi, vers 18 heures, Jean-Luc Mélenchon fait savoir qu'il quittera le parti socialiste en cas d'alliance avec l'UDF. Trois heures plus tard à peu près, lors d'un meeting à Montpellier, Ségolène Royal invite les électeurs de François Bayrou à construire autour d'elle une France "arc-en-ciel", avant de déclarer aux journalistes que, "bien sûr", elle prévoit d'intégrer des ministres UDF dans son futur gouvernement. Dans la salle du meeting, discret mais accompagné de quelques amis, Georges Frèche rayonne, bien que dénoncé comme raciste et conséquemment exclu du parti socialiste trois mois auparavant. L'impératif de cohérence n'étant que de peu d'importance dans cette campagne électorale, Ségolène Royal, acclamée pour son ouverture au centre qualifiée quarante-huit heures plus tôt "d'immorale" par Jack Lang (qui y voyait de quoi justifier l'exclusion de Michel Rocard), "d'inadmissible" par Pierre Mauroy, de "mystification" par Lionel Jospin, et "d'alliance de circonstance" par François Hollande, déclenchait concurremment une standing ovation en remerciant "du fond du coeur" l'extrême-gauche, et spécialement Arlette Laguillier. Comprenne qui pourra.

Admettons que j'admire la performance, pour faire plaisir aux petits Machiavel qui pullulent dans les réunions de section. Mais comment peut-on proclamer l'urgence de la rénovation politique et injurier de la sorte plusieurs millions d'électeurs ? Ceux qui ont voté pour Ségolène Royal, arguant à qui mieux-mieux que François Bayrou était "de droite" et qu'à ce titre jamais aucune alliance ne serait envisageable ? (et comment font-ils, au passage, victimes d'aveuglement, de schizophrénie ou de cynisme, pour, dans le même temps, applaudir à "l'ouverture" au centre et acclamer Arlette Laguillier ?). Ceux encore qui ont voté pour François Bayrou, que l'on a montrés du doigt comme "complices de Sarkozy" et qui se découvrent aujourd'hui tant de nouveaux amis, qui tous assurent partager exactement les mêmes valeurs qu'eux ? Et comment feront-ils pour voter, ceux qui refusaient d'avoir à choisir entre Bayrou et Sarkozy, maintenant que Royal a promis des ministres bayrouistes ?

Au-delà de la très relative crédibilité et authenticité de cette démarche d'ouverture, ce qui frappe est donc et d'abord sa parfaite indécence. Or cette indécence a une origine : ce qui meut le parti socialiste, au fond, et nonobstant la sincérité initiale des engagements individuels, c'est la seule conquête du pouvoir. Le PS, depuis 1981, ne se vit plus que comme un parti de gouvernement - il n'est d'ailleurs pas un parti d'élus pour rien. Seule importe la victoire de leur étiquette - et tant pis si le sens y perd des plumes, si la doctrine change au gré du vent ou des humeurs, s'il faut tordre le cou à Jaurès, aux électeurs ou aux engagements de campagne, ou s'il faut ajourner encore le questionnement sur le monde, et sur soi.

24 avril 2007

Gouverner, c'est effacer


Le dimanche 24 septembre 2000, le monde politique et médiatique est en émoi : Dominique Strauss-Kahn aurait été en possession de la "cassette Méry", du nom de ce promoteur immobilier, décédé quelques mois plus tôt, qui, dans une cassette vidéo, confessait tout ce qu'il savait du financement du RPR. La cassette est depuis passée à la postérité, et on dit qu'elle faillit faire chuter la république : il y avait du boulangisme dans l'air. Dominique Strauss-Kahn, alors ministre de l'Economie et des Finances, vit un grand nombre de ses amis socialistes prendre la tangente et quitter le navire, fût-ce à reculons. L'une de ces dits amis, aujourd'hui candidate à la présidence, réagit immédiatement en alléguant que, "en politique, on est là pour servir, pas pour se servir". D'autres faisaient état de leur "nausée", dénonçaient les "turpitudes" du camarade DSK, l'accusaient de "polluer la vie publique", philosophaient en considérant que "les gens bêtes ont des réflexes quand les gens intelligents ont tendance à faire les malins", d'aucuns allant jusqu'à évoquer la Haute-Cour de Justice. Foin de présomption d'innocence, foin du moindre début d'enquête, courage fuyons, et sauvons nos têtes. Nous fûmes quelques-uns, à la demande de Dominique Strauss-Kahn, à tenir la liste noire de ces amis défectueux. Et puis le temps passa, la "nausée" s'estompa, les amis revinrent, le plus souvent la queue entre les jambes, et la "vie politique" reprit ses droits. Dominique Strauss-Kahn, pour continuer, devait passer l'éponge, effacer.

Depuis avant-hier, nous sommes entrés dans le deuxième temps de l'élection présidentielle. J'allais dire du deuxième round, tant la confrontation politique a désormais des allures de compétition sportive, tropisme largement relayé par des médias qui ne considèrent plus la dispute entre Royal et Sarkozy que comme une "finale". Mais passons. Deux mois durant, les principaux appareils politiques se sont coalisés contre François Bayrou en faisant preuve à son égard de mépris, quand ce n'est pas d'arrogance. L'un parlait de lui comme de "la caricature du cynisme et de l'opportunisme", l'une déclarait qu'il était "une forme d'imposture" - elle lui a laissé hier un message sur son téléphone portable "par simple politesse", quand l'autre tentait de le joindre pour le féliciter de son bon score. Soudain, comme par enchantement, François Bayrou, qualifié deux mois durant d'homme de droite ou d'homme de gauche, c'est selon, se retrouve dans la position de celui avec qui on pourrait, sans déplaisir, "construire des convergences autour d'une volonté de rénovation". La démarche est "sans arrière-pensée et sans a priori", mais cela va de soi.

N'épiloguons pas davantage, et ne nous faisons pas plus naïfs que nous le sommes. Je ne m'attendais pas à autre chose. N'empêche : quoique prévu, ce revirement, que dis-je, ce reniement, cette cabriole, cette palinodie, sont pour le moins renversants, et non dénués d'indignité. Mais quelle importance, puisque le politique, très largement secondé par le zapping médiatique, peut amplement compter sur l'oubli, le bon peuple se trouvant noyé sous la masse des informations, des commentaires et des ouvertures de JT. Celui dont on a dit, non sans aplomb, et avec l'autorité de l'argument définitif, qu'il ne pouvait pas être un allié puisqu'il avait toujours été "de droite", se retrouve le lendemain dans le rôle désirable du magnifique allié qui "partage nos valeurs" ("pas toutes", concède toutefois Jean-Pierre Chevènement). Parce qu'il l'avait exprimé quelques jours trop tôt, Jack Lang a, de manière sibylline, suggéré l'exclusion de Michel Rocard.

Mon souci de ne pas laisser la France entre les mains de Nicolas Sarkozy me conduira à un vote sans surprise. Mais tout de même, les militant socialistes ne se sentent-ils pas injuriés ? Comment s'y retrouvent-ils, ceux qui ont tenu la ligne pendant deux mois (à gauche toute ! Bayrou/UMP même combat !), et qui doivent maintenant, sur les marchés, à la sortie des métros, au zinc des bistrots de France, expliquer désormais que Bayrou et la gauche, c'est (quasiment) la même chose ? Que nos programmes sont très proches ? Que nos valeurs sont communes ? Que nous avons la même vision des questions sociales ? Environnementales ? Européennes ? Comment vont-ils faire ? Ils vont effacer. A leur charge, ensuite, d'accepter que leurs paroles d'hier ne les engageaient guère, qu'elles n'étaient que spectacle, élément du jeu, folklore. C'est la triste leçon que connaît tout militant : s'il veut gouverner, il lui faut accepter d'effacer - ce qu'il fut, ce qu'il dit, ce qu'il professa, ce qu'il fit semblant d'être.

17 avril 2007

Situation de Calaferte

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Je reviendrai plus longuement, dans le prochain numéro du Magazine des Livres, sur "Situation - Carnets XIII - 1991" de Louis Calaferte (éditions L'arpenteur). Je me contente pour aujourd'hui de quelques mots qui résonnent assez bien dans cette période, qu'étrangement l'on dit "d'élection"...

- L'exhibition du spectacle - en vue d'un irréel recomposé selon des directions de vraisemblance.

- L'une des caractéristiques de la violence est d'être vulgaire. C'est sa nature même, puisque, s'exerçant dans le langage, elle le corrompt.

- On ne peut avec ces intelligences que donner des leçons ou se taire.

- Il voit grand et pense petit.

- Il faut aimer la liberté dans ce qu'elle a d'imprécis, de fantaisiste, d'irréfléchi - et savoir que les choses finissent immanquablement par se mettre en place.

13 avril 2007

Enfin !

Enfin une parole forte et sensée dans cette détestable campagne électorale : celle de Michel Rocard, dans Le Monde, appelant à un accord, sans plus attendre, entre Ségolène Royal et François Bayrou.

Une victoire de Nicolas Sarkozy, sur les thèmes et propositions de Jean-Marie Le Pen, comme tout semble devoir l'annoncer, nous n'aurons plus, en effet, "aucune excuse".

11 avril 2007

Quand le coq déchante

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Que dira l'histoire de ce temps électoral ? Que diront les livres d'histoire, les manuels scolaires ? Impossible de ne pas se poser la question avant de voter : l'épiderme national est à vif, la société hystérisée, et de ce chaos permanent rien de bon ne peut sortir. Je suppose qu'on nous regarde,
d'Europe ou d'ailleurs, avec des yeux un peu éberlués (si tant est qu'on nous regarde.) Nous faisons comme si le monde et l'Europe n'existaient pas, comme si le Mur de Berlin n'était pas tombé, comme si la Chine dormait encore, comme si la Russie avait fait sa mue démocratique, comme si le progrès technique pouvait suffire à résoudre ou même à apaiser les angoisses de l'humanité, comme si nos arts et notre culture évoquaient encore quelque chose à qui que ce soit, comme si la France était encore un phare. La vérité est que nous menons une campagne provinciale dans un monde auquel nous opposons chaque jour une protestation de déni. Nous nous offrons à bien des désenchantements, mais nous le faisons avec notre gouaille légendaire, fiers de notre mauvaise humeur et de nos ergots arcboutés. Nous mettons le monde en slogans et daignons à peine porter un regard sur notre continent. La réconciliation avec nous-mêmes ne nous intéresse pas : seuls nous fascinent le goût du sang et l'odeur de la poudre - celle qui explose sur les plateaux d'une télévision acquise aux ordres du marché et dans les colonnes de journaux que passionne la philosophie politique de tel ou tel chansonnier. Nous voudrions pouvoir sauter en marche du train de l'histoire, mais nul ne le peut. Alors nous continuons à aller de l'avant, sans rien entrevoir de notre destination.

4 avril 2007

Marty Friedman au Trabendo : mortel ! (comme on le dirait de l'ennui)

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l semble que les queues de cheval eighties qui aimèrent en leur temps ce navet culte que fut Top Gun se soient données rendez-vous hier soir au Trabendo, à la Villette. Y était annoncé Marty Friedman, guitariste américain tombé dans la guitare après avoir passé sa jeunesse à écouter Kiss et les Ramones - et avant de connaître le succès quasi planétaire avec Megadeth. Eh bien ce fut très, mais vraiment très ennuyeux. Les quelques amateurs de guitare qui, bouche bée au premier rang, tentaient de relever quelques accords ou positions, devraient passer à autre chose : décidément, Friedman n'est pas le Coltrane de la guitare heavy. Je suis un peu sévère, mais deux petites heures en sa compagnie suffisent à constater qu'il n'a rigoureusement rien inventé. Quant à ceux
(c'est un peu mon cas...) qui avaient juste envie de regarder cinq doigts descendre le manche d'une six cordes à la vitesse de la lumière et d'en prendre plein la poire, ils peuvent également trouver motif à déception. Ce qui manque le plus à ce guitariste (dont je ne voudrais tout de même pas laissé entendre qu'il n'a pas de talent, car il a indiscutablement une technique et une oreille), c'est l'inventivité. Celle de son jeu comme celle de sa musique, qui s'avère très convenue - globalement, un mélange de vieux rock hyper-speedé et d'harmonies sirupeuses dont on se dit qu'elles auraient pu faire la bande-son de Deux flics à Miami ou de Dawson.

Outre que le beau Marty est un peu agaçant, genre petit teigneux prétentieux qui jette son médiator au public chéri après chaque solo et ponctue toutes ses phrases d'un all right compulsif, sa musique est aussi lourde qu'une plaquette de beurre distillant ses graisses dans un kouglov - bon, d'accord, je sacrifie un peu au plaisir du bon mot. A sa décharge, il faut dire qu'il prend le risque d'un genre assez peu usitée dans le heavy : l'instrumental. Or il faut pour cela ne pas tomber dans le piège qui consiste à jouer le thème à la guitare comme s'il était chanté, sauf à ce que le thème soit particulièrement inspiré, ce qu'il est rarement ici. Il y a certes quelques bons moments, quand Friedman lâche un peu son jeu et allège une musique dont la caractéristique principale est tout de même d'être très excessivement carrée, ne laissant pour ainsi dire aucune place à l'aléa de la liberté. Il est heureusement soutenu par le second guitariste (Ron Jarzombek), moins connu, plus réservé, mais au jeu très appréciable, aussi vif et précis que celui de la star. Pour ce qui est des autres, mon vieux complice Lionel, qui s'acharne, non sans un certain sens du sacrifice, à m'accompagner dans mes errances metalleuses, me fit remarquer que le bassiste (dont l'instrument semble être doté de deux cordes superflues) a l'air d'avoir été croisé avec un bouledogue. Quant au batteur, dont les tatouages font office de tee-shirt, il joue exactement comme le ferait un métronome : c'est une enclume qui aime le bruit (les fûts), et assez peu la finesse (les cymbales).

Je le disais, la musique exclusivement instrumentale est un défi pour les musiciens de metal. Ne parviennent à le relever que ceux dont la culture est plus large sans doute que celle de Marty Friedman et qui se sont ouverts à d'autres horizons que le seul rock US. On peut penser ici à ce vétéran qu'est Uli Jon Roth, même si son amour de Vivaldi est parfois un peu écoeurant : au moins est-il sincère, grand musicien, fin compositeur, et n'hésite-t-il pas à sortir des sentiers battus. On peut penser aussi aux longs passages instrumentaux de Dream Theater, parfois un peu tarabiscotés, mais empruntant plus ou moins consciemment à un jazz-rock qui leur permet d'ouvrir largement la palette sonore et de se jouer des registres harmoniques. Toutes choses qui, hélas, font défaut à Marty Friedman, dont nous attendons toujours le grand oeuvre - et au passage la preuve qu'il aime autant la musique que son instrument.

Son nouvel album s'appelle Loudspeaker. Voilà qui convient parfaitement.

3 avril 2007

Vol en vol

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ien de plus joli que ces moineaux qui, tournant la tête aux pigeons un peu trop bien nourris du jardin du Luxembourg, saisissent en l'air et dans leur vol la mie que je leur jette.

 

2 avril 2007

La perle du jour


Elle revient à Nicolas Sarkozy, déclarant ce matin : "En ce qui me concerne, je ne suis ni énarque ni agrégé, ça me permet de ne pas être démagogique". Je traduis : "Je n'ai ni formation, ni culture, donc je suis proche des réalités." Ou encore :" Plus vous en savez, moins vous en savez."
Le bon peuple appréciera ce bel élan lyrique qui, en effet, n'a rigoureusement rien de démagogique.
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28 mars 2007

Habillé pour la vie


Il se laisse facilement, tranquillement, presque douillettement envelopper par la fatigue de vivre. Il lui suffit, alors qu'il s'éveille, de regarder et d'écouter alentour. Il sait que l'acharnement à vivre n'est plus compatible avec la mission d'exister.

Dit avec davantage de talent - celui de Louis Calaferte (Situation - Carnets XIII - 1991) : "Clairement concevoir l'essentiel de la vie - s'y tenir."

27 mars 2007

THEATRE : Retour au désert -Bernard-Marie Koltès

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Alors que l'étoffe bleu/blanc/rouge semble vouloir recouvrer quelque vigueur (électorale) aux balcons de la francité, l'entrée de Bernard-Marie Koltès au répertoire de la Comédie Française, avec une pièce sur les séquelles de la guerre d'Algérie, a quelque chose du pied de nez dont on aurait grand tort de ne pas se réjouir. Reconnaissons donc à Muriel Mayette qui, au "Français", a succédé à Marcel Bozonnet dans les conditions que l'on sait, une certaine iconoclastie. Il peut certes paraître étrange de faire entrer Koltès au répertoire avec une de ses très rares pièces qui fût une comédie. Mais on nous rétorquera que Molière fait figure en ces lieux d'auguste prédécesseur, ce qui n'est pas un mauvais argument ; ce choix, de toute façon, n'est pas ce qu'il importe de discuter. 

Car notre gêne vient d'ailleurs. Il semble en effet qu'on ait cherché à purger ce texte de sa part de drame pour n'en faire saillir que les reparties les plus allègres, les situations les plus cocasses ou les scènes les plus boulevardières (qui ne sont pas, loin s'en faut, les plus abouties). Sans doute le texte est-il volontairement hétéroclite, sans doute joue-t-il sciemment de la confusion des registres et de l'immixtion de l'onirique dans le réel, sans doute même était-il de la volonté de l'auteur de nous faire rire, fût-ce en grinçant. Mais cela n'explique pas une mise en scène que les velléités de modernité font parfois chuter trop bas. Je pense ici à la déclamation de Martine Chevallier, pantalon en jean devant le rideau rouge, tenant à la main un micro à la réverbération exagérée, numéro d'animateur dont je ne m'explique toujours ni le sens, ni l'intérêt artistique. Ou encore à ces scénettes qui confinent aux sketchs, c'est-à-dire où le comique de situation et de posture emporte le fond tragique. Et il faudrait dire un mot aussi de l'apparition dans le ciel d'une ancienne épouse décédée, selon un procédé qui n'a, lui, rigoureusement rien de moderne, mais qui au contraire ferait s'esclaffer dans le moindre vaudeville. Tout cela ne crée pas même une atmosphère, qui aurait pu être réussie à force d'être singulière, mais interdit au contraire que toute ambiance s'installe. A force de ne plus savoir s'il faut ou pas sourire, à force de douter du rire, on perd le fil de l'action pendant que le texte perd de son sens. La légèreté et le premier degré rendent l'ensemble grotesque, quand le grotesque se serait satisfait de n'être que suggéré.

Kolt_s___Retour_au_d_sert__2_Bien entendu, tout n'est pas aussi décevant - pas mauvais, décevant. Même si on peut avoir l'impression que les acteurs peinent à s'y retrouver (et comment ne pas les comprendre ?), ils font preuve d'énergie, et d'abnégation. Michel Vuillermoz est assez magistral dans son rôle de nouveau riche arrogant et cynique, et Grégory Gadebois est parfait dans le rôle du fils paumé, tétanisé par le père, fantasmant une émancipation qui passerait par la prise de l'uniforme. Bref, les acteurs ne sont pas vraiment en cause, mais c'est un peu comme si eux-mêmes échouaient à trouver la bonne voix, le bon espace, le bon créneau. Même Catherine Hiegel, évidemment très juste, me semble pourtant légèrement en retrait, et je ne crois pas que cela tienne seulement au fait qu'elle n'ait ici qu'un second rôle. Reste que la mise en scène de cette pièce était sans doute un défi, tant l'auteur lui-même a pris un malin plaisir à mélanger les genres et les registres. Mais si elle passe à côté, sans doute est-ce d'avoir opté pour une lecture exagérément immédiate, littérale. La musique, composée pour l'occasion par Michel Portal, permet d'habiller les changements de scènes et de redonner une profondeur inquiétante à la pièce. Mais ce n'est pas suffisant, et surtout cela ne tient pas très longtemps. Dommage.

23 mars 2007

Les Eveilleurs d'Etat - Parution - Signature au Salon du Livre

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Paraît aujourd'hui un recueil collectif de nouvelles, Short Satori, chez la jeune et combative maison d'édition Antidata. Quatorze écrivains se sont regroupés pour aborder le thème de L'Eveil. J'ai l'honneur d'ouvrir ce recueil avec un texte intitulé Les éveilleurs d'État.

L'ouvrage est lancé ce soir au Salon du Livre, où la Région Ile-de-France héberge les éditions Antidata.

Je dédicacerai l'ouvrage demain samedi entre 18 heures et 20 heures, sur le stand. À bon entendeur...

21 mars 2007

Darfour : meeting à la Mutualité

L'engagement humanitaire est ce qui reste de l'idéologie quand la politique a failli - ou de la politique quand l'idéologie a failli ; ce qui ne signifie évidemment pas que "l'humanitaire" soit exempt de considérations politiques ou idéologiques, tant s'en faut. Cette antienne, qui n'est pas récente, est probablement assez juste, et formulée, c'est selon, avec bienveillance, résignation ou dénigrement. Pour ma part, je m'y rallie et m'y suis rallié de bonne grâce il y a assez longtemps déjà : il faut être rudement sûr de soi et de sa pensée, rudement sûr de la pertinence des clivages traditionnels, rudement sûr, encore, de la réalité du pouvoir dit politique, pour ne pas admettre les limites de l'engagement classique (généralement bipolaire). Nul ne pouvant raisonnablement suivre le rythme de la complexification exponentielle du monde, et le politique ne pouvant pas davantage échapper à cette règle, ne nous restent que quelques fondamentaux, dont il est certes facile de sourire mais dont on voit mal comment l'on pourrait leur dénier ce statut : à défaut de sauver le monde, donc, veiller à ce que le martyre des humains ne se perpétue pas dans le plus complet silence, dans le meilleur des cas contribuer à en sauver quelques-uns. Nous en étions là déjà au moment de la Bosnie et du Rwanda : la donne ne se pose pas en d'autres termes pour le Darfour.

Le citoyen lambda que je suis a depuis longtemps déserté les lieux et instances du militantisme pour, globalement, se replier. Je vote, je m'informe, je ne refuse pas la discussion, parfois je pétitionne, j'écris : voilà, peu ou prou, ce qu'il subsiste de mon passé militant, un vague sens du devoir. Sans doute nul ne peut déserter sans quelque accès de mauvaise conscience (et il est vrai que les militants sont assez doués pour lester de culpabilité les esprits moins engagés), mais on s'en arrange au fond assez bien. Restent donc "les grandes causes", et ce qui se produit au Darfour, génocide, crime contre l'humanité ou quelque autre appellation qu'on voudra bien lui donner, en est évidemment une. Que l'on me permette toutefois cette digression : le récent déni de génocide en Bosnie, officialisé dans un arrêt de la Cour de Justice Internationale, n'est pas pour rassurer quant à la capacité du droit à qualifier les crimes. A l'heure où la France est plus isolée que jamais du monde et de l'Europe, au moment aussi où seul semble la passionner son devenir hexagonal (comme s'il était indépendant du reste du monde), et alors que le temps électoral que nous traversons n'a sans doute que rarement connu une telle insignifiance, le meeting organisé par le collectif Urgence Darfour, SOS Darfur et Bernard-Henri Lévy aura au moins permis de faire entendre une autre ambition, et d'engager quelques-uns des candidats à l'élection présidentielle. C'est pourquoi j'y étais, pour faire masse, l'hystérie médiatique et la sottise communiquante n'étant sensibles qu'au bruit de la foule.

16 mars 2007

THEATRE : Hughie - Eugene O'Neill (Claude Aufaure & Laurent Terzieff)

 

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Décidément, je dois avoir une dent un peu systématique contre le public : je ne parviens plus à me rendre à un spectacle sans m'agacer de ses réactions - admirant, au passage, le stoïcisme des acteurs. C'est qu'on ne peut pas dire que Laurent Terzieff inspire à ce point le comique et la légèreté qu'il puisse faire s'esclaffer les foules. Et pourtant, les rires, même un peu forcés, même un peu mécaniques, qu'aucune repartie de ce texte ne déclencherait en temps normal, fusent à intervalles réguliers. Le texte et la mise en scène ménagent sans doute quelques effets, mais on ne peut pas dire que le propos incite à une hilarité particulière. Enfin, comme je suis un peu las de m'en prendre systématiquement aux autres, confessons un certain manque d'humour - et sabrons l'épilogue.

Hughie est un des derniers textes d'Eugene O'Neill (1942). Son prétexte est simple : Erié Smith (Laurent Terzieff), flambeur professionnel, vit depuis des années dans un hôtel devenu un peu minable. Il avait pris l'habitude de converser, tard dans la nuit, avec le gardien, à qui il en contait des vertes et des pas mûres sur le jeu, l'argent et les filles. Mais le bon gardien est mort. Erié s'est conséquemment cuité cinq jours durant et, une fois rentré à l'hôtel, c'est un nouveau gardien (Claude Aufaure) qui l'accueille. Deux solitudes se font donc face, pareillement désespérées quoique affectant de ne point trop l'être. Le flambeur en fait des tonnes, la rouerie du gigolo n'a plus aucun mystère pour lui, il brasse de l'air, des paroles et des histoires d'un passé dont il se gausse, tentant plus ou moins maladroitement de faire oublier que les temps ont changé. Le gardien de nuit ne l'écoute pas, ou fait semblant, il entend la rumeur de la ville, guette l'horloge, voudrait pouvoir s'assoupir dans son fauteuil, s'immerger dans sa propre solitude. Au fond, personne ne s'écoute : les solitaires ne peuvent pas se rencontrer - ou se rencontrent trop tard.

Le jeu, la mise en scène, le texte même, assez malin sous son impression d'évidence, tout ici transpire l'intelligence et la finesse. Pourtant, la pièce ne laisse pas de trace. Sans doute parce que les ressorts de la comédie semblent plus tendus que ceux de la tragédie. C'est d'autant plus étonnant que Laurent Terzieff, qui montre encore une fois combien il est un de nos plus grands et plus émouvants acteurs, est attendu sur un autre registre. Et c'est assurément injuste d'attendre d'un acteur qu'il se conforme à ce qu'on attend de lui et de se désoler qu'il suive son propre chemin. C'est que Laurent Terzieff porte tellement la lassitude et la fatigue, il incarne l'accablement de l'existence et du monde avec un tel génie, qu'on en vient à oublier le jeune premier qu'il fut, et qu'il aime sans doute à ressusciter. Ainsi le vit-on, il y a un an, dans Mon lit en zinc, adapté de David Hare, jouant un vieux requin de la finance venu du communisme et marié à une jeune alcoolique qu'il avait sauvée de la mort. Le prétexte était sans doute plus grave, mais l'envie de comédie était déjà forte chez lui, qui trouvait un plaisir manifeste à ce rôle d'arrogant, fût-il pétri de faiblesse et d'humanité.
A eux seuls, Laurent Terzieff et Claude Aufaure (incarnation parfaite du gardien de nuit tel qu'on peut se l'imaginer, jouant très juste, délicat, onctueux, sec et précis) justifient évidemment le déplacement. Reste que le choix de souligner le comique de situation peut laisser perplexe, faisant courir le risque d'estomper la condition mélancolique des deux personnages et le passionnant jeu de miroir aux alouettes auquel ils se livrent. Ce dont témoigne la salle rieuse.

14 mars 2007

Morale cochonne


Que l'homme se comporte comme un porc, et c'est à l'animal d'abord qu'il fait insulte : lui n'a pas demandé à l'être.

13 mars 2007

Morale bourgeoise


Je ne donne pas d'argent aux pauvres, ils pourraient croire que je me sens coupable.

12 mars 2007

Notre jeunesse


Ne renions pas notre jeunesse. Servons-nous en pour excuser ce que nous sommes.

9 mars 2007

Michel Jonasz au Casino de Paris

Michel_Jonasz
J'
ai toujours été un grand admirateur de Michel Jonasz, que je tiens pour l'un des tout meilleurs interprètes, paroliers et compositeurs de chanson française. Et ils ne sont pas si nombreux, ceux qui peuvent encore inscrire leurs pas dans cette grande tradition, où Jonasz tient une place à part, en raison de ce qu'il est bien sûr, mais aussi parce que ses influences débordent assez largement du cadre.
Sans doute l'hommage qu'il rend à la 
« chanson française » dans son dernier album ne  se déposera-t-il pas en moi aussi profondément que d'autres moments de son œuvre.  Toutefois, même si l'on est, comme moi, un peu moins sensible au fond de jazz-rock mâtiné de fusion et de funk de ce dernier album, il faut bien admettre que, non content d'avoir su s'approprier le répertoire et le réarranger de fond en comble, Michel Jonasz l'interprète au plus juste, sans trop en faire ni en cherchant jamais à singer qui que ce soit. Nombreux auraient sombré dans le mélo ou le mauvais goût.

Il arrive un peu à l'étroit dans un costume gris scintillant qui aurait sans doute très bien convenu pour chanter Ray Charles, mais un peu moins Jacques Brel... D'autant que ses musiciens donnent plutôt dans le genre débraillé, dreadlocks et cool attitude. Il ne s'agit pas là d'un jugement de valeur : je pense seulement qu'un certain répertoire justifie, requiert une certaine présentation. Disons-le de manière plus esthétique : quelque chose, ici, n'est pas tout fait en accord avec le projet. Mais c'est un détail. Le tour de chant commence par Fils de..., du grand Jacques, et c'est de très bonne facture, tenu, intériorisé, d'une interprétation très juste, assez dépouillée. Le seul problème - et peut-être au fond celui qui me perturbera tout au long de la soirée - tient plutôt au public, du genre à taper dans ses mains sur chaque temps (oui, sur chaque temps !), à défaut un temps sur deux, dès qu'on le lui demande bien sûr, mais aussi de son propre chef et le plus souvent en égarant le tempo. Du genre aussi à rire un peu trop facilement - impression, ici, d'entendre des rires préenregistrés pour séries TV... Bref, je me suis parfois senti sur un plateau télé, ce qui est  tout de même assez désagréable lorsqu'on porte Michel Jonasz aussi haut dans son cœur. Je crois d'ailleurs que lui-même le sait, ou le sent, et sa manière de conduire le spectacle, de le parsemer de digressions volontiers légères, pourrait d'une certaine manière en attester. Le comble arrive toutefois lorsqu'il nous convie à un karaoké sur Les copains d'abord. Derrière la scène se déplie une toile blanche (tel l'écran sur lequel, dans l'ancien temps, nous visionnions les diapos de nos vacances d'été,) et la foule d'entonner cahin-caha la chanson d'une génération. Pour moins bienveillant que moi, c'eût été la goutte de sirop qui aurait fait dégouliner l'ambiance... Mais Jonasz, éternellement élégant, se sort toujours avec beaucoup de grâce de ce genre de situation. Mais si je comprends, ô combien, son désir de donner l'envie à chacun de redécouvrir et de chanter le grand répertoire, il n'en demeure pas moins que cela fait courir le risque d'un résultat un peu convenu, loin, bien loin, de Brassens. Et dire cela n'enlève évidemment rien à la sincérité du public, mais le risque est tout de même grand, alors, de voir transformer un répertoire profond, poétique, ironique, souvent mélancolique, en un petit tour de piste sympa - et participatif, comme dirait l'autre.
Pour ma part, je retiendrai surtout de cette soirée peut-être un peu trop professionnelle, trop bien ajustée, trop bien réglée, quelques interprétations mémorables : La mémoire et la mer de Léo Ferré, le Fernand de Jacques Brel, ou le propre hommage de Jonasz à Léo, pourtant plutôt casse-gueule. Et tant pis si je le trouve un peu trop cabotin lorsqu'il entonne L'amour sorcier de Nougaro ou Couleur Café de Gainsbourg. 

Et puis, vint bien entendu le moment où le public le réclame, lui. C'était prévu, et prévisible : nombre de ses chansons, depuis trente ans, sont passées au statut de standards, pour ne pas dire à la postérité. On l'aime aussi pour cela, pour avoir su accompagner une, deux générations, tant de moments dans l'intimité de tant de gens. Mais l'artiste est là pour rendre hommage à la chanson française, ce qu'il nous fait bien savoir (et ce choix, est-il nécessaire de le souligner, est aussi légitime qu'indiscutable). Mais le public lui lance des Micheeel ! comme d'autres des Patriiick !, alors que voulez-vous, le public chéri... Tout doucement, donc, le voilà qui entonne Les fourmis rouges, un peu hésitant - sans doute fait-il mine de ne plus se remémorer les paroles exactes... -, alors la rumeur enfle : le public, lui, les connaît, les paroles. Et cela fonctionne : l'écoute est plus amoureuse, plus instinctive, et l'on se dit que, décidément, c'est sur son répertoire que Michel Jonasz recouvre sa poésie, son authenticité, tout son talent. C'est un peu injuste, assurément, mais c'est sans doute le lot des grands artistes qui ont marqué leur temps que de ne pouvoir échapper à ce qu'ils incarnent.

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